Le bruit est un enjeu majeur de santé publique. Celui provenant des quelque 10.000 éoliennes du parc français n’échappe pas à la règle. Mais comment mesurer ces nuisances sonores ? Bruno Ladsous, président de la fédération Vent de Colère et administrateur du think tank Cérémé, nous aide à comprendre les tenants et aboutissants de cette règlementation complexe.

Éolien : les études acoustiques n’ont plus de fondement technique ni règlementaire
Le Conseil d’État a annulé le 8 mars 2024, avec effet rétroactif, les « protocoles reconnus » de mesure de l’impact acoustique des parcs éoliens terrestres, associés aux arrêtés ministériels successifs de 2021 à 2023. Pour défaut d’évaluation environnementale et défaut de consultation du public.
Il est à présent urgent de rechercher les voies d’un protocole juste et respectueux des exigences fixées par le code de la santé publique. Mais le ministère chargé de la Santé et de l’Accès aux soins se désintéresse du sujet, que par paresse ou pusillanimité, il a délégué au ministère de la Transition écologique.
Pourquoi faut-il définir un nouveau protocole ?
Parce que l’article 28 de l’arrêté ministériel du 26 août 2011 n’est plus fondé, qui se basait sur un projet de norme NFS 31-114 dont le ministère reconnaissait en 2020 que « son contenu technique, insuffisamment cadré, offre une grande latitude d’exploitation ».
Par principe, un projet de norme ne peut pas constituer une norme opposable. La 31-114 est donc restée un projet de norme parce que, dépourvue de consensus des experts, elle n’a jamais été portée à la consultation du public ni fait l’objet de la moindre évaluation environnementale.
Un nouveau protocole donc, mais quel protocole ?
La méthode normative de mesurage incontestable existante est la norme générale NFS 31-010, d’application obligatoire depuis 1996 pour toutes les mesures de bruit de l’environnement, dont une révision pilotée par l’AFNOR est en cours de finalisation post-enquête publique.
Un peu de technique :
Pour être robuste, l’étude acoustique d’un projet éolien doit remplir trois critères :
- reposer sur une norme de mesurage du bruit de l’environnement d’application obligatoire
- analyser et modéliser les émissions sonores dans l’environnement selon des pratiques professionnelles n’offrant aucune latitude d’interprétation
- établir la conformité de l’étude d’impact du projet ou de l’étude de vérification au regard de la réglementation en vigueur.
La règlementation en vigueur repose elle-même sur trois conditions cumulatives : respect d’un niveau sonore global maximum, respect d’un seuil d’émergence, recherche de tonalités marquées.
Chacun sait que la règlementation en vigueur doit évoluer, en ajoutant à l’indicateur ‘seuil d’émergence‘ d’autres indicateurs représentatifs des crêtes de bruit, de leur répétitivité et de leur durée d’apparition, et ne reposant plus sur des estimations statistiques susceptibles d’être contestées telles que la fameuse médiane qui laisse de côté… la moitié des émergences, la moitié la plus élevée.
Il s’agit donc de compléter la NFS 31-010 bientôt révisée, sans la contredire, par un protocole sur les points que cette dernière ne détaille pas, afin qu’elle permette de caractériser toute atteinte éventuelle à la tranquillité du voisinage ou à la santé humaine.
En pleine cohérence avec le code de la santé publique, cette solution, dont les contenus techniques ont été présentés en septembre 2024 par un groupe expert dédié, issu de la société civile, à la commission mixte du Conseil national du bruit, permettrait de sécuriser les projets en cours d’instruction ainsi que les installations autorisées en donnant une base technique et règlementaire aux mesures de vérification visées à l’article 28 de l’arrêté de 2011.
La ministre privilégie les intérêts de la filière éolienne par rapport à la santé des riverains
Deux questions parlementaires ont été posées, au Sénat et à l’Assemblée nationale, proposant au Gouvernement de compléter la norme NFS 31-010 par un protocole d’analyse des émissions sonores rendant compte des spécificités du bruit éolien.
Cette solution prendrait en compte — sans déroger au régime général — les spécificités du bruit éolien, telles que les basses fréquences et les modulations d’amplitudes, à la source de condamnations judiciaires ces dernières années.
Elle traduirait en actes la volonté des autorités d’instaurer une société de confiance, au regard des objectifs de santé publique qui exigent des protocoles garantissant efficacement la santé des riverains.
