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Pour comprendre la crise au Niger

Depuis le coup d’État fin juillet 2023 au Niger, on constate une intense activité diplomatique et militaire des États de la région comme des grandes puissances. Pourquoi le Niger est-il si important, quels sont les enjeux de cette crise ? Réponses de Leslie Varenne, directrice de l’Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS).

Le 26 juillet 2023, des militaires prennent le pouvoir à Niamey. Le président Bazoum est séquestré. Le général Abdourahamane Tiani s’autoproclame chef de l’État pour rétablir, dit-il, la sécurité et la démocratie. Comment analysez-vous ce coup d’État au Niger ?

Leslie Varenne
Leslie Varenne

Ce coup d’État est avant tout une révolution de palais. Une affaire nigéro-nigérienne. Le général Tiani était une très proche de l’ancien président Mahamadou Issoufou qui est fortement suspecté d’être derrière ce putsch. Ensuite, le général Tiani aurait fait alliance avec les autres militaires et aurait abandonné Mahamadou Issoufou. Il n’y a rien de géopolitique là-dedans. C’est une affaire interne au Niger.
On a présenté le Niger comme « un exemple de démocratie » sous l’ère du président Bozoum. Était-ce vraiment le cas ?
En fait, l’élection de 2021 ne s’est pas tenue dans les normes. On dit que le président Bazoum est un président démocratiquement élu. Or, cette élection n’a rien eu de démocratique. Ce fut une passation de pouvoir entre Mahamadou Issoufou son ami et allié de trente ans qui l’a ensuite trahi.

Un vrai soutien populaire

Ce putsch de juillet 2023 a été vécu comme une solution pour une alternance au Niger, car les Nigériens pensaient que l’alternance n’était plus possible. Voilà pourquoi les militaires bénéficient d’un vrai soutien populaire. Il serait faux de croire que la population est AVEC les militaires, mais la population est POUR le changement. Si les militaires sont applaudis, c’est parce qu’ils représentent un espoir.

Pourquoi le Niger, petit pays de 25 millions d’habitants, intéresse-t-il autant les grandes puissances : la Russie, d’abord, les États-Unis ensuite, la France enfin qui entretient des relations privilégiées avec Niamey depuis son indépendance en 1960 ?

Pour l’instant, malgré tout ce que l’on a dit, la Russie n’a rien à voir dans ce putsch. D’ailleurs, les États-Unis l’ont reconnu. Les militaires nigériens ont prévenu qu’ils ne voulaient pas de la Russie, mais ils disent aussi qu’il ne fallait pas qu’on les pousse dans leurs bras, si jamais une intervention militaire était décidée contre eux.
S’agissant de la France, elle est au Niger depuis très longtemps, même si elle n’y a pas toujours été. Elle est revenue militaire au Niger depuis l’opération Barkhane. Après son départ du Mali, la