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Lyme : collectionnons les tiques pour aider les chercheurs !

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Tique femelle du genre Ixodes, en France.
Alexandre Roux/Flickr, CC BY-NC-SA

Muriel Vayssier-Taussat, INRA; François Houllier, Université Sorbonne Paris Cité (USPC); Jean-François Cosson, INRA et Pascale Frey-Klett, INRA

Peut-être avez-vous déjà compté les papillons dans votre jardin à l’intention du Museum national d’histoire naturelle ? Alors vous serez sans doute ravi, cet été, de signaler vos piqûres de tiques ou celles de votre chien aux scientifiques de l’Institut national de recherche agronomique (Inra), grâce à votre téléphone. Et d’aider, ainsi, à vaincre la maladie de Lyme.

Cette pathologie et d’autres transmises aux humains par les tiques sont devenues au fil des ans un problème important de santé publique. Or on en sait encore trop peu sur ces parasites et les agents infectieux qu’ils transportent. C’est pourquoi plusieurs équipes de scientifiques se sont associées pour demander à tous les Français volontaires de s’impliquer dans l’effort de recherche en cours. Ce projet a été baptisé Citicks, « ci » pour citoyens, et « ticks », pour tiques, en anglais. Il suffit pour y participer de chercher l’application « signalement tique » sur Apple store ou Google Play store, lancée le 17 juillet, et de la télécharger.

Les Français se prennent au jeu des sciences participatives

En 2006, certains de nos compatriotes se postaient déjà sur leurs balcons pour noter combien ils voyaient passer de papillons « citrons » ou « petite tortue ». En dix ans, les Français se sont pris au jeu des sciences participatives. Ce mouvement, associant citoyens et chercheurs, permet d’accélérer l’acquisition des connaissances. Le projet Citicks s’est déjà doté d’un compte Twitter. Et notre équipe de scientifiques espère que le dispositif sera prêt cet automne pour que les citoyens puissent à leur tour entrer dans la danse.

Aujourd’hui, les personnes qui découvrent une tique fichée dans leur peau, au retour d’une promenade dans les bois, se contentent de l’enlever et de la jeter. En signalant leurs piqûres et en conservant ces petites bêtes, tout comme celles de leur animal de compagnie, ces mêmes personnes peuvent jouer un rôle décisif dans l’avancée des connaissances scientifiques. Car soyons francs : beaucoup de questions que les chercheurs se posent sur les mœurs et coutumes des tiques restent encore sans réponse.

Les tiques piquent-elles dans les forêts ou les jardins ?

Les interrogations de notre équipe portent sur le risque de piqûre, d’abord. Peut-on se faire piquer en hiver et en été, contrairement aux données disponibles indiquant que cela arrive surtout au printemps et à l’automne ? Y a-t-il des heures dans la journée – ou même la nuit – où les tiques sont plus actives et piquent davantage ? Est-ce qu’on se fait plutôt piquer dans les forêts, dans les parcs urbains ou dans nos jardins ?

Tique dans le pelage d’un chevreuil, aux États-Unis.
AFPMB, CC BY-NC-ND

Sur les microbes transmis par les tiques, ensuite. Quels sont les agents pathogènes les plus présents chez les tiques, dans le sud de la France, l’est, l’ouest, le nord ? Nous nous demandons aussi si certains d’entre eux n’auraient pas pour effet de rendre les tiques plus « agressives », les poussant à piquer davantage. Cela augmenterait les chances, pour ces microbes, d’être transmis à une proie et donc de survivre. Un « avantage » (du point de vue du microbe…) qui serait apparu par sélection naturelle. Pour en avoir le cœur net, nous voulons comparer des tiques trouvées en liberté dans la nature, et d’autres ayant déjà piqué un homme ou un animal. Et voir si les microbes qu’elles portent diffèrent, ou pas.

Une collecte d’informations à l’échelle du territoire français

Les réponses à ces questions impliquent une collecte énorme d’informations, à l’échelle du territoire français tout entier. Le mouvement des sciences participatives, également appelées sciences citoyennes, prend ici tout son sens. Lancé dès les années 1990 aux États-Unis, il se développe largement en France et suscite une implication croissante de la part des citoyens, qu’ils soient élèves, étudiants, professionnels hors de la communauté scientifique ou simples curieux.

Ainsi, ces différents publics contribuent activement à la science, par leur réflexion, leurs connaissances ou leur travail, en utilisant pour certains leurs propres équipements. Ils fournissent aux chercheurs des données ou des installations expérimentales, contribuent à l’analyse des données, soulèvent de nouvelles questions et co-créent une nouvelle culture scientifique.

