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Il était une fois… Leonardo DiCaprio

Dans Once Upon a Time…in Hollywood, Leonardo DiCaprio incarne Rick Dalton, un acteur sur le retour.
© 2019 Sony Pictures Entertainment Deutschland GmbH / Sebastian Reuter / Adam Berry / Getty Images for Sony Pictures /Madeleine Eger

Guillaume Labrude, Université de Lorraine

Le film est sorti hier sur nos écrans français : Once Upon a Time… in Hollywood qui a été présenté lors du dernier Festival de Cannes marque la seconde collaboration entre deux artistes oscarisés : le réalisateur Quentin Tarantino, qui partagea la statuette dorée du meilleur scénario en 1995 avec Roger Avary pour Pulp Fiction, et le comédien Leonardo DiCaprio qui fut, « enfin » diront certains, adoubé en 2016 pour son rôle de Hugh Glass dans The Revenant, le survival d’Alejandro González Iñárritu.

Once Upon a Time…in Hollywood, dixième film de Quentin Tarantino fait jouer deux de ses anciens collaborateurs: Brad Pitt qu’il dirigea dans Inglourious Basterds, et qui apparaissait dans le film de Tony Scott adapté de son scénario True Romance; et Leonardo DiCaprio, principal protagoniste de Django Unchained.

Que dire de la carrière de cet acteur surdoué ? D’abord, qu’elle mit plusieurs décennies à être reconnue par l’Académie des Oscars, bien que riche de nombreux films cultes à l’instar de Gilbert Grape ou Titanic. Puis, qu’elle demeure une énigme : on y perçoit différentes marques, concernant l’impact artistique d’un comédien : conforme aux valeurs esthétiques de son époque d’activité pour ne pas dire « belle gueule »; un professionnalisme apportant pour chacun de ses rôles une véritable authenticité à l’écran; des choix parfois osés bien que rarement à contre-courant et enfin une véritable image de marque à défendre.

La fabrique à Oscars

L’Oscar du meilleur acteur, décerné depuis 1929, et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, décerné depuis 1937, sont deux récompenses attribuées chaque année par l’Académie des Oscars à des comédiens de sexe masculin. Aujourd’hui ce genre de récompense peut être sujet à débats, en raison des questionnements actuels vis-à-vis du genre : pourquoi ne pas laisser concourir dans une même catégorie des artistes de genres différents? En 2014, Jared Leto gagnait l’oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour celui d’une femme transgenre. L’intitulé “Meilleur.e interprète dans un rôle féminin” aurait été bien plus approprié. En attendant, force est de constater que certains archétypes d’un autre genre demeurent depuis 90 ans quant aux lauréats des précieuses statuettes.

Qu’il s’agisse de Lionel Barrymore en avocat alcoolique dans A Free Soul (Clarence Brown, 1931), Paul Muni en Louis Pasteur dans The Story of Louis Pasteur (William Diterle, 1936), Laurence Olivier dans le rôle-titre de Hamlet (Laurence Olivier, 1948), Marlon Brando en boxeur retiré et docker criminel dans On The Waterfront (Elia Kazan, 1954), Jack Nicholson en illuminé meurtri dans One Flew Over the Cuckoo’s Nest (Milos Forman, 1975), Dustin Hoffman en génie autiste dans Rain Man (Barry Levinson, 1988) ou encore Tom Hanks remportant successivement la récompense pour son rôle d’avocat homosexuel atteint du sida dans Philadelphia (Jonathan Demme, 1993) et de jeune homme simplet dans Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994), l’existence d’archétypes prompts à être récompensés sitôt qu’un acteur les incarne à l’écran sonne comme une évidence. Et cette liste n’est pas exhaustive. Personnages en souffrance physique, mentale, sociétale, voir les trois à la fois, personnalités historiques ou encore rôles cultes issus de la littérature classique constituent les profils types des rôles oscarisables dans la catégorie du meilleur acteur. Cela s’applique également à la meilleure actrice. Et la récompense pour le meilleur second rôle demeure tout aussi balisée.

Une consécration pour celui qui fut boudé par l’Académie des Oscars, bien que nommé pour The Wolf of Wall Street (2014), Blood Diamond (2007), Aviator (2005) et Gilbert Grape (1994).

