Meurthe et Moselle
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

« La lutte des classes » commence à l’école primaire

« L’école publique en France est en train de s’écrouler », constate le réalisateur Michel Leclerc, qui a tourné une plaisante comédie sociale avec Leïla Bekhti et Edouard Baer.

Edouard Baer et Leïla Bekhti jouent des parents, bobos de banlieue parisienne, qui s’inquiètent pour leur fiston.
Edouard Baer et Leïla Bekhti jouent des parents, bobos de banlieue parisienne, qui s’inquiètent pour leur fiston.

« On veut ce qu’il y a de mieux pour nos gosses » : tous les parents essaient de bien faire pour leurs enfants. C’est de ce constat que sont partis le réalisateur Michel Leclerc et sa compagne et co-scénariste Baya Kasmi pour écrire « La lutte des classes » (sortie le 3 avril). Et la lutte des classes, ça commence à l’école primaire Jean-Jaurès, à Bagnolet, où est scolarisé Corentin dit Coco, fils de Sofia et Paul, une avocate et ancien batteur punk, joués par Bekhti et Edouard Baer.

Une famille de bobos de la banlieue parisienne pour qui l’école est forcément publique, laïque et républicaine. Mais quand les copains de Coco filent à Saint-Benoît, école privée et catho, et qu’il se retrouve « le seul blanc de la classe », les parents s’interrogent. Pas facile pour Paul, gauchiste qui a des principes, des idéaux, renvoyé à l’insu de son plein gré dans le camp des bourgeois. « Pour lui, c’est totalement insupportable à accepter », précise Michel Leclerc. Pas plus simple pour Sofia, ex-fille de cité désormais embourgeoisée : « Elle a tellement bien réussi l’assimilation, que son fils est pris pour le petit blanc de service, ce qui est pour elle difficile à avaler », ajoute le réalisateur qui confronte chacun des personnages à ses contradictions, « Pour moi, c’est important de ne pas s’arrêter à une idée toute faite sur quelqu’un ».

Michel Leclerc évoque ainsi le manque de moyens et d’attrait de l’école publique, malgré la bonne volonté des enseignants, un directeur d’école efficace mais réaliste (joué par Ramzy Bedia) et une institutrice sans aucune autorité (interprétée par Baya Kasmi), empêtrée dans le jargon de l’éducation nationale. Sur le même ton que ses films précédents, « Le nom des gens » et « Télé Gaucho », des comédies sociales et politisées, le cinéaste parvient à « transformer la lourdeur en légèreté », et à nous distraire avec un vrai sujet de société, la mixité, le communautarisme… jusqu’à malheureusement une fin ratée, avec une improbable spiderwoman.

Rencontre avec le réalisateur, lors de l’avant-première du film à l’UGC Nancy.

Michel Leclerc : « L’école doit être le lieu de la mixité »

Le titre de votre film, « La lutte des classes », a évidemment une référence sociale et politique…

Michel Leclerc : C’est un titre qui fonctionne dans les deux sens, c’est la lutte des classes au niveau scolaire mais ça recoupe très souvent les classes sociales. Dans beaucoup d’endroit en France, c’est le cas à Bagnolet, ce qui est le plus difficile c’est qu’il y ait une vraie mixité sociale, que des gens de différentes classes puissent se rencontrer, ça peut recouper ensuite des thématiques communautaires, culturelles, mais fondamentalement c’est ça que le film raconte : quelle est la possibilité de rencontres réelles entre classes sociales différentes, et l’école devient de moins en moins ce lieu de rencontres.

Le film est inspiré de votre expérience de parent ?

Oui, on a vécu dix ans à Bagnolet, et nos enfants étaient dans l’école où on a tourné. A un moment donné, on a eu des problèmes, notre fils était emmerdé à l’école, on a pris peur, cette peur nous a un peu pris à la gorge, Baya Kasmi et moi-même, par rapport à ce qu’on est, par rapport à ce en quoi on croit ; ça a duré longtemps, un an, et puis on s’est dit que ce n’était plus possible et qu’il fallait changer d’école. On a triché sur notre adresse, comme dans le film, pour le mettre dans une école de l’autre côté du périph, à Paris, toujours publique ; ça a été assez insupportable pour nous, mais tout de suite il allait mieux dans cette nouvelle école, et on a déménagé, nous aussi on a passé le périph pour habiter à côté de l’école.

Mettre ses enfants dans le public ou dans le privé, c’est clairement un choix pour les familles ?

C’est un choix pour ceux qui ont le choix, et ça ne l’est pas pour ceux qui ne l’ont pas. La question du film est vraiment centrée sur l’angoisse des parents : à quel moment, quand on a des idéaux, la peur pour ses enfants est plus importante que l’envie d’être fidèle à soi-même. En fait, ils ne savent jamais à quel moment ils doivent mettre un mouchoir sur leurs idéaux, parce que le bien-être de leur enfant est plus important, évidemment tout le monde veut le bien-être de son enfant, quelque soient les parents.

