Bryan Muller, Université de Lorraine
L’affaire Benalla fait beaucoup parler d’elle et apparaît comme le plus gros scandale d’État de la présidence Macron. Elle met en avant des violences policières – la vidéo qui fait le tour dans les médias et sur le net montre Alexandre Benalla frapper un manifestant sous le regard indifférent (donc complice, comme le veulent la loi et l’éthique) d’autres CRS – et des abus de pouvoir – Benalla ayant abusé de sa position de chargé de mission auprès de l’Élysée en de multiples occasions.
Cependant, une autre forme de violence est également évoquée dans cette affaire : la violence militante. Ainsi, des journalistes n’hésitent pas à faire des parallèles plus ou moins prononcés entre le microscopique « réseau » de « police parallèle » d’Alexandre Benalla et l’ancien service d’ordre gaulliste qui fit scandale par le passé, le SAC (Service d’action civique) : c’est le cas dans le JT de TV Libertés le 19 juillet, dans Libération le [20 juillet](http://www.liberation.fr/france/2018/07/20/vincent-nouzille-cet-acte-violent-a-un-vieux-parfum-du-sac-de-de-gaulle_1667958],_LaCroix_le22juillet,oudans_Marianne_le23juillet. La sagesse nous oblige à attendre les résultats de la commission d’enquête parlementaire avant de nous prononcer sur cette affaire. Cependant, elle nous offre l’occasion de présenter deux ouvrages sur cette thématique encore peu connue du grand public qu’est la violence militante.
Se battre pour ses idées : la violence militante en France des années 1920 aux années 1970
Publié en 2011 sous la direction de François Audigier et Pascal Girard, ce livre appelle les historiens à se saisir d’une question peu traitée en France : la violence militante politique. Bien que les politologues et sociologues français aient commencé dès les années 1980 à s’y intéresser – le plus souvent pour des faits de violences syndicales et étatiques, une décennie après pour les violences militantes religieuses –, les historiens français semblent manifester une grande réticence à étudier ce sujet (contrairement à leurs homologues anglo-saxons, italiens et allemands).
Les différents auteurs de ce livre s’efforcent de démontrer que si elle n’a pas connu la même intensité que l’Allemagne ou l’Italie, la France a été marquée par de nombreux épisodes de tensions politiques entraînant souvent des affrontements et parfois même mort d’homme. Des études de cas variées touchant l’ensemble du territoire sont présentes et portent aussi bien sur l’extrême gauche et l’extrême droite que des mouvements plus « traditionnels » comme les socialistes et les gaullistes. De plus, cet ouvrage fondateur pour l’étude de l’histoire de la violence militante en France a le mérite de montrer le rapport de la population et des militants à la violence : les cadres, les cultures politiques et parfois jusqu’au citoyen lambda valorisaient la lutte pour leurs convictions politiques. Cet ouvrage est par ailleurs très accessible, même pour des lecteurs non initiés.
Histoire des services d’ordre en France du XIXe siècle à nos jours
Également fondateur, ce livre lance définitivement le courant évoqué plus haut. Il s’agit du premier ouvrage d’une série – que nous espérons longue – de travaux portant sur la violence militante sous toutes ses formes dans une France (très) contemporaine. Ici, les services d’ordre, ces structures chargées de protéger les meetings, débats publics et contradictoires, personnalités politiques et manifestations, sont mis à l’honneur. François Audigier a réuni plusieurs auteurs pour traiter du sujet. Le lecteur peut alors découvrir les origines des premiers services d’ordre avec les « commissaires » de Déroulède, pour s’achever avec l’un des tout derniers organes similaires encore en fonction, le Département protection sécurité (DPS) du FN/RN.
Le XXe siècle est bien brossé – bien que l’ouvrage ne se veuille pas exhaustif –, et le lecteur peut voir les évolutions de ces structures sur les différents bords de l’échiquier politique chaque décennie. Il peut alors découvrir des organes aussi anciens que les « Camelots du Roi » de l’Action française, les « Hommes de confiance » de la SFIO, les « Dispos » des Croix de feu, les « groupes d’autodéfense » communistes, les « gorilles » du SAC… Une véritable plongée chez les « hommes d’action » des différents mouvements politiques.
D’autres ouvrages paraissent depuis quelques années sur le sujet et l’Agence Nationale de la Recherche n’y est pas étrangère puisqu’elle finance un projet sur les violences et les radicalités militantes. C’est ainsi que les éditions Riveneuve ont pu publier trois autres ouvrages focalisés tour à tour sur les violences des marges politiques, les territoires de la violence politique et la gestion de la violence par les syndicats. Des articles scientifiques sur le sujet semblent de plus en plus nombreux, comme le montrent les récentes publications de Vingtième siècle. Mais toutes ces études s’avèrent moins accessibles au grand public, et nous ne saurions trop vous recommander de démarrer par les deux premiers ouvrages cités.
Bonne lecture à toutes et à tous !
Bryan Muller, Doctorant contractuel chargé d’enseignement en Histoire contemporaine, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.