Nous publions chaque mois, sous la plume de Gilles Voydeville, l’excellente correspondance entre deux planètes, Gaïa, notre Terre et Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Dans sa lettre d’avril 2025, Gaïa constate que le populisme est le ciment d’un nouveau monde; s’extasie à la foire attractive et confie à sa soeur qu’il faut qu’un grand nombre de pays reconnaissent la Palestine.

Par Gilles Voydeville
Mois d’avril 2025 sur Gaïa,
Fêtes de Pâques.
Ma chère Aurore,
Aurore, ma belle Aurore, je pensai encore à toi. Je songeais qu’un jour, quand le temps sera venu, tu verras dans ton ciel ternir l’éclat de mon astre ou moi celui du tien. Ce sera notre fin et nous l’aurons bien méritée après tant de labeur à tourner et dessiner les plus belles ellipses de l’Univers.
Mais tu seras toujours trop éloignée pour voir poudroyer mon ciel du crachat des canons, voir rougeoyer mon herbe du sang des suppliciés et voir déborder mes océans des larmes du deuil. Et pourtant ! Tu verrais ainsi s’éteindre la lumière d’une époque et poindre l’éclosion d’une autre sans doute plus sombre et que l’on dira charnière. Quand elle l’est, elle finit en révolution qui fait des dégâts avant d’apporter un semblant d’équilibre. Jusqu’à présent les révolutions étaient menées par la gent du peuple qui se révoltait contre les faits du prince, les privilèges des aristocrates, la morgue des bourgeois, le savoir des instruits, et l’injustice des lois. Alors qu’aujourd’hui, dans ce monde qui me constitue, je vois monter la révolte des dirigeants qui s’estiment trop à l’étroit dans l’exercice du pouvoir auquel ils ont accédé. Candidats aux élections, ils l’ont réclamé, dénoncé. Une fois élus, ils estiment qu’ils doivent faire appliquer tout leur programme sans autre forme de procès. Car ils agissent pour le bien dudit peuple. Ils sont populistes au sens où – je me souviens de ta définition – ils défendent le peuple contre les abus qu’ont obtenu légalement des minorités agissantes. Ils nomment donc leurs partisans dans les cours suprêmes, annulent les décrets des prédécesseurs, destituent les fonctionnaires hostiles, gracient leurs partisans, coupent les budgets universitaires hostiles. Puis, ils vilipendent les juges, suppriment les aides des ONG contre les régimes tyranniques dont ils deviennent le soutien.
La nouvelle internationale
Cette Nouvelle Internationale qui vient de naître n’oppose plus le capitalisme au communisme, ni l’Occident au Sud ni le G7 aux BRICS. Elle est trans-partisane et sans considération sociale ou géographique. Elle répond au slogan planétaire :
« Populistes de tous les pays, unissez-vous »
Le populisme est le ciment d’un nouveau monde. Voir d’anciens ennemis se réconcilier sur la privation des libertés, voir un nouvel ordre fasciste s’établir, m’étonne et me glace plus l’équateur que les pôles. Car je n’y crois pas et crains pour la suite qui forcément verra les ego se combattre.
Comme tu le sais :
- Le bison américain a fomenté l’assaut du Capitole et veut annexer le Groënland.
- Son sous fifre a lui encouragé les extrêmes droites européennes et défendant les malversations d’une bagasse tricolore – la justice américaine elle avait manqué de ce courage et l’on voit où cela a mené – s’est ingéré dans la justice française.
- L’oncle Xi épuré le Parti et projeté le rattachement de la perle du détroit.
- L’Ours décimé son opposition et dévasté l’Ukraine.
- Le Renard ottoman enfermé son rival et commencé à grignoter son voisin.
- Le Tigre du Bengale encouragé le fanatisme religieux.
- le Faucon israélien décimé ses voisins et accaparé leurs terres.
- L’Argentin cassé son modèle social.
- L’Anguille hongroise louvoyé sur les rivages européens.
- La Diva italienne caressé les monstres.
