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La diablesse qui a fâché les hommes

La cinéaste Teona Strugar Mitevska signe une fable spirituelle et féministe avec « Dieu existe, son nom est Petrunya ».

Telle une madone, Petrunya est incarnée par une comédienne de théâtre dont c’est le premier film, Zorica Nusheva.
Telle une madone, Petrunya est incarnée par une comédienne de théâtre dont c’est le premier film, Zorica Nusheva.

Et si dieu était une femme, elle s’appellerait Petrunya, serait brune, grosse, et chômeuse. La réalisatrice Teona Strugar Mitevska en est sûre : « Dieu existe, son nom est Petrunya », selon le titre de son film (sortie le 1er mai), qui a très logiquement reçu le Prix du jury oecuménique au Festival de Berlin. Cette Petrunya vit à Stip, petite ville de Macédoine, où la jeune fille habite encore chez ses parents à 32 ans ; historienne surdiplômée, elle n’a aucune expérience, pas de travail, et n’arrive pas à en trouver.

Poussée par sa mère, elle se rend quand même à un rendez-vous d’embauche pour un boulot de comptable, où une fois de plus elle tombe sur un patron libidineux et insultant : « Et en plus, t’es moche ! », lui lâche-t-il. Petrunya sait bien que la vie n’est pas un conte de fées, mais elle se dit que ça pourrait l’être. Surtout lorsque son chemin croise celui d’une procession religieuse ; comme tous les ans en janvier, une croix de bois est lancée dans une rivière, proie d’une bande de jeunes hommes prêts à batailler torses nus dans l’eau froide pour la repêcher. Mais c’est elle, Petrunya, qui attrape la croix, s’en empare et la garde, à la grande fureur des hommes qui hurlent à la profanation, au blasphème : car c’est à eux seuls, les mâles, qu’est réservé ce rituel.

C’est un scandale sans précédent, filmé en direct par une équipe de télé, une journaliste qui veut en faire un événement, une lutte féministe. Embarras du prêtre orthodoxe, de la police qui la protège malgré tout, la demoiselle ne cède pas aux pressions des institutions, refuse de rendre cette croix à la gent masculine. Incarnée par une comédienne de théâtre dont c’est le premier film, Zorica Nusheva, c’est une sorte de madone, une diablesse qui s’accroche à son objet sacré.

Inspiré d’un événement réel, une femme qui a effectivement attrapé une croix en 2014, ce film est une fable féministe et spirituelle ; c’est avec poésie et humour que sont évoqués la guerre des sexes, l’injustice et l’inégalité, la domination masculine et la misogynie, ces sociétés d’hommes dans lesquelles les femmes peinent à se faire une place. Les voies du seigneur sont impénétrables mais Petrunya est notre guide.

Patrick TARDIT

« Dieu existe, son nom est Petrunya », un film de Teona Strugar Mitevska (sortie le 1er mai).

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