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Thomas Lilti : « Il y a une inégalité face au travail »

Avec Vincent Lacoste et William Lebghil en étudiants, le réalisateur raconte la terrible « Première année » de médecine, et les difficultés de l’hôpital dans « Hippocrate », une série bientôt sur Canal+.

Thomas Liliti (à droite) : "En France, on a un système universitaire particulièrement élitiste".
Thomas Liliti (à droite) : « En France, on a un système universitaire particulièrement élitiste ».

Après l’hôpital dans « Hippocrate » et le quotidien d’un « Médecin de campagne », Thomas Lilti réalise un troisième film dans l’univers de la médecine, « Première année » (sortie le 12 septembre). Vincent Lacoste et William Lebghil y jouent deux étudiants en première année de médecine, qui bûchent, bossent, et révisent non-stop pour décrocher le concours. Rencontre avec Thomas Lilti, médecin et cinéaste, lors de l’avant-première son film à Nancy, au Caméo et à l’UGC, pendant l’opération Ciné-Cool.

Votre film raconte la dureté, la violence de cette « Première année », c’est un univers de compétition et de chacun pour soi ?

Thomas Lilti : En France, on a un système universitaire, un système d’accès aux grandes écoles, d’études universitaires post-bac, particulièrement élitiste et compétitif, et qui a tendance à avoir l’effet pervers de reproduire toujours les mêmes schémas et les élites. J’ai décidé de traiter de la médecine, mais j’aurais pu inscrire le film dans une prépa aux grandes écoles ou un autre cursus universitaire compétitif. En première année de médecine, on a une grande mixité, sociale, culturelle, par contre en deuxième année un étudiant sur deux a au moins un de ses deux parents médecin. Au lieu de gommer cette inégalité de départ, cet héritage culturel, ce concours, complètement décalé et sans contact réel avec ce que sera plus tard la pratique médicale, ne fait que la renforcer.

Pour reprendre une expression du film, c’est un concours « débile » ?

C’est moins une sélection qu’une élimination d’ailleurs, quand on ne garde que 20 % des bacheliers et qu’on en vire 80 % après un ou deux ans, on provoque chez beaucoup d’étudiants un manque de confiance, une perte d’estime de soi, le sentiment d’avoir raté quelque chose à 18-19 ans. Et puis surtout, pour ceux qui réussissent comme pour ceux qui ratent, on les a plongés dans un univers de compétition, d’individualisme, de rivalité, et on peut se demander légitimement si c’est ça qu’on doit stimuler chez ces jeunes gens et ces jeunes filles, alors qu’on souhaite les former à devenir de bons médecins, plutôt que des valeurs humaines qui me semblent plus positives, l’empathie, le goût de s’occuper des autres, le sens de l’écoute…

« Médecin, c’est comme une malédiction »

Quel genre d’étudiant en médecine étiez-vous ?

Je n’étais pas un très bon élève comme le personnage de Benjamin, joué par William Lebghil, parce que comme Benjamin j’étais un peu paresseux, un peu dilettante. Mais quand il a fallu s’y mettre, quand j’ai compris que ça ne suffisait pas d’avoir des facilités, et qu’il y avait un bon coup de collier à mettre, je m’y suis mis et j’ai eu mon concours.

Vincent Lacoste et William Lebghil jouent deux étudiants qui vont devoir s'accrocher et s'entraider.
Vincent Lacoste et William Lebghil jouent deux étudiants qui vont devoir s’accrocher et s’entraider.

Vous aviez l’impression de « ne pas être à votre place » lors de vos études de médecine, vous auriez préféré apprendre le cinéma ?

Quand j’étais au lycée, je voulais faire du cinéma. Je viens d’une famille où il n’y a pas d’autre salut que de faire des études supérieures, et si possible un peu prestigieuses, qui brillent un peu en société. J’étais dans ce modèle-là, et j’avais l’impression que c’était difficile d’aller contre. Je suis allé faire des études, mais dès la deuxième année l’envie de faire du cinéma était très forte, j’ai commencé à faire des courts-métrages de façon très amateur, en parallèle de mes études, et de fil en aiguille, je suis devenu et médecin et réalisateur.

Et dans quel métier vous vous sentez le plus ?