Je suis en revanche surprise qu’un ancien djihadiste fasse preuve de respect pour toutes les franges de la population syrienne alors que son pouvoir n’est pas issu des urnes mais du combat… Si j’avais pensé un jour qu’un djihadiste deviendrait un parangon du respect des peuples…
Notre grand père Chaos doit s’en pincer les fumeroles pour comprendre qu’il ne rêve pas.
Le paradis

Mes charmants petits humanoïdes sont si tristes d’exister que parfois je me demande pourquoi je veux encore tourner. Pour preuve, la reconnaissance faciale faite pour les identifier et éventuellement les neutraliser est basée sur des photos numériques où mes Charmants ont l’interdiction absolue de sourire. Car face à un objectif mon charmant petit humanoïde aurait tendance à donner une image de lui plus agréable ; mais inhabituelle et peu conforme à son expression faciale la plus courante. Car sous les discrètes caméras d’identifications, dans la rue, dans les aéroports, sous les portiques, dans les files d’attente ou sous celles qui le surprennent en infraction au volant c’est à dire dans la vie courante, comme il n’y sourit pas, excepté pour les politesses d’usage, son identification en aurait été perturbée. La photographie qui est conforme à l’image qu’il donne presque toujours de lui est donc exigée sans sourire.
Mais – car il y a un mais – je ne suis pas ma chére Aurore désespérée par ce triste masque qu’il arbore au quotidien. En effet, l’autre jour je m’attardais sur un événement festif et j’ai regardé la foule de mes Charmants déambuler : Ils souriaient, riaient, éclataient de rire, exhibaient des mines de joie, plaisantaient, se tenaient, se tapaient dans les mains. Presqu’aucun ne semblait attristé par une quelconque amertume. Une foule immense et gaie comme une nuée de pinsons parmi les pervenches.
Était-ce les avants postes du paradis, je me le suis demandé ?
Car la lumière n’était pas celle de mon astre. Elle provenait de millions de sources, de rayons laser se croisant infiniment, de néons scintillant sur des enseignes gigantesques. Des constellations de leds pulsaient au firmament des stands, des obélisques bariolés renversaient des têtes et des estomacs. Des roues de la fortune éclaboussaient la foule d’un espoir diapré, des manèges tournoyaient en filant des rubans de couleur, le tout dans un tintamarre assourdissant mais, me sembla-il, lénifiant.
Bref, je m’étais attardée sur une foire attractive.
Et cet endroit me sembla le plus bel endroit du monde. Du moins celui où il y avait le plus de joie visible et de bonheur audible. Ma chère Aurore, je ne m’étais jamais attardée sur cette évidence qui montre que Charmant n’est gai que quand il s’occupe à un jeu, comme le grand enfant qu’il est. Un jeu sans enjeu qui lui gâcherait le plaisir d’oublier sa vie. Et dans cette débauche qui lui renvoie des milliards de photons roses, violets, rouges, bleus, jaunes, son cerveau comprend qu’il y a fête et qu’il faut laisser les soucis se noyer sous les cascades lumineuses des spots psychédéliques.
Là-bas les hauts parleurs des loteries et des casinos lui promettent la fortune, les trains fantômes le mystère et les labyrinthes, l’aventure. Quant aux wagonnets des rapides express, ils le grisent d’une vitesse folle. La Grand roue, elle lui assure une certaine hauteur de vue. La pratique des manèges à sensation, cette gloire de les avoir osés. Et les immenses chenilles ondulantes, cachant les occupants à la fin, l’espoir de toucher un genou voire de tenter un baiser. Et si je fouine du côté des autos tamponneuses si kitch, j’entrevois la possible transgression de l’interdit de se faire soi-même justice au volant.
Bref, il n’y a pas un plaisir, un espoir, un fantasme de la vie quotidienne de mon petit Charmant qui ne soit pas sublimé par l’une de ces attractions que je retrouve sur les grandes foires.
