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« Après l’ombre », la lumière !

« Il y a un fantasme sur ce que serait la prison », constate Stéphane Mercurio, qui a tourné un documentaire avec d’anciens détenus. Interview.

Stéphane Mercurio : "je ne savais pas que ce serait un film sur la confiance et le collectif".
Stéphane Mercurio : « je ne savais pas que ce serait un film sur la confiance et le collectif ».

Alain, Dédé, Eric, Louis, anciens détenus de longue peine, et Annette, la compagne de l’un d’eux, ont participé à une expérience théâtrale, un spectacle, « Une longue peine », dans lequel ils racontent leurs années d’enfermement. Stéphane Mercurio les a filmé dans les coulisses, pendant les répétitions, et en a tiré un documentaire, « Après l’ombre » (en salles depuis le 28 mars), où résonnent leur parole et « des histoires d’hommes », souvent très lourdes.

« Après l’ombre » a été présenté au Caméo à Nancy, dans le cadre des Rencontres documentaires du 22ème Festival du Film d’Action Sociale, organisé par l’Institut Régional du Travail Social. « Ce qui m’intéresse pédagogiquement dans le fait d’amener des étudiants à voir des films, c’est de sortir de la salle de cours où on va théoriser sur la psychologie des détenus, pour aller plonger dans le réel. Le documentaire a ça de fort que la caméra va là où on ne peut pas aller », précise Daniel Frisoni, un des organisateurs du festival.

« Il y a un pont à faire entre la pratique artistique et la pratique du travail social, la pratique artistique permet de travailler sur les émotions, sur autre chose que de l’abstraction, et de cultiver la créativité des étudiants que je cherche à faire émerger chez eux par le documentaire, qui est vraiment une porte sur le monde. C’est à la limite de la citoyenneté, de la créativité pédagogique, pour ouvrir de nouveaux champs de réflexion et de formation », ajoute Daniel Frisoni.

Réalisatrice de « Mourir ? plutôt crever ! » avec le dessinateur Siné, Stéphane Mercurio a tourné plusieurs documentaires sur la prison, dont « A côté » avec les familles des détenus, et « A l’ombre de la république » dans les quartiers disciplinaires. Interview.

« Les entendre et restituer ce qu’ils sont »

Votre documentaire est titré « Après l’ombre », votre projet était de parler de l’après prison ?

Stéphane Mercurio : Oui, en fait, le film est venu un peu par hasard, j’avais un projet sur l’après, je cherchais des anciens détenus de longue peine, et quelqu’un m’a dit que Didier Ruiz, metteur en scène, était en train de préparer une pièce de théâtre, on s’est rencontrés et j’ai lâché l’autre projet. Didier Ruiz fait de la parole accompagnée depuis très longtemps, avec des ados, des personnes âgées, il n’y a pas de texte écrit. C’est devenu une pièce de théâtre où chacun raconte la même histoire, mais jamais exactement pareille, il y a des variations.

Pourquoi avoir choisi de filmer les répétitions plutôt qu’une captation de la pièce ?

"On a un déficit d'information sur la réalité de la prison", estime la réalisatrice.
« On a un déficit d’information sur la réalité de la prison », estime la réalisatrice.

Je trouve qu’une captation ce n’est pas intéressant, on perd le fait d’avoir les gens devant soi, c’est quand même moins bien que le spectacle pour de vrai. Le fil, c’était justement de réussir à faire un film qui ne soit pas la pièce, que je me décale un peu pour essayer de raconter autre chose. Je savais que ce serait un film sur la prison, je savais que ce serait un film sur le travail théâtral, mais je ne savais pas que ce serait un film autant sur la confiance et le collectif.

Effectivement, confiance est vraiment le mot qui revient, ils sont plusieurs à l’évoquer…

Oui, on assiste à la transformation parce qu’il y a cette confiance qui se met en place, et du coup ça permet à la parole d’advenir. Il faut vraiment avoir confiance en l’autre pour réussir à dire ce qu’ils disent, se laisser juger, le cadre de ce travail me permettait d’avoir ces histoires-là.

Symboliquement, ces hommes qui étaient à l’ombre sont mis en lumière, c’était un choix artistique revendiqué ?

Pour le coup, c’est le travail de Didier Ruiz, mais je travaille maintenant depuis quelques années sur la prison, avec cette idée de faire entendre cette parole qu’on n’entend pas. Elle nous permet, à nous qui n’avons pas été en prison, d’appréhender ce qui s’y joue, et de pouvoir y réfléchir. Plein de gens ont des discours autour de la prison, un peu toujours les mêmes, et je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de pensée sur la prison aujourd’hui. Avec l’explosion du nombre de détenus depuis vingt ans, se pose la question sur ce qu’on est en train de fabriquer avec cet enfermement ; c’est une question qui se pose, pas seulement pour ceux qui sont enfermés, mais aussi pour nous, dehors. Il me semble important de les entendre et simplement restituer ce qu’ils sont, c’est juste des hommes, des femmes, avec éventuellement un acte commis à un moment donné, mais ça reste simplement, bêtement, des hommes.

« J’essaie que les gens se posent quelques questions »

 

Dans le film, Didier Ruiz évoque le rôle politique du théâtre, vous vous inscrivez aussi dans le rôle politique du cinéma ?

A vrai dire, je ne sais pas ce que c’est que de ne pas faire quelque chose de politique. Il me semble qu’à chaque fois, dans les choix ou les non choix qu’on peut faire, c’est toujours le résultat d’une pensée sur le monde, tout ce qu’on fait a un point de vue. Je crois aussi que de dire d’où je regarde, d’affirmer un point de vue, permet au spectateur d’avoir une pensée. Si c’est politique, ce n’est pas réducteur comme le cinéma militant, qui peut parfois être très démonstratif et asséner des vérités, j’essaie que les gens se posent quelques questions.

Le but c’était de faire raconter l’intérieur de la prison par des personnes qui en sont sorties ?

Oui, ce qu’ils racontent sur la prison, ce sont des choses que les gens ne savent pas ou peu, même moi j’étais quand même étonnée. Il me semble important que les gens soient au fait de cette réalité, il y a une sorte de fantasme, de délire, sur l’hôtel quatre étoiles que serait la prison, qui est vraiment loin d’être la réalité carcérale ; on a un super déficit d’information sur la réalité de la prison.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Après l’ombre », un documentaire de Stéphane Mercurio (en salles depuis le 28 mars).

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