Au-lendemain des frappes américaines sur les sites nucléaires iraniens, comment comprendre cette guerre ? Nous avons demandé l’avis de Leslie Varenne, directrice de l’Institut de veille et d’études internationales et stratégiques (IVERIS).

Donald Trump fait bombarder les installations nucléaires iraniennes, mais il déclare que les États-Unis ne sont pas en guerre contre l’Iran. Israël pilonne depuis onze jours des sites militaires en Iran, mais l’État hébreu se défend de toute agression. Comment faut-il comprendre cette drôle de guerre ?

Ce n’est pas une drôle de guerre, c’est une guerre, à la différence près qu’elle s’affranchit du droit international et de toutes les règles, y compris des conventions de Genève qui interdisent de frapper sur des cibles susceptibles de provoquer des catastrophes. Il est vrai que depuis octobre 2023 et l’intervention militaire israélienne à Gaza avec les carnages sur les populations civiles, les frappes sur les hôpitaux, la famine utilisée comme arme de guerre, toutes les lignes rouges ont été déjà franchies. Cela étant dit, si Donald Trump précise que les États-Unis ne sont pas en guerre, c’est en raison de considérations intérieures. La constitution américaine ne permet pas au président de déclarer un conflit sans l’aval du Congrès. Les frappes du 21 juin sur les trois sites nucléaires iraniens : Fordow, Natanz et Ispahan, étaient donc parfaitement inconstitutionnelles et illégales. Quant à l’État hébreu, il possède des armes nucléaires sans avoir, contrairement à l’Iran, qui en prime n’est pas un État doté de l’arme atomique, signé le traité de non-prolifération. C’est un monde sans foi ni loi. J’entends depuis quelques jours certains « experts » expliquer que certes tout cela est illégal mais ce ne n’est pas pour autant illégitime. C’est un raisonnement absurde. La légalité, c’est le droit, la légitimité est une notion à géométrie variable, qu’on peut tordre en fonction de ses opinions, de ses intérêts, mais qui en aucun cas ne peut régir les relations internationales.
Après les frappes américaines de dimanche dernier, l’Iran avertit que les frappes américaines « auront des conséquences éternelles ». Mais a-t-il les moyens de riposter ?
J’ai lu beaucoup de commentaires sur ce terme « d’éternel », mais il faut l’entendre comme une formule dans le récit d’un pays qui appartient à une civilisation multimillénaire et qui a donc le sens du temps long. Les autorités iraniennes ne sont pas démunies, elles ont un stock de missiles et de drones dont personne ne connaît le véritable nombre. Elles ont aussi des proxys dans la région : le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, les Hachd al-Chaabi en Irak, qui restent silencieux pour le moment mais qui n’ont pas disparu pour autant. Elles peuvent aussi bloquer le détroit d’Ormuz. Cependant, elles doivent faire face à une situation extrêmement complexe qui consiste à réagir suffisamment pour ne pas paraître faible mais pas trop pour ne pas envenimer un conflit que plus personne ne maîtriserait, ce dont personne n’a envie, y compris ceux considérés comme des alliés de Téhéran.
Cela étant, la situation est aussi très délicate pour Donald Trump. Il lui est difficile de se lancer dans une Grande Guerre au Moyen-Orient après avoir fait campagne en dénonçant inlassablement les aventures guerrières de ces prédécesseurs. Ses électeurs se font déjà bruyamment entendre. Pour l’instant, la charge reste sur les réseaux sociaux, mais, il n’empêche, elle est violente. En prime, les États-Unis ne sont plus en capacité d’ouvrir plusieurs fronts à la fois, la guerre en Ukraine n’est pas terminée, sans oublier que leur adversaire principal reste la Chine…
Finalement, seul Benyamin Nétanyahou agi comme un électron libre.
La Russie, la Chine, entre autres, ne se pressent pas pour aider Téhéran. L’Iran semble être isolé sur la scène internationale. Est-ce bien le cas ?
C’est l’impression que cela donne. S’il est vrai que la Russie et la Chine ont fermement condamné les agressions israélo-américaines sur l’Iran, notamment au Conseil de Sécurité, ces condamnations sont restées des discours très convenus. Pour autant, que sait-on de ce qui se passe en coulisses ? La Chine, la Russie, l’Iran sont des partenaires au sein des BRICS et de l’Organisation de la Coopération de Shanghai. Les coopérations entre ces trois États sont nombreuses. En mai, une ligne ferroviaire de 1350 km reliant la Chine et l’Iran a été inaugurée. Cette réalisation marque une étape clé dans les relations sino-iraniennes. – Ce qui au passage serait très utile au cas où Téhéran déciderait de bloquer le détroit d’Ormuz, les livraisons de pétrole à Pékin pourraient continuer par une autre voie.
Aucun de ces pays n’a intérêt à voir l’Iran sombrer dans la guerre et le chaos. J’ai tendance à penser que pour l’instant, la stratégie choisie par tous consiste à ne pas jeter de l’huile sur le feu avec des déclarations à l’emporte-pièce. Pour autant, cela ne signifie pas que Téhéran est isolé.
Finalement, il n’y aura pas de conflagration entre le Grand Sud et l’Occident. Le spectre de la troisième guerre mondiale s’éloigne-t-il ?
Jamais depuis la Deuxième Guerre mondiale, le monde n’avait à ce point dansé sur un volcan, avec des dirigeants occidentaux soit fantasque et imprévisible comme Donald Trump, ou inaudibles et égarés comme les Européens. Benyamin Nétanyahou s’est lancé dans une fuite en avant et les entraine tous dans son sillage. Jusqu’où cela peut-il aller ? Personne ne peut prédire la suite…