Rencontre avec Michel Hazanavicius et Louis Garrel pour « Le Redoutable »
« Je préfère faire un film drôle sur un sujet chiant plutôt que le contraire », affirme Michel Hazanavicius. Mission accomplie : le cinéaste de « The Artist » et des « OSS 117 » a fait un film drôle, très drôle, « Le Redoutable » (sortie le 13 septembre), sur un sujet qui aurait pu être chiant, très chiant, Jean-Luc Godard. « La figure de Godard étant tellement intimidante, il ne faudrait pas que les gens pour qui Godard est chiant se disent ce n’est pas pour moi. Le film sert à prendre cette statue du commandeur, et mettre le mythe en difficulté », confiait Michel Hazanavicius, lors de sa venue à Nancy dans le cadre de l’opération Ciné-Cool.
Derrière le bar du Grand Hôtel, la rencontre est bruyante, portes qui s’ouvrent et se ferment, parquet qui grince, ballet de serveurs qui passent et repassent ; mais Hazanavicius remarque une photo au mur : Godard lui-même avec Johnny, Nathalie Baye et Claude Brasseur, un cliché pris dans l’ancienne salle de billard, lors de la sortie de « Détective » en 1985.
Tout l’art de faire semblant
Le vrai est donc là en image et son double aussi, pour de vrai, Louis Garrel qui joue l’emblématique cinéaste de la Nouvelle Vague. « Le projet du film pour moi n’allait pas de soi, j’étais inquiet », admet l’acteur, qui incarne son idole en l’imitant sans trop l’imiter, tout l’art de faire semblant d’être Godard, zozotage compris.
« Comme il est lui-même un créateur du cinéma, c’était étrange de le représenter artificiellement dans un jeu de masques, ça ne me paraissait pas naturel, car il existe dans la tête des gens », raconte Garrel, « J’ai vu dans le scénario de Michel qu’il y avait une distance comique et que je n’allais pas essayer de le faire plus vrai que vrai, que ça allait être un faux, et qu’on allait prendre plaisir à le regarder, enfin j’espère. C’est comme une projection fantasmatique, une réinterprétation de plein de Jean-Luc Godard. Au fond on ne sait pas qui il est, on est juste spectateur fou de ses films ou de ses interventions médiatiques, chacun a ses interprétations ; certains, comme moi, le trouvent impressionnant, d’autres le trouvent agaçant, le film est un mélange de tout ça ».
Présenté en compétition au Festival de Cannes, « Le Redoutable » est inspiré du livre d’Anne Wiazemsky, « Un an après », dans lequel la petite-fille de François Mauriac raconte ces années où elle fut l’épouse et l’actrice de JLG. « La Chinoise », c’était elle, cette fille trop belle, trop jeune, trop bourgeoise, qui avait alors « la chance d’admirer l’homme qu’elle aimait ». Même s’il « parlait trop ». Anne Wiazemsky est incarnée dans le film par la jolie Stacy Martin, qui a le physique des années 60, la grâce et la présence d’une jeune femme amoureuse qui écoute, observe, et va progressivement perdre son sourire. « Les souvenirs d’Anne Wiazemsky passent par une interprétation de Michel, c’est comme un rêve, on n’essaie pas de faire une reconstitution », précise Louis Garrel.
« Elle a beaucoup aimé le film, elle a dit que j’avais réussi à faire d’une tragédie une comédie, c’est ce vers quoi je tendais », ajoute Michel Hazanavicius, « Evidemment, j’ai pris des libertés, mais liberté, c’est le mot qui définit le mieux Godard ; pour respecter le livre, il fallait que je fasse du cinéma, le film évoque l’esprit du livre et la figure de Godard. Je ne le juge pas, j’essaie de faire une comédie, de montrer un mec très complexe, complètement mythique pour les gens qui aiment le cinéma, j’essaye d’en faire un être humain avec plein de paradoxes, à des moments il est odieux, à d’autres il est généreux, drôle, tout petit, très mesquin… il est multifacettes ».
