Bruno et son frère Denis se moquent de notre société techno-moderne dans « Les 2 Alfred », film qui parvient à nous amuser d’un quotidien pathétique.
Avec les confinements, la vidéo-conférence est entrée dans nos quotidiens, à la fois source de stress et de gags. Avec les cinémas réouverts, on va retrouver la vidéo-conférence dans « Les 2 Alfred », film de Bruno Podalydès (sortie le 16 juin), parmi d’autres avatars, objets et usages de notre ultra-modernisme. Avec son sens de l’observation et sa bienveillance pour ses personnages, même les plus atteints, le cinéaste parvient une fois de plus à mettre un peu de douceur dans ce monde de brutes.
« Les 2 Alfred » du titre sont deux singes en peluche, des doudous d’enfants ; ces 2 Alfred pourraient aussi bien être les deux personnages joués par les frères Podalydès, Bruno et Denis, Arcimboldo et Alexandre. Alexandre est chômeur et au bord de la séparation d’avec son épouse militaire, sous-marinière en mission. Celle-ci l’a sommé de faire des efforts et de lui prouver qu’il peut avoir un boulot et s’occuper de leurs deux enfants en son absence, ce qui n’est vraiment pas gagné d’avance.
Lui qui est déjà d’un certain âge décroche un entretien d’embauche dans une start-up, The Box, à l’ambiance plutôt jeune, où l’on joue au ping-pong et on mange des bonbons. Pourtant à sa propre surprise, il entre dans la boîte pour y faire du « consulting process » ou quelque chose de ce genre. Seul problème, la ligne imposée : « No child ! » ; pas d’enfant, puisqu’on le sait la vie de famille des salariés nuit gravement à la disponibilité, ça empêche de se consacrer pleinement à son travail, son entreprise, son employeur, ses actionnaires…
Un mélange de poésie, de fantaisie, de légèreté
Alors qu’il est double papa, Alexandre va devoir mentir et cacher sa paternité, à commencer par sa « cheffe » (interprétée par Sandrine Kiberlain), femme d’un abord pas vraiment sympathique ni arrangeante, bien coincée en apparence, plutôt tendue, et qui fait croire qu’elle maîtrise tout. Sur le chemin de la crèche, il rencontre heureusement Arcimboldo (Bruno Podalydès), squatteur, chauffeur, uber, récupérateur, et plein d’autres choses encore, un « entrepreneur de lui-même » qui croit « surfer » sur les nouveaux métiers, les nouvelles technologies, les nouvelles tendances, les « nouveaux » services, mais qui en fait ne fait que cumuler de multiples petits boulots.
Inscrit dans la sélection officielle de Cannes 2020, « Les 2 Alfred » était à ce titre présenté également au Festival de Deauville, où Bruno Podalydès faisait partie du jury. Le cinéaste qui avait adapté « Bécassine », et réalisé « Versailles rive gauche », « Liberté-Oléron », « Adieu Berthe », « Bancs publics », « Comme un avion »… nous embarque une nouvelle fois dans son univers, un mélange de poésie, de fantaisie, de légèreté, et une vision à la fois souriante et moqueuse de notre société techno-moderne, de sa cruauté et de sa stupidité, et ça fait du bien.
Les frangins Podalydès sont plus complices que jamais, en compagnie de la troupe habituelle (Isabelle Candelier, Michel Vuillermoz, Jean-Noël Brouté…), et de Sandrine Kiberlain (déjà au générique de « Comme un avion ») qui décidément se régale et nous régale dans la comédie. Le cinéaste parvient à nous amuser avec un quotidien pathétique, les jargons des jobs modernes, la novlangue du management, les applis, notes et étoiles à tout-va, ce monde virtuel qui déraille, cette dictature du numérique qui bugge et dénie notre humanité. Devenus serviteurs de machines qui ne sont pourtant que des machines, ô combien perfectibles, on se délectera des multiples trouvailles de Podalydès, dont cette voiture autonome au look d’utilitaire qui n’en fait qu’à sa tête, et ces drones livreurs qui tombent du ciel sans prévenir dès que leurs batteries sont épuisées.
Patrick TARDIT
« Les 2 Alfred », un film de Bruno Podalydès, avec Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès (sortie le 16 juin).