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Darknet, darkweb, deepweb : ce qui se cache vraiment dans la face obscure d’Internet

Hannah We/Unsplash, FAL

Pierre DAL ZOTTO, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Philippe Rennard, Grenoble École de Management (GEM)

« Daech peut remercier le darkweb », « Trafic de drogues : Bernard Debré découvre le darknet », « Un policier de la DGSI vendait des données sur le darknet »… Il n’est qu’à faire une petite requête à l’aide de votre navigateur web pour en prendre conscience : depuis quelques années, les termes darkweb, darknet ou deepweb figurent régulièrement en gros titres à la une de la presse.

Problème, les papiers traitant du sujet, parfois rédigés par des personnes aux connaissances limitées dans le domaine, jouent avant tout sur le sensationnel, l’effet d’annonce spectaculaire. Bien peu donnent de ces termes une description ou une définition satisfaisante. Et plus rares encore sont ceux qui proposent une analyse raisonnable des usages auxquels ils correspondent. Alors, de quoi parle-t-on ?

Internet, des règles pour le partage

Imaginez que vous ayez mis en réseau votre ordinateur, ceux de vos enfants, votre imprimante, vos téléphones. Supposons maintenant que votre voisin ait fait la même chose. Ce serait tellement chouette si vous pouviez échanger des messages, fichiers, photos et autres avec lui !

Seul hic, vos réseaux ne fonctionnent pas de façon identique et c’est donc impossible. Internet n’est finalement rien d’autre que l’ensemble des protocoles (des règles techniques notamment proposées par Robert Khan et Vinton Cerf) rendant une telle opération réalisable. Pour faire simple Internet c’est un ensemble de réseaux interconnectés. D’où la nécessité d’un protocole d’échange standardisé. Le choix s’est porté sur un réseau qui échange des paquets de données entre des ordinateurs connectés au réseau grâce à des adresses spécifiques (les fameuses adresses IP).

Inventé dans les années 1970, Internet est le fils légitime d’Arpanet, réseau développé par l’agence de recherche technologique du département de la Défense des États-Unis. L’un des principaux protocoles d’Internet, le TCP/IP (transmission control protocol/Internet protocol) se base par ailleurs sur le système de transfert des données par commutation de paquets mis en œuvre dans le réseau Cyclades avec les recherches de l’ingénieur français Louis Pouzin, le datagramme, lui même basé sur des recherches américaines.

En définitive, Internet est donc le fruit de collaborations mondiales plus ou moins volontaires. Mais il faudra attendre 1989 pour qu’arrive le World Wide Web, ou Web, que vous utilisez tous les jours, un outil proposé par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau alors qu’ils travaillaient pour le Centre européen pour la Recherche nucléaire (CERN).

Dans Web, il y a deepweb

Le but ultime étant le partage d’informations, le Web repose sur des règles permettant, après avoir fait une requête dans un navigateur web (et non comme on a l’habitude de le dire, sur « Internet »), d’afficher sur votre ordinateur des informations au préalable stockées sur celui de quelqu’un d’autre (ce que l’on nomme un serveur), et de les lier à d’autres informations grâce à des liens dits hypertexte. Problème, lorsque le nombre de serveurs et de contenus augmente, retrouver une information précise peut très vite devenir compliqué. Voilà pourquoi, dès les débuts du web, des sites listant d’autres sites, autrement dit des annuaires, ont été constitués.

Naturellement, on a rapidement cherché à automatiser cette tâche d’analyse des liens concourant au système d’indexation des pages web et de présentation des résultats. Des algorithmes ont donc été mis au point, le plus connu d’entre eux étant Pagerank, utilisé par le moteur de recherche Google. Et tout aussi vite, des systèmes empêchant ce traitement automatique de données ont été développés : pas question, en effet, de voir ses e-mails personnels, ou encore son relevé de compte bancaire accessibles à tous lors d’une simple requête avec un moteur de recherche. Voilà ce que l’on nomme web profond, en anglais deepweb : tout simplement, le contenu non indexé par les moteurs de recherche.