D’où des allées de visages souriants comme des smiley de chair et d’os, des blagues faisant marrer plus que bâcher l’auteur, des tapes bien endossées, des papilles émerveillées d’une saucisse ou d’une gaufre.
Sans doute des instants paradisiaques sans passer sous les fourches caudines de la religion pour les mériter…
Israël

Ma chère Aurore, avant de te quitter je dois aborder un sujet bien moins léger que celui de la foire. Oui dès que j’y pense, je me lamente et je cherche une solution qui n’existe pas ou du moins pas pour l’instant. Jusque-là, je ne pouvais trancher dans ma tête. Mais depuis quelques temps, c’est fait. Je n’ose en parler qu’à toi, car sur ma terre le sujet est plus que polémique.
Mais je pense que ça n’est pas rendre service aux Juifs que de ne pas condamner la politique du gouvernement des suprémacistes qui les dirige. Puisque plus tôt cette politique sera stopée, moins les conséquences en seront graves et moins le coût de la réparation en sera élevé. Quand je parle de coût, ma chère Aurore, je parle de coût financier mais bien sûr aussi du moral.
Car un jour viendra où il faudra bien rendre des comptes sur cette horrible évolution de la politique du gouvernement d’un peuple démocrate qui s’est fourvoyé dans une vengeance aveugle. Au point de pratiquer la décimation et puis maintenant d’envisager la déportation du peuple palestinien hors ses murs.
Certes pas avec des gaz et des wagons à bestiaux…
Oui, il y a une différence.
Car les Juifs d’Europe Centrale étaient un peuple pacifique qui ne menaçait pas le Reich avec ses roquettes et n’avait pas exterminé d’Allemands. Alors que le Hamas lui a perpétré un génocide au sens où il a décidé de tuer 1200 Juifs innocents au nom peut-être de leur religion, mais plus certainement au nom de leur appartenance à un état qui opprime les Palestiniens.
L’histoire jugera
Et si nombre de dirigeants d’Occident n’osent pas qualifier le gouvernement d’Israël de génocidaire, c’est par crainte d’être taxés d’antisémitisme. Mais il faudra bien un jour ouvrir les yeux sur les 50.000 victimes – dont peut-être 40.000 civils – de cet aveuglement. Cette politique sera forcément qualifiée, jugée, et nécessitera réparation. Il n’y a pas d’absolution sans aveux ni repentance. La France a parlé d’événements avant d’avouer la guerre faite au peuple algérien, la Russie d’Opération Spéciale pour l’instant. Après la négation des guerres, la réconciliation est plus longue à fleurir comme les Français le constate avec les Algériens. Mais aucun agresseur ne peut échapper à la vengeance tant qu’il n’a pas manifesté de repentance. Les Juifs méritent mieux que de vivre partout dans le monde dans des bastions retranchés et sous la menace permanente d’attentats et d’actes antisémites. Les Palestiniens ne méritent pas d’être déchiquetés et bannis.
Ma chère Aurore, je suis persuadée qu’il faut qu’un grand nombre de pays reconnaissent la Palestine. Cette reconnaissance réconfortera son peuple et finira par lui faire comprendre qu’il doit se trouver d’autres représentants qui ne soient pas des criminels.
Après cette reconnaissance mondiale des deux Etats et après ce changement de direction palestinienne, le peuple d’Israël pourra se séparer des fanatiques sionistes qui ont cru pouvoir s’affranchir de justice au nom du passé.
Ma belle Aurore, si tu voyais ma nature aussi belle dans mon hémisphère Nord, tu comprendrais que je la regarde pour oublier mes blessures. Mes magnolias s’épanouissent de rose et de blanc faisant des bouquets trop grands pour être offerts, si ce n’est à des impératrices. Mes cerisiers ploient sous les fleurs que l’on croirait cousues sur des robes de geisha. Mes rhododendrons s’étalent en arc en ciel de pétales dans les jardins royaux…
Et moi je pleure quand je ne les regarde pas.
Je t’enlace.
Ta Gaïa