Michel Leclerc : « Je suis fils de profs pour qui l’école publique est sacrée ».
Michel Leclerc : « Je suis fils de profs pour qui l’école publique est sacrée ».

Selon votre film, l’école laïque ne serait plus le centre de la mixité sociale ?

L’école doit être ce lieu de la mixité, le socle de la République, je suis fils de profs pour qui l’école publique est sacrée, on ne peut pas abandonner l’école à son triste sort. Il y a un privilège de l’école privée, qui peut choisir ses élèves, alors que l’école publique ne peut pas, c’est quand même un déséquilibre important. Je ne suis pas là pour juger, je fais des films pour essayer de poser un débat, et déjà pour faire marrer, parce que j’ai envie de faire de la comédie et que le spectateur passe un bon moment, c’est mon tout premier désir, ensuite je pose plus de questions que je ne donne de réponses. On a l’impression que l’école publique en France est en train de s’écrouler et que si on n’a pas une réflexion générale, de l’ensemble de la société, ça ne va pas s’arranger. Ensuite, il y a l’idée que si les enfants grandissent séparément, je ne vois pas comment dans vingt ans ça ne va pas donner des situations explosives. Paradoxalement, la rue, dans un endroit comme Bagnolet, est plus mixte que l’école, il y a plus de gens de différentes origines, de différentes classes sociales, qui se mélangent, que dans l’école. Je ne dirais pas qu’ils se fréquentent, mais ils se côtoient. Pour moi, l’école doit permettre aussi à un enfant de sortir de son milieu familial et de voir qu’il y a autre chose.

« Les profs n’ont pas à prendre sur eux les malaises de la société »

Le personnage d’Edouard Baer a une phrase qui en dit long : « A l’école publique maintenant, tout le monde est croyant »…

Ce que dit le petit Coco, qu’il est le seul à ne pas croire en dieu dans sa classe, on l’a vraiment vécu. J’ai l’impression qu’il y a tout un tas de gens qui croient énormément en l’Education nationale, en l’école publique, laïque, et qui sont un peu perdus aujourd’hui, parce qu’ils ne se reconnaissent plus tellement dans l’institution. Pour qu’une école fonctionne, il faut qu’il y ait un mélange possible, on n’est pas obligé d’être d’accord avec un autre gamin qui n’est pas élevé de la même façon, mais si tu es isolé ça pose un problème. J’ai l’impression que ces sujets sont devenus de plus en plus prégnants dans la société à partir des années 90. Si je parle de religion dans le film, c’est qu’effectivement il y a des facteurs d’identification qui différent selon les périodes, et en ce moment c’est la religion. A partir de 8-9 ans, la société rentre dans la cour de l’école, parce que les enfants prennent conscience de qui ils sont, à quel genre de groupe social ils appartiennent, ça devient un sujet de discussion entre eux, et c’est là que ça devient compliqué.

Vous arrivez à faire sourire avec un exercice « intrusion attentat » à l’école primaire, qui est pourtant le signe de la gravité de l’époque ?

On demande aux profs de régler des problèmes qui ne sont pas les leurs, les profs n’ont pas à prendre sur eux les malaises de la société. A force de ne vouloir prendre aucun risque, tout sécuriser, et c’est valable aussi pour les parents, il y a quand même un risque plus grand à l’arrivée, c’est de créer une société où les gens ne se voient plus, ne se fréquentent plus, ce qui peut potentiellement être une bombe à retardement. Parents, on est tous obsédés par le zéro risque, il faut absolument mettre l’enfant à l’abri de tout, et ce qu’on leur apprend c’est la peur de tout.

Vous qui défendez des valeurs de gauche dans vos films, quel regard avez-vous sur cette gauche complètement dispersée pour les prochaines élections européennes ?

C’est évident que s’il y a d’un côté Jadot, de l’autre Glucksmann, ensuite Hamon, tout ça, déjà que tout est en ruines… Je me rappelais des primaires socialistes, ça parait complètement préhistorique aujourd’hui, tous ces mecs qui étaient dans les primaires ont tous disparu, ils n’existent plus. Une des portes de sortie de la gauche, c’est probablement de lier le social à l’écologie, ça parait être une évidence, puisqu’il y a une vraie demande de la société pour l’écologie, c’est par là qu’il faut aller.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« La lutte des classes », un film de Michel Leclerc, avec Leïla Bekhti et Edouard Baer (sortie le 3 avril).

Baya Kasmi, également co-scénariste du film, joue une institutrice sans autorité, et Ramzy Bedia un directeur d’école réaliste.
Baya Kasmi, également co-scénariste du film, joue une institutrice sans autorité, et Ramzy Bedia un directeur d’école réaliste.
France Grand Est Lorraine Meurthe et Moselle