Imaginez que vous soyez en train de lire cet article, et que dans l’onglet d’à côté, soit affiché le site intranet de votre organisation, accessible par un mot de passe. Aucun des contenus du site intranet ne pourra être indexé par Google, Yahoo, Bing, Qwant, DuckDuckGo ou d’autres moteurs de recherche. Il en va de même pour les pages interdites à leurs algorithmes via un simple fichier sur le site Web (robots.txt) qui spécifie par exemple l’interdiction d’indexer le contenu. Vous l’aurez compris, le deepweb ne se distingue pas du web visible par son mode d’accès mais par la possibilité pour son contenu d’être indexé. Quoi qu’il en soit, il n’a strictement rien d’un repaire de dangereux criminels.

Le darknet : un nid de brigands ?

Le darknet, c’est-à-dire l’ensemble des darknets, est une tout autre chose. Mais contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas nécessairement d’espaces n’abritant que des brigands – pas plus que les « quartiers chauds » de votre ville. Un darknet n’est en réalité qu’un sous-réseau d’Internet qui utilise des protocoles spécifiques qui intègrent des fonctions d’anonymisation.

En clair, on est bien sur Internet quand utilise l’un des nombreux darknets existants. Le plus connu d’entre eux a pour nom The Onion Router, TOR. Si certains darknets se limitent au partage de fichiers, au chat ou à la messagerie électronique, les plus connus ont aussi leur partie Web : ce sont eux qui forment le fameux darkweb, dont font partie les célèbres sites en « .onion » du darknet TOR. On y accède très facilement à partir d’une version modifiée du navigateur web bien connu Firefox, lequel est libre et respectueux de votre vie privée.

Un espace pour la liberté d’expression

L’anonymat, d’ailleurs tout relatif, des darknets contribue sans aucun doute à son attrait pour effectuer des transactions répréhensibles, comme l’a illustré le cas de Silk road – un marché noir du darknet TOR prenant la forme d’une plate-forme de vente de produits illicites, notamment des stupéfiants. Mais cet anonymat offre aussi un espace protégé, un espace de liberté d’expression dans les pays où celle-ci est plus ou moins limitée.

Ainsi, on peut utiliser un darknet pour accéder à des réseaux sociaux, des sites ou des chaînes de télévision interdites dans certains pays. Facebook est désormais présent sur le darknet, de même que la BBC, pour prendre deux exemples célèbres. On peut aussi y communiquer tout en étant protégé. Quand on sait, par exemple, que l’homosexualité est condamnée, parfois à mort, dans de nombreux pays, les darknets, tout comme les messageries chiffrées disponibles, sont alors le seul canal de communication utilisable pour échanger avec ses proches librement et rester en liberté, voire en vie.

Les différentes parties d’Internet.
Pierre Dal Zotto, Author provided

In fine, le darknet n’est que le reflet de la société. Si certaines technologies sont potentiellement dangereuses, à l’instar des systèmes de reconnaissance faciale ou de surveillance de réseau, c’est rarement l’outil qui est en cause, mais bien plus souvent leur usage. Bernard Debré a en effet pu acheter de la drogue sur Internet, mais il n’y a pas pour autant à blâmer le réseau informatique : il aurait pu se la procurer dans la rue, et d’ailleurs ses emplettes auraient alors eu plus de chances de passer inaperçues…

Pour conclure, on notera que l’image de l’iceberg est de notoriété publique lorsqu’on veut évoquer le deepweb, les darknets et autres faces cachées d’Internet. Reste qu’en réalité, on n’a qu’une vague idée de l’étendue de l’Internet, du Deep Web et du darknet. Toutefois, nous avons tenu à vous en proposer une dans cet article reflétant un peu mieux la réalité. Enfin, si vous souhaitez allez plus loin, nous vous conseillons les ouvrages de Rayna Stamboliyska (La face cachée d’Internet, Larousse, 2017), de Jean‑Philippe Rennard (Darknet : Mythes et réalités, Ellipses, 2018), où l’excellent cycle de conférence « Qu’est-ce qu’Internet ? » par Benjamin Bayart.The Conversation

Pierre DAL ZOTTO, Professeur Assistant en Systèmes d’Information, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Philippe Rennard, Professeur, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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