« J’ai vraiment suivi le livre », confie Marc Dugain, qui a superbement adapté au cinéma le roman de Chantal Thomas, « L’Echange des princesses ».
C’est le livre d’une autre qu’a choisi d’adapter au cinéma Marc Dugain, écrivain et cinéaste, auteur d’une dizaine de romans (dont « La Chambre des Officiers », filmé par François Dupeyron), et réalisateur notamment de « Une exécution ordinaire » (avec André Dussolier en Staline) et « La Malédiction d’Edgar » (sur Edgar Hoover). Mais il retrouve son sujet fétiche, la manipulation politique, dans « L’Echange des princesses » (sortie le 27 décembre), le roman de Chantal Thomas (Editions du Seuil).
Cet échange est celui imaginé en 1721 à Versailles, par le Régent de France, Philippe d’Orléans (Olivier Gourmet) : une diplomatie des mariages, l’échange d’une princesse contre une autre, en gage de paix, pour mettre fin à de longues et cruelles années de guerre entre la France et l’Espagne. La jeune demoiselle de Montpensier (la jolie Anamaria Vartolomei) part épouser l’héritier du trône d’Espagne (Kacey Mottet-Klein) ; tandis que l’Infante (Juliane Lepoureau), enfant « minuscule » aux grands yeux, quatre ans seulement, est promise à Louis XV, 11 ans (Igor Van Dessel).
« Quatre enfants, rois et reines malgré eux », qui assument avec noblesse leur destin, décidé par des adultes, le Régent et le torturé Philippe V d’Espagne (Lambert Wilson). La bienveillante Madame de Ventadour (formidable Catherine Mouchet), gouvernante du roi et de l’Infante, est l’une des rares à prendre soin d’eux.
Le récit est passionnant, l’épisode historique intrigant, et avec la complicité du directeur de la photo Gilles Porte, Marc Dugain a donné à cet « Echange des princesses » une lumière superbe et une image splendide, entre clair-obscur des châteaux, couleurs des costumes, et beauté des visages enfantins.
« La négation de leur état d’enfant »
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le livre de Chantal Thomas, au point de vouloir l’adapter au cinéma ?
Marc Dugain : Plein de choses, d’abord il y a son écriture qui est une remise en scène des choses de l’époque, et il y avait évidemment ce rapport aux enfants, à la manipulation et la négation de leur état d’enfant, cette façon de les considérer comme des objets, je trouvais intéressant de montrer ce monde des princesses sous un angle réaliste.
Le sort des princesses n’était alors que d’être « de la viande à marier » ?
C’est toute la question, l’obsession de la dynastie et l’obsession de la succession. Finalement, tout système monarchique est un système tribal, la tribu des Bourbon, la tribu des Condé, la tribu des Orléans, chacun est dans l’obsession de la reproduction, de la pérennité de son nom, et de la place de sa famille dans la part du gâteau de la monarchie européenne. C’est une obsession qui va conduire à des croisements, qui vont conduire à leur perte, puisque la consanguinité a tué la monarchie.
A quel point le roman de Chantal Thomas et votre film sont-ils proches de la réalité historique ?
Ils sont au plus près de la réalité. En tout cas, le livre de Chantal est au plus près de la réalité historique, et moi j’ai été au plus près du livre de Chantal. Je ne me suis pas replongé dans l’histoire, j’ai vraiment suivi le livre et j’ai essayé de restituer ce qui faisait que j’avais envie d’en faire un film, avec toutes les difficultés que ça représente de faire un film comme ça.
C’est vrai qu’il y a une très grande attention aux décors, aux costumes, à la qualité de l’image…
Il y avait avant tout une préoccupation esthétique, ce n’est pas uniquement raconter une histoire, j’espère que le film va plaire aux lecteurs de Chantal Thomas s’ils le voient, mais ça n’est intéressant que s’il y a un véritable effort visuel, un enjeu de cinéma, une direction artistique particulière. J’ai été très exigeant au niveau de plein de choses, en particulier des costumes, qui nous ont coûté une fortune, j’ai fait refaire tous les costumes par un costumier italien, Fabio Perrone, qui a tout refait à l’identique avec parfois des tissus d’époque qu’il a retrouvés partout en Europe. Après, il faut les mettre en valeur au niveau de l’image, il y a un travail énorme sur la couleur, je voulais restituer ce que les gens voyaient à ce siècle-là.
