« Plus je me renseignais, plus je me suis rendue compte que je n’y connaissais rien », confie la réalisatrice Lola Doillon, qui évoque l’autisme féminin avec sensibilité et bienveillance.

Si Artus avait utilisé la comédie pour montrer l’autisme et la différence avec son « P’tit truc en plus », Lola Doillon a choisi un récit plus naturaliste pour les évoquer dans son film « Différente » (sortie le 11 juin). « C’est venu totalement par hasard, je voulais écrire une histoire d’amour et on m’a proposé deux films sur l’autisme », confiait la réalisatrice aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où son long-métrage était présenté en avant-première. « J’ai cumulé les deux, ça parle d’autisme, ça parle d’amour, ça parle de différence de façon générale », ajoute-t-elle.
Son héroïne Katia, jouée par Jehnny Beth, n’est ainsi « pas la fille la plus simple ». Hyper sensible, la jolie jeune femme est sujette au stress, à l’angoisse, s’astreint à toute une série de rituels, de routines, pour s’organiser dans la vie quotidienne. « La complexité était de trouver une actrice qui ne joue pas à être autiste. Jehnny a un atypisme, je trouvais intéressant d’utiliser son atypisme (…) Elle a rencontré des femmes autistes pour essayer de comprendre », précise Lola Doillon (« Le Voyage de Fanny », « Contre toi »). Comédienne et chanteuse, Jehnny Beth a notamment incarné Christine Angot dans l’adaptation de son roman « Un amour impossible » par Catherine Corsini.
« Je ne me trouvais pas légitime »
Documentaliste dans une société de production audiovisuelle, Katia est en fait une autiste qui s’ignore. Pas adaptée au travail en open-space ni aux soirs de fête bruyants et animés, elle va comprendre quelle est sa « singularité », sa bizarrerie, à l’occasion de l‘interview d’une médecin spécialisée. Celle-ci constate ainsi que les femmes autistes s’adaptent et se camouflent mieux que les hommes, ce qui leur permet de mener une vie normale, et entraîne bien souvent un diagnostic tardif.

« Plus je me renseignais, plus je me suis rendue compte que je n’y connaissais rien », assure Lola Doillon, « Je ne me trouvais pas légitime, j’avais besoin d’être sécurisée, bien sûr, j’ai travaillé avec des spécialistes, j’avais très peur de dire des choses fausses, j’ai fait lire, relire et corriger, pour essayer de ne pas dire trop de bêtises ». Soulagée de mettre un nom sur sa différence, Katia va la revendiquer et dire « Je suis autiste » avec un sourire. « T’as pas l’air autiste », lui disent les autres, dans une forme de déni, jusqu’à sa propre mère qui refuse d’accepter la réalité.
« C’est un mot qui peut faire peur »
Cette fille « un peu spéciale » a cependant la chance d’avoir pour amoureux un mec patient, avec un côté nounours, Fred, joué par Thibaut Evrard (vu dans « La nuit du 12 »). « Je voulais un bon gars, un mec rassurant et à la fois bonhomme, qui puisse être humain et maladroit, j’avais besoin de les aimer », dit Lola Doillon, qui a choisi de mettre en scène « un personnage qui s’en sort plutôt bien », une jeune femme qui n’est « pas incapable, pas inférieure, différente ». Autiste. « C’est un mot qui peut faire peur », sait bien la cinéaste, « On est dans une société très inclusive, dans la non-acceptation de la différence, chacun est fautif. On peut vivre ensemble avec nos différences, il faut déculpabiliser, les gens se sentent maladroits ou impuissants ».
Observant les préjugés, l’ignorance, c’est avec sensibilité et bienveillance qu’elle évoque ainsi l’autisme féminin, et rend possible l’histoire d’amour de Katia et Fred. « Si le film peut être utilisé comme un outil, si ça peut aider les gens, chacun doit faire sa démarche. Du moment qu’on en parle, ça fait tomber les barrières », estime Lola Doillon.
Patrick TARDIT
« Différente », un film de Lola Doillon, avec Jehnny Beth et Thibaut Evrard (sortie le 11 juin).