Mais le sujet de la santé des riverains n’intéresse pas le gouvernement, qui est obnubilé par l’éolien, cf. l’argument regrettable opposé aux honorables parlementaires :
« … une méthodologie de calcul de l’émergence basée sur les pics de bruit ou crêtes implique de réaliser des campagnes de mesures à chaque cycle de marche/arrêt des éoliennes, ce qui conduit à calculer l’émergence à chaque transition. Or les données météorologiques ont montré qu’il était impossible d’atteindre des critères de représentativité suffisants si l’on applique cette méthode, sauf à immobiliser les parcs éoliens pendant plusieurs mois pour réaliser le contrôle acoustique, ce qui implique des pertes de production d’électricité importantes et de revenus pour l’État. »
En réalité, l’éolien n’est pas une source de revenus pour l’État, mais un objet de pertes, cf. les subventions massives accordées depuis 20 ans à l’éolien (Programme budgétaire 345). Quant à l’expérimentation du protocole proposée, elle porterait sur un nombre limité, mais représentatif de parcs éoliens, et pourrait être financée par le budget dédié aux tierces expertises qui, très peu utilisé, est reconduit d’année en année.

L’argument de la ministre de la Transition écologique ne tient donc pas, qui a en outre botté en touche, exposant qu’elle attend les résultats de « deux études en cours »
- le projet RIBEolH lancé en 2020 sur les effets sanitaires des basses fréquences et des infrasons.
Il ne s’agit pas d’une véritable étude épidémiologique, comme on le mesure par :
o l’absence d’une véritable cohorte s’inscrivant dans la durée : le panel de participants consiste en à peine 1200 riverains non répartis selon une méthode rigoureuse
o une méthode de travail peu robuste : l’état initial de santé est obtenu essentiellement par voie de questionnaire, et l’exposition des participants au bruit des éoliennes est estimée grâce à des modèles d’ingénierie de prévision du bruit fabriqués en-dehors de tout protocole reconnu par les experts en acoustique.
Dotée d’un budget de 1,7 M€, il s’agit d’une étude ad-hoc, en format de boîte noire puisqu’aucune publication n’a été fournie depuis 2023, alors que le projet devait se terminer en mars 2024. - le projet PIBE , lancé en 2019 qui inclut un axe d’étude sur les modulations d’amplitudes.
Doté d’un budget de 1,4 M€, ce projet a donné lieu à quelques communications dans des conférences scientifiques, par le même auteur issu du Céréma, un organisme contesté, car non indépendant.
Ces « deux études en cours » n’ont donc aucune chance de constituer la réponse de fond attendue par les Français riverains de parcs éoliens.
Ainsi, face à une ministre de la Transition écologique fascinée par la filière éolienne et face à une ministre chargée de la santé qui se désintéresse de la santé des riverains de parcs éoliens, il conviendra d’en appeler à un arbitrage par des autorités supérieures.
Pour le moment, le ministère a recommandé aux porteurs de projets éoliens de continuer les mesures selon le protocole annulé et de restituer sous deux formats : celui des protocoles annulés en mars 2024 et celui du projet de norme NFS 31-114.
A cette recommandation figurant dans une simple Fiche Question/Réponse au statut juridique indéterminé, il n’est associé aucune évaluation environnementale ni consultation du public.
Cette fusion hybride de deux méthodes dont aucune n’a de fondement technique ni règlementaire est absurde. Elle constitue une carence administrative de nature à engager la responsabilité de l’État pour faute dans l’exercice de ses pouvoirs réglementaires.
Actions à venir
En attendant une évolution politique empreinte d’un peu plus d’humanité :
- Le groupe expert dédié issu de la société civile s’apprête à livrer une version actualisée du protocole présenté au Conseil national du Bruit. Elle intègrera les évolutions apportées par la révision de la norme générale NFS 31-010.
- Vent de Colère ! Fédération nationale propose à ses adhérents d’attaquer devant la justice administrative les arrêtés préfectoraux accordant ou ayant accordé des projets éoliens sur la base d’une étude d’impact dont les prescriptions spécifiques résultant du volet acoustique seraient fondées sur toute méthode relevant des protocoles annulés (avec effet rétroactif) ou du projet de norme NFS 31-114 ou des deux.
L’État français ne peut pas organiser sa propre incompétence, et il n’est pas acceptable que perdure la situation où des citoyens doivent prendre le risque personnel d’engager des finances lourdes pendant 7 ou 8 ans afin de faire reconnaître les nuisances dont ils sont les victimes.
• Vent de Colère ! Fédération nationale participe à la Pétition adressée au Parlement européen qui a été réouverte le 24 juin 2025.
L’objectif de celle-ci est à la fois de faire reconnaître le bruit éolien au même titre que celui des infrastructures ferroviaires ou routières ou que le bruit des discothèques, et d’obtenir que ce sujet du bruit éolien, bruit qui est partout le même, soit mesuré de manière identique ou à tout le moins cohérente par tous les États-membres.
Au plan pratique, il pourrait en résulter, dans les semaines et mois qui viennent, une mission d’information parlementaire à laquelle participeront alors les Fédérations d’associations françaises concernées, ainsi qu’un possible rapport d’initiative piloté par un parlementaire européen motivé par ce sujet techniquement complexe.
Complexe, mais essentiel, s’agissant d’un enjeu de santé publique.