« Amuser, faire rire, divertir »
Sur l’affiche, il est bien précisé qu’il s’agit bien d’une « comédie de Michel Hazanavicius », qui s’est autorisé de l’irrévérence avec une « icône de la pop culture, figure des années 60 », le réalisateur de « Bande à part », « Pierrot le fou », « A bout de souffle », « Le Mépris »… « Pour moi quand on parle de la Nouvelle Vague, on parle de Godard », dit le cinéaste qui s’est amusé « à la manière de », avec plans, sons, images, montage, décalages, textes, couleurs… Toutes les inventions et trouvailles de JLG, qui voulait révolutionner le cinéma comme Dylan révolutionnait la musique en électrifiant sa guitare, jusqu’à décontenancer leurs fans.
« Tout dans ce film est une histoire d’équilibre », estime Hazanavicius, « La comédie doit intervenir avec l’aspect tragique de l’histoire d’amour, la forme rend hommage aux motifs godardiens. Le film ne cherche pas à rendre cette figure sympathique, c’est quelqu’un qui n’a jamais cherché à être sympathique. En revanche, il rend hommage à son cinéma. Pour moi, c’était une manière de crédibiliser le personnage que de l’inscrire dans son propre univers, il est à sa place, il y a une mise en abyme, un jeu, qui permet de jouer avec tout ça. Par rapport à toute cette fascination, le film a avant tout la volonté d’amuser, de faire rire, de divertir, qui ne sont pas des mots qui viennent directement à l’esprit quand on pense à Godard ».
Ce « Jean-Luc de fiction », formidablement interprété par Louis Garrel, parle beaucoup, glisse, chute, casse ses lunettes, lance des piques, provoque, se fâche tout seul et avec tout le monde… « J’évoque une figure, c’est un personnage hyper controversé, paradoxal, j’essaie de le faire avec humour, effectivement je le mets parfois dans des situations où il est plus proche de Pierre Richard que de Jean Cocteau, mais je le fais aussi avec tendresse, avec respect », assume Hazanavicius.
Du burlesque et de l’émotion
Et c’est avec réalisme qu’il s’est appliqué à faire une belle reconstitution de mai 68, avec manifs, barricades, et assemblées générales houleuses dans les amphis de la Sorbonne, où se fait siffler « le plus con des Suisses pro-Chinois ». « Il y a une force, une vitalité, une espèce de joie de vivre, de cette jeunesse qui s’accapare la politique, mais ces jeunes gens qui prennent la rue ont très rapidement un esprit de sérieux qui vient les plomber, à part Cohn-Bendit il n’y a pas beaucoup de gens qui sont perméables à la vie», dit le réalisateur, qui a malicieusement confié un petit rôle de flic à Romain Goupil, un soixante-huitard « historique ». « Romain Goupil a fait un des plus beaux films sur mai 68, Mourir à trente ans, c’est une merveille, et il a longtemps été l’assistant de Godard », rappelle Hazanavicius, « L’engagement maoïste des intellectuels français en 68, çà fait cinquante ans, alors on peut peut-être en parler aujourd’hui avec la décontraction de la comédie ».
« Le Redoutable » et « The Artist » ont en commun d’être des films qui parlent du cinéma, avec du burlesque et de l’émotion, du vrai divertissement populaire et intelligent. Le titre, Redoutable, fait allusion à ce sous-marin, fierté passée de la Marine française, mais pas que. « C’est un mot qui ressemble à un film de Belmondo, il y a un côté héroïque que j’aime bien, et comme les mots terrible ou mortel, qui sont à double tranchant », s’amuse Hazanavicius. Redoutable, ce film l’est aussi parce qu’il raconte l’inexorable fin d’une histoire d’amour. Car « Ainsi va la vie à bord du Redoutable… ».
Patrick TARDIT
« Le Redoutable », un film de Michel Hazanavicius, avec Louis Garrel et Stacy Martin (sortie le 13 septembre).