De Walter Huston en vieil aventurier comique dans The Treasure of the Sierra Madre (John Huston, 1948) au policier colérique et avide de justice campé par Sam Rockwell dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (Martin McDonagh, 2017) en passant par Jared Leto en femme transgenre junkie dans Dallas Byers Club (Jean‑Marc Vallée, 2013) et Joe Pesci en mafieux hors de contrôle dans Goodfellas (Martin Scorsese, 1991), l’Oscar du meilleur second rôle masculin a souvent été attribué à des acteurs incarnant des personnages hors-normes, tranchant souvent avec le caractère du principal protagoniste, et offrant une véritable diversité dans le champ culturel des œuvres en compétition. À noter cependant que Quentin Tarantino peut se targuer d’avoir permis à Christoph Waltz de récolter deux fois l’Oscar pour un même second rôle : son incarnation du colonel SS Hans Landa (Inglourious Basterds, 2009) et du dentiste King Schultz (Django Unchained, 2012) se différencient vis-à-vis de leur position quant à la morale du film, mais demeurent strictement les mêmes dans l’intonation et la gestuelle. Aux vues de ce type de constat, on peut se demander où se situe la filmographie de Leonardo DiCaprio.

L’après Titanic ou comment nager à contre-courant

Luttant en pleine nature après avoir été massacré par un ours furieux à l’instar de ces nombreux personnages que la vie a mis plus qu’en difficulté et dont l’impact culturel fut auréolé de la fameuse statuette, Leonardo DiCaprio obtient son Oscar en 2016 pour The Revenant. Dans le film, un plan épaule tout particulier montre Hugh Glass regarder fixement la caméra, comme s’il brisait le quatrième mur et adressait de façon mutique une ultime requête aux spectateurs et spectatrices : « Regardez comme je souffre, regardez comme j’ai froid, comme je meurs de faim et de fatigue : je le mérite mon Oscar bon sang ? ! ».

Mêlant le contexte des guerres indiennes au chemin de croix du trappeur Hugh Glass mis en lumière par Michael Punke dans l’ouvrage éponyme, The Revenant permet à DiCaprio d’incarner un homme seul face à la férocité de la nature et à la folie de ses semblables. Un véritable rôle à Oscar, finalement.

Fresque épique autour de la conquête des terres du Nord, The Revenant est un film qui brille, non seulement par son écriture et sa réalisation, mais également par l’incarnation de son principal protagoniste. Leonardo DiCaprio est un acteur investi dans chacun de ses rôles, allant parfois à l’encontre de son mode de vie : ne consommant pas de chair animale, il en a pourtant dévoré face caméra pour les besoins d’une scène de survie, à l’instar d’un Choi Min-sik qui, végétarien, n’a pas hésité à mâcher trois poulpes vivants pour l’une des scènes emblématiques du film Old Boy du cinéaste coréen Park Chan-wook.

“Je veux manger quelque chose de vivant”: cette réplique d’Old Boy renvoie à la nature profondément sauvage des personnages désireux de survivre, tout comme celui de The Revenant.

Au-delà de ce rôle et de sa récompense, la carrière du comédien fut impactée par deux rôles qui, ces dernières années, sont allés à contre-courant de son statut de bellâtre engagé et qui auraient largement pu être salués par ce fameux Oscar. En premier lieu, Django Unchained de Quentin Tarantino (2012) qui, comme dit précédemment, a valu la récompense à un Christoph Waltz opérant une redite de son rôle dans le précédent film du cinéaste hyperactif.

Scène iconique de Django Unchained dans laquelle l’antagoniste interprété par DiCaprio se lance dans un monologue sur sa vision des afro-américains. L’acteur s’est véritablement ouvert la main en frappant sur la table et la scène a été gardée lors du montage final.

Dans le long métrage, DiCaprio incarne un esclavagiste colérique et infantile répondant au nom de Calvin Candie, patronyme en référence non seulement à son comportement de gamin gavé de sucre, mais aussi aux jelly beans qu’il dévore par paquets. L’acteur a joué les amoureux dramatiques, les aviateurs mégalomanes (oscarisable, d’ailleurs) et les rebelles en tout genre, mais jamais un antagoniste aussi affreux, sale, raciste et méchant. Le personnage est un monstre historique dont la mise à mort est précalculée pour faire exulter le public conditionné depuis le début du film pour le haïr.