« S’il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas d’avenir »
On voit dans votre film que cette époque vit dans la terreur des épidémies, des maladies…
On était tout le temps malade, on n’arrêtait pas de mourir au XVIIIème, la variole était assez constante. En fait, les médecins accéléraient la maladie, puisqu’avec les saignées ils transmettaient le virus. C’est vrai qu’historiquement Madame de Ventadour a sauvé Louis XV, en empêchant les médecins de le toucher, il a survécu ; il est quand même mort de la variole, mais à 64 ans. Il y avait la peste aussi, qui était encore très présente.
Que ce soit en littérature ou pour le cinéma, d’où vient votre passion pour l’histoire, le récit historique ?
L’histoire, j’y ai été étroitement mêlé à partir de La Chambre des Officiers, puisque ça vient d’une expérience réelle, j’ai vécu au milieu de gens défigurés, des gueules cassées de la guerre de 14, pendant toute mon enfance, puisque je vivais dans leur centre de repos, avec mon grand-père. Devant le spectacle de cette dévastation, c’est là qu’est né mon goût pour l’histoire ; après, j’adorais Alexandre Dumas, qui m’a vraiment donné le goût pour l’histoire, Le Vicomte de Bragelonne est le livre qui m’a fait rêver. Après, ce qui m’a intéressé dans mes livres, c’est le décalage entre l’histoire officielle, telle qu’elle est racontée, et l’histoire réelle. Là, c’est pareil, on essaie de restaurer des pans d’histoire qui sont passés totalement inaperçus, et de montrer aux jeunes ce que c’était le XVIIIème siècle ; s’il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas d’avenir.
« Trump, il est cinglé, c’est un bouffon »
Dans votre dernier livre, « Ils vont tuer Robert Kennedy » (Editions Gallimard), vous évoquez une autre dynastie, où l’on retrouve un peu les mêmes schémas, la malédiction, les complots…
Sauf que les Kennedy viennent de rien au départ, ensuite le père Kennedy devient le patron de la mafia irlandaise, et comme il est très malin financièrement, il y a une fortune qui se fait, et effectivement il essaie d’installer une dynastie. C’est la revanche de l’Irlandais sur l’aristocratie anglaise, mais c’est quand même très différent.
Vous allez en faire un film de ce livre ?
Oui, j’ai commencé à l’adapter, je vais le tourner en anglais évidemment, au Canada, à Vancouver. On ne s’oriente pas vers une reconstitution, c’est un film vraiment sur le personnage, les Kennedy seront en arrière-fond, c’est plutôt le contexte du complot, je me méfie énormément du côté biopic, ça fonctionne difficilement sur les Kennedy, ils sont tellement connus. J’aimerais bien avoir l’acteur Michael Shannon, je l’ai rencontré au Festival du Film Américain de Deauville.
Vous qui connaissez bien les Etats-Unis, quel regard avez- vous sur Donald Trump ?
C’est Philippe V, Trump, il est cinglé, complètement cinglé, c’est un bouffon, il est dangereux. C’est quelqu’un qui vient de la télé-réalité, et qui s’est dit qu’il allait se faire une énorme pub en se présentant à la présidence, devenir encore plus célèbre, parce qu’il est très narcissique, et ça a marché. Je suis sûr qu’il a été surpris lui-même, en fait il n’a pas l’ombre d’une conviction, c’est pour ça qu’il twitte dans tous les sens, il est vraiment l’essence même de ce qu’est la société aujourd’hui, c’est-à-dire ses impulsions d’impatience. Mais heureusement, le système américain, qui est capable d’élire un président comme ça, a quand même pas mal de garde-fous.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« L’Echange des princesses », un film de Marc Dugain (sortie le 27 décembre).