Grâce aux sciences participatives, les interactions entre la science, la société et la politique sont renforcées, conduisant à une recherche plus démocratique. Le rapport publié en février 2016 à la demande des ministres de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, montre que de tels projets émergent dans un très grand nombre de disciplines. Ils sont motivés par la curiosité scientifique des citoyens, le besoin des scientifiques d’acquérir plus de données ou la volonté de résoudre, en commun, des problèmes complexes. Autant d’aspirations que l’on retrouve dans le projet Citicks.

Encore trop d’incertitudes sur la maladie de Lyme

Pourquoi mobiliser les citoyens sur l’étude des tiques ? Parce que les maladies qu’elles provoquent sont difficiles à diagnostiquer et que les tests de dépistage officiels manquent de fiabilité. Il y a donc urgence à mieux connaître leur écologie et celle des microbes qu’elles transmettent. Ces incertitudes ont d’ailleurs engendré des polémiques entre les patients et les services de santé publique, les premiers reprochant aux seconds de ne pas savoir reconnaître la maladie de Lyme… et les seconds soupçonnant les premiers de compter dans leurs rangs beaucoup de malades imaginaires. On ne peut laisser grandir la défiance des citoyens vis-à-vis du monde de la recherche et de la santé, sans réagir.

En France, le nombre de laboratoires spécialistes des tiques est limité, ce qui rend difficile un suivi correct des populations naturelles de tiques sur le long terme, dans des espaces naturels variés, au fil des saisons et à différentes heures de la journée. Le plan national de lutte contre la maladie de Lyme, lancé en septembre 2016, prévoit ainsi de fédérer à la fois les chercheurs, les associations de malades, les amateurs éclairés que sont les naturalistes, les agriculteurs, les forestiers, les médecins, les vétérinaires, les pharmaciens et les citoyens.

Une appli pour déclarer le lieu où on a été piqué

Pour savoir où se concentrent les tiques, l’équipe de Citicks a donc lancé, cet été, son application pour smartphone, suivant en cela l’exemple de la Suisse. Celle-ci permet à chacun d’indiquer où et quand il a été piqué par une tique – ou bien son chien, ou son chat. Ces données sont automatiquement intégrées à une base de données. Un logiciel générera la cartographie des piqûres, consultable en temps réel sur les smartphones. Ainsi, les citoyens pourront choisir, en fonction de la région où ils se trouvent, de reporter leur sortie dans la nature. Ou de prendre des précautions, avec des vêtements couvrants ou des répulsifs. De leur côté, les scientifiques exploiteront les informations données par les personnes piquées, en y ajoutant des précisions sur la végétation environnante ou la météo du jour.

En plus de cette collecte d’informations, nous lançons une collecte massive des tiques elles-mêmes, qu’elles aient piqué l’homme ou bien des animaux domestiques ou sauvages. Des consignes précises sont données pour expliquer comment faire parvenir ces tiques aux équipes scientifiques. On peut notamment les conserver vivantes quelques jours dans un pilulier ou, mortes, dans de l’alcool à 90°.

Cette opération sans précédent en France permettra d’obtenir de précieuses informations sur les différents stades de développement des tiques piqueuses (larve, nymphe, adulte), les différents repas de sang qu’elles ont faits et les microbes qu’elles transportent.

Membres d’une association de patients (maladies neurologiques) lors d’un stage Tous Chercheurs à Marseille, en 2013.
CC BY

Enfin, notre équipe va organiser des stages de recherche consacrés aux tiques. Des citoyens pourront s’immerger dans un laboratoire pendant deux à trois jours, qu’ils soient membres des associations de malades, naturalistes, chasseurs, randonneurs, étudiants, professionnels de santé, de la forêt ou de l’agriculture. Ils y apprendront à reconnaître les espèces de tiques, à identifier les différents stades de développement et à analyser leurs agents pathogènes. Les tiques collectées grâce à Citicks serviront de base à leurs expérimentations.

Les stagiaires seront aussi invités à ramasser des tiques en liberté dans la nature avec les scientifiques, pour compléter l’échantillonnage et pouvoir répondre à d’autres questions de recherche.

The ConversationL’un des objectifs de Citicks est de permettre aux chercheurs et aux citoyens d’apprendre les uns des autres et de faire tomber les préjugés. Nous proposons de créer un lieu pour ces échanges et ces stages dans le laboratoire Tous Chercheurs de Nancy. Un « QG » pour Citicks, en partenariat avec l’INRA de Nancy-Lorraine, le laboratoire d’excellence ARBRE et l’Université de Lorraine. Nous faisons le pari que de ce brassage émergeront de nouvelles idées et des solutions qui permettront de mieux se protéger, demain, des risques de contamination par les tiques.

Muriel Vayssier-Taussat, Microbiologiste, INRA; François Houllier, Administrateur provisoire, Université Sorbonne Paris Cité (USPC); Jean-François Cosson, Spécialiste de l’écologie des maladies infectieuses, INRA et Pascale Frey-Klett, Microbiologiste, Chargée de projet pour le Laboratoire d’excellence ARBRE, INRA

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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