Médecin. C’est comme une malédiction, c’est le métier que j’ai appris. Quand on apprend un métier dès l’âge de 18 ans, on passe des concours, vous suivez un cursus que d’autres n’ont pas le droit de faire, vous êtes chanceux, vous faites quand même partie d’une élite, vous allez apprendre un métier compliqué, difficile, douloureux, dur en charge de travail et dur aussi en compétences, en connaissances… et que vous avez pratiqué ce métier une dizaine d’années, ça devient ce que je suis. Quand je fais de la médecine, je ne la fais pas comme un réalisateur de cinéma ; par contre, quand je réalise un film, je le réalise comme un médecin, ce n’est pas que je raconte des histoires de médecine, mais dans ma façon de me comporter sur un plateau, de parler à mes acteurs, mon équipe, d’appréhender les histoires, ce besoin que j’ai de faire en quelque sorte un diagnostic.

Votre film montre aussi combien il faut bosser dur pour réussir le fameux concours…

Ce film, je ne l’ai pas fait pour les étudiants, j’espère qu’ils vont le voir, ils vont se reconnaître, c’est un film qui leur parle, mais on ne voit pas souvent la jeunesse au travail en France dans les films. J’ai eu envie de montrer que les étudiants, en France, ils travaillent ; il y a 80 % d’une classe d’âge qui arrive au bac, et entrés à l’université la majorité bosse, ils ont soif d’apprendre, soif de savoir, soif de connaissance, soif d’apprentissage d’un métier, je voulais montrer ça et combien le système est injuste. J’aimerais tellement que ce film permette aux étudiants de dire à leurs parents : voilà, c’est ça ce que j’ai vécu. Ce qui me met en colère, c’est qu’on nous dit tout le temps que si vous voulez réussir il n’y a qu’à travailler, mais il y a une inégalité face au travail, surtout à l’école, il y a des gens qui travaillent beaucoup et qui y arrivent moins bien, il ne suffit pas de travailler pour y arriver, et c’est le devoir de l’école de gommer cette inégalité-là.

« J’adorerais raconter l’immense paradoxe des infirmières »

Après une trilogie sur la médecine au cinéma, vous en avez aussi fait une série, « Hippocrate », qui sera diffusée en novembre sur Canal+…

Oui, j’ai repris l’idée du film « Hippocrate », j’ai adoré la faire, je l’ai co-écrite avec trois auteurs, et je l’ai entièrement réalisée. C’est une série sociale sur les problèmes que rencontre l’hôpital, avec un ton qui est proche du film, de la comédie, mais aussi les grands sujets de société liés à la médecine, la mort, la maladie. Tout ça raconté à travers la trajectoire de trois internes et d’un médecin légiste étranger, ce ne sont pas les mêmes personnages que le film, mais la série lui ressemble beaucoup, c’est tourné dans des décors similaires.

J’imagine que vous avez vu le documentaire de Nicolas Philibert, « De chaque instant », sur la formation des infirmières ?

Je connais très bien Nicolas, qui est un camarade de travail, un cinéaste beaucoup plus expérimenté que moi. J’ai beaucoup aimé son film, j’ai surtout adoré la fin avec les témoignages de ces infirmières qui racontent leur stage, ça m’a bouleversé. Et ça m’a conforté dans l’idée d’un film sur lequel je travaille, que j’adorerais faire, raconter l’immense paradoxe des infirmiers et les infirmières qui aujourd’hui dans l’hôpital public, sont dans une immense souffrance au travail, peut-être la profession qui souffre le plus de toute la fonction publique, manque de moyens, manque de personnel, difficultés du métier, conditions de travail… Et pourtant, ils et elles disent toujours qu’elles font un des plus beaux métiers du monde. Ce qu’elles arrivent à endurer n’est supportable que parce qu’elles sont passionnées par ce qu’elles font, et qu’elles sont convaincues que ce qu’elles font est indispensable, ça donne foi en l’humanité et j’adorerais faire un film là-dessus.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Première année », film de Thomas Lilti, avec Vincent Lacoste et William Lebghil (sortie le 12 septembre).

"J'ai eu envie de montrer que les étudiants, en France, ils travaillent", dit Thomas Lilti.
« J’ai eu envie de montrer que les étudiants, en France, ils travaillent », dit Thomas Lilti.

 

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