Federica Mogherini, 52 ans, directrice actuelle du Collège d’Europe et ancienne Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a été arrêtée mardi dans le cadre d’une enquête pour fraude.
Par Robert Harneis

Federica Mogherini a été placée en détention avec deux autres suspects : un cadre du Collège d’Europe et un diplomate italien de premier plan, Stefano Sannino, haut représentant du Corps diplomatique de l’UE, le Service européen pour l’action extérieure. Le SEAE compte 140 délégations à travers le monde, également assimilées à des ambassades.
Perquisitions
Les bureaux du SEAE ont été perquisitionnés, tout comme plusieurs domiciles privés. Selon le journal belge Le Soir, l’enquête est menée conjointement par un juge d’instruction de la région de Flandre occidentale et le Parquet européen (EPPO). La police belge a procédé aux perquisitions et aux arrestations. Avant l’opération policière, le Parquet européen a demandé la levée de l’immunité diplomatique des suspects, qui a été accordée.
D’après le site spécialisé Euractiv, un média indépendant d’information sur l’UE en partie financé par l’Union européenne, l’enquête concerne un programme de formation diplomatique financé par l’UE et dispensé au Collège d’Europe, situé à Bruges. Les détails des accusations restent flous, mais ils concerneraient des contrats conclus durant la forte expansion du Collège d’Europe. Une nouvelle antenne a été ouverte à Tirana, en Bulgarie, en 2024. Les investigations remontent à 2021-2022 et portent sur des soupçons de « fraude dans l’attribution de marchés publics, corruption, conflits d’intérêts, abus de confiance », ainsi que de possibles « favoritismes » dans l’attribution de places aux formations diplomatiques organisées par le Collège.
Des carrières diplomatiques brillantes
Federica Mogherini faisait partie des candidates pressenties pour succéder à Jens Stoltenberg au poste de secrétaire général de l’OTAN. Sa carrière a été soutenue par l’ancien Premier ministre italien Matteo Renzi, très pro-européen, qui, selon des sources bruxelloises, estime aujourd’hui que Mogherini l’a « déçue ».
Il convient de préciser que les faits investigués remontent à une période antérieure à la prise de fonction de Kaja Kallas en tant que Haute Représentante de l’UE. Cependant, Kallas pourrait être préoccupée par l’éclatement de ce scandale spectaculaire au moment où elle cherche à renforcer la présence diplomatique mondiale de l’Union. Âgée de 48 ans, Kallas, tout comme Mogherini, avait jusqu’ici une carrière politico-diplomatique sans faute. Elle fut Première ministre d’Estonie entre 2021 et 2024 et est connue pour sa fermeté envers la Russie. Son père, Sim Kallas, fut également Premier ministre estonien (2002-2003) et commissaire européen (2004-2014). Avant la dissolution de l’Union soviétique, Sim Kallas était un cadre important du Parti communiste estonien, spécialiste bancaire et dirigeant en Estonie.
Pourquoi et pourquoi maintenant ?
Il n’est pas illégitime de s’interroger sur les raisons et le moment de cet événement judiciaire exceptionnel. Une source proche du dossier commente : « comme à Kiev, ces arrestations reflètent peut-être une lutte de pouvoir sur l’orientation politique, et pourraient servir d’avertissement à Kaja Kallas, voire à la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, pour qu’elles modèrent leur hostilité à l’égard de la Russie, à l’heure où Washington semble encourager des démarches de paix ».
On note par ailleurs que le président finlandais Stubb, ambitieux et considéré comme protégé des États-Unis, qui paraissait récemment prêt à provoquer un conflit majeur avec Moscou malgré les risques pour la Finlande, semble désormais avoir opéré un virage complet en évoquant la nécessité d’améliorer les relations frontalières.
Il est également envisageable qu’il s’agisse d’un règlement de comptes américain remontant à l’attribution de la Coupe du monde de football 2010 au Qatar plutôt qu’aux États-Unis. L’ancien président Bill Clinton, chargé alors de défendre la candidature américaine, aurait brisé un miroir d’hôtel en apprenant la nouvelle.
Comme l’ont récemment démontré Joe Biden et Donald Trump, les États-Unis ont l’habitude de régler leurs comptes politiques en menant des actions judiciaires (« lawfare ») contre leurs adversaires. Après cette humiliation, plusieurs dirigeants du football furent extradés et emprisonnés aux États-Unis. Mogherini et Sannino ont d’ailleurs été cités durant l’affaire dite du Qatargate.
Une justice sélective ?
On peut s’interroger sur le fait que Mogherini soit visée avec une telle intensité, alors qu’Ursula von der Leyen semble intouchable malgré ses décisions controversées durant la pandémie de Covid, impliquant des dizaines de milliards d’euros d’argent public et des messages électroniques introuvables.
À l’inverse, la candidate à la présidentielle française Marine Le Pen a subi un acharnement constant de la part de la justice européenne et française, alors qu’il apparaît difficile d’affirmer que les irrégularités de son parti aient coûté le moindre euro au contribuable. L’affaire portait davantage sur l’usage des fonds que sur la perte d’argent public.
Les suspects libérés sans inculpation
Federica Mogherini et les autres suspects ont depuis été relâchés, sans mise en examen ni restriction imposée. Selon l’avocat de Mogherini, « l’audition fut longue, mais s’est très bien déroulée ».
Tout est bien qui finit bien, non?
Robert Harneis