DiCaprio incarne un rôle qu’il n’aurait pas pu décrocher au sortir de Romeo + Juliet, lui qui avait décliné celui du yuppie cocaïnomane et psychopathe d’American Psycho et la tête d’affiche de Boogie Nights, la fresque de Paul Thomas Anderson sur l’industrie du porno. Le rôle de Candie est véritablement à contre-courant et, s’il n’était pas nécessairement récompensé, méritait davantage d’être nommé plutôt que celui, bien que sympathique, de Christoph Waltz dans la même œuvre.

Dans The Wolf of Wall Street, DiCaprio incarne Jordan Belfort, second rôle d’escroc notoire de sa carrière après Catch Me if you Can de Steven Spielberg. Intéressant qu’une chaîne YouTube de marketing partage cette scène en la titrant comme “inspirante”…

Un an plus tard, c’est sous la houlette de son cinéaste de cœur, Martin Scorsese, que le comédien se retrouve en compétition pour The Wolf of Wall Street, sorti en 2013. Face à lui, c’est Matthew McConaughey qui l’emporte avec Dallas Buyers Club, confirmant la règle selon laquelle, quel que soit le rôle endossé et la maestria avec laquelle il est interprété, c’est bien les compétiteurs qui font face à l’acteur lors de la même cérémonie qui décident de qui l’emportera.

Pourtant, l’adaptation sur grand écran de l’ouvrage autobiographique du courtier Jordan Belfort est une fois de plus un rôle à contre-emploi pour DiCaprio : il y incarne un personnage réel (oscarisable) ayant subi les affres de l’existence (oscarisable) et donnant en conclusion du long métrage d’environ trois heures (oscarisable) une leçon de morale (oscarisable) tout en se comportant à l’antithèse de ce qui fait sa personnalité publique.

Le roi Leo

L’antihéros du film de Scorsese est capitaliste à outrance, misogyne, passablement raciste, complètement drogué, accro aux festivités mondaines et se vante d’être particulièrement malhonnête. Mais ce qui fait le sel de l’interprétation de Leonardo DiCaprio, c’est bien la joyeuse malice avec laquelle il se laisse aller à la comédie, genre qu’il n’a que très peu voire pas du tout exploré depuis ses débuts : grimaçant, beuglant et gesticulant dans tous les sens, il fait preuve d’une justesse imparable pour ne pas tomber dans le cabotinage. Pourtant, l’Oscar lui échappe, un résultat qu’il est possible d’imputer à l’immoralité du personnage incarné qui, s’il est conforme à une certaine dénonciation du capitalisme, ne joue pas nécessairement la carte de la sympathie vis-à-vis d’une Académie sans doute désireuse de voir quelques modèles à suivre chez ses lauréats.

La scène des Lemmon de The Wolf of Wall Street est devenue instantanément culte: la prise de médicaments périmés par les personnages de Leonardo DiCaprio et Jonah Hill donne lieu à un moment d’anthologie dans lequel les protagonistes souffrent de démence et de paralysie, enchainant gag sur gag au plus grand dam de leur entourage.

Que retiendra-t-on de Leonardo DiCaprio ? Une carrière précoce au côté de Robert De Niro dans This Boy’s Life en 1993, une consécration publique avec Titanic de James Cameron, une confirmation totale au travers de ses multiples collaborations avec Martin Scorsese dont Aviator fut en 2004 l’un des plus beaux exemples ainsi qu’une tendance à étoffer son catalogue de rôles en s’aventurant dans des contrées éloignées de l’ordre et de la morale. En définitive, qu’il soit un acteur acclamé pour ses prestations ou ses engagements civiques, celui qui refusa le pseudonyme américanisé de Lenny Williams demeure une valeur sûre du box-office sans pour autant sacrifier ses doléances artistiques prouvant par là même que, bien qu’il permette d’ajouter quelques zéros à son salaire, l’Oscar n’est pas nécessairement une fin en soi.The Conversation

Une caricature signée Clément Osmont (Leitmotion – Musique de films) lors de la remise des Oscars.

Guillaume Labrude, Doctorant en études culturelles, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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