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Philippe Dupuy, Grenoble École de Management (GEM)
Grenoble École de Management et l’association des Directeurs financiers et des contrôleurs de gestion (DFCG) recueillent chaque trimestre l’avis des responsables financiers français. Les résultats sont agrégés au niveau mondial par un réseau d’universités coordonnées par Duke University aux États-Unis. Pour le deuxième trimestre 2017, l’enquête s’est déroulée du 23 mai au 9 juin 2017.
Notre indicateur de climat des affaires fait un bond spectaculaire en Europe : il s’établit à 61,2 pour le mois de juin contre 55,7 en mars sur une échelle de zéro à cent. Une fois n’est pas coutume, c’est notre pays qui est le moteur de cette euphorie !
La France enregistre un saut de près de 10 points passant de 55,5 en mars à 64,9 en juin. C’est sans aucun doute l’effet Macron. Cet effet est d’ailleurs de la même ampleur que celui que nous observions aux États-Unis, en début d’année, avec l’élection de Donald Trump.
Euphorie en France
Réponses à la question : « Quel est votre degré d’optimisme quant à l’économie de votre pays (onglet Pays)/de votre entreprise (onglet Entreprise) »
Il permet à la France de débouler dans le trio de tête des pays les plus optimistes en Europe avec la Suisse et l’Allemagne. Il est aussi frappant de noter que pour la première fois depuis la création de cette enquête, les responsables financiers nous disent avoir une confiance plus importante pour le pays dans son ensemble que pour leur propre entreprise et ce alors que la France a toujours été, selon nos chiffres, la championne du grand écart en faveur de l’entreprise.
Plus généralement, un vent d’optimisme souffle sur le continent européen : sur un an glissant, l’indicateur enregistre pour l’Europe une progression de près de 6 points (55,5 en juin 2016) et atteint son niveau le plus élevé depuis décembre 2007. Néanmoins, il est à noter qu’au Royaume-Uni, le Brexit continue de peser sur le moral des responsables financiers. Le climat des affaires s’établit à 50,5 en juin (52 en moyenne depuis un an) alors que nous enregistrions régulièrement des valeurs supérieures à 60 avant le vote de juin 2016 en faveur de la sortie de l’Union européenne.
Aux États-Unis, les entreprises s’impatientent
Aux États-Unis, le climat des affaires reste encore très favorable à la croissance : il s’établit à 67,4 contre 68,5 au trimestre précédent. Les turpitudes du président Trump, tout du moins telles que perçues en Europe, n’ont pas d’effet négatif sur le climat des affaires. Néanmoins, 40 % des responsables financiers déclarent que les incertitudes sont actuellement plus élevées qu’à la normale et que celles-ci conduisent une entreprise sur quatre à repousser dans le temps les nouveaux projets et investissements. Ces incertitudes concernent notamment la réforme de la couverture santé des salariés (Obamacare) avec un effet direct à la baisse sur le rythme d’embauche par les entreprises. La politique fiscale reste aussi un point d’inquiétude pour les entreprises américaines qui ne savent pas si et quand la réforme « Trump » sera engagée. En particulier, en attente d’une fiscalité plus favorable, les entreprises repoussent leurs investissements ce qui pourrait causer à court terme… un essoufflement de la croissance.
Climat des affaires
Niveau d’optimisme moyen des responsables financiers en Europe (bleu) et aux États-Unis (rouge)
Dans le reste du monde, le Mexique s’est remis de l’élection de Donald Trump : après un trou d’air en décembre (climat des affaires à 47), le pays renoue avec l’optimisme pour enregistrer, avec 72, le plus haut niveau de notre indicateur depuis 3 ans pour le pays. Hormis au Chili (47), le climat des affaires dépasse 50 dans tous les pays de la région.
En Asie, le climat moyen des affaires fait un bond de 5 points environ pour atteindre 63,6 contre 58 au trimestre précédent. L’ensemble des pays pour lesquels nous recueillons des données se situe au-dessus de 50, c’est-à-dire sur des niveaux favorables à une croissance de l’activité. Enfin, en Afrique, les indicateurs de climat des affaires sont très proches de 50 en moyenne avec néanmoins un point de difficulté en Afrique du Sud qui enregistre ce trimestre un niveau de confiance bas à 42.
Risque et décision d’investir
Ce trimestre, nous avons cherché à estimer le taux de rentabilité minimal moyen dans le monde au-dessus duquel les entreprises s’engagent dans des projets d’investissement. Nous avons obtenu le chiffre de 13.8 %, en deçà des 15 % souvent utilisés comme référence dans la presse économique. En règle générale, le taux de rendement minimal ressort comme plus élevé dans les grandes entreprises que dans les petites : pour se lancer dans un nouveau projet, les grandes entreprises, plus matures, sont en mesure d’attendre des projets plus rémunérateurs.
C’est en Europe que le seuil est le plus faible. En moyenne, au-delà d’une rentabilité de 13,4 % pour un projet, si les ressources en main d’œuvre le permettent, les entreprises se lancent à l’attaque. C’est en Asie que ce chiffre est le plus élevé (14,7 %). Doit-on en conclure que les entreprises européennes ont un appétit pour l’investissement plus important ? C’est plutôt l’inverse qui est vrai !
En effet, nous avons ensuite comparé ce seuil de rentabilité au coût moyen pondéré du capital des entreprises (WACC). La différence entre le seuil de rentabilité minimal et le coût moyen pondéré du capital peut être conçue comme une prime de risque sur les projets. Les résultats montrent une grande cohérence avec les études qui montrent que les différences culturelles à travers le monde se traduisent dans l’attitude face au risque.
Prime de risque élevée en Europe
C’est en Amérique du Sud que la prime de risque attendue est la plus faible (2,6 % en moyenne) et c’est bien en Europe qu’elle est la plus élevée (5,4 %). Rapportée au coût du capital, la valeur de cette prime est encore plus signifiante. En effet, alors qu’en Amérique du Sud ou aux États-Unis, cette prime ajoute environ 25 % au coût moyen pondéré du capital, en Europe c’est 67 % du coût moyen pondéré qui est ajouté. Autrement dit, pour investir, les entreprises européennes ont besoin de disposer d’un matelas de sécurité bien plus important que dans le reste du monde.
Néanmoins, lorsqu’on demande aux entreprises si elles s’engagent dans un nouveau projet à chaque fois que le seuil de rentabilité minimal est atteint, les résultats que nous obtenons tempèrent partiellement les précédents. Ainsi, aux États-Unis 77 % des entreprises ne s’engagent pas automatiquement dans les projets. Les raisons invoquées sont le manque de ressources en personnel ou en management ou encore l’inadéquation avec l’activité principale de l’entreprise. En Europe, ce chiffre n’est que de 37,3 %, ce qui semble indiquer que les entreprises du vieux continent, plus exigeantes en termes de taux de rentabilité minimal, opèrent un premier tri financier sur les projets. Mais une fois ce seuil de rentabilité atteint, leur propension à s’engager et donc à prendre des risques est peut-être plus élevée que celle de leurs homologues nord-américains.
L’enquête Duke University–Grenoble École de Management mesure chaque trimestre depuis plus de 20 ans le climat des affaires tel que perçu par les responsables financiers des entreprises à travers le monde. L’enquête est courte (environ 10 questions). Elle recueille plus de 1 200 réponses anonymes d’entreprises de tous secteurs et de toutes tailles. C’est désormais la plus grande enquête de ce type dans le monde. Une analyse étaillée par pays peut être envoyée à chaque participant.
Philippe Dupuy, Professeur Associé au département Gestion, Droit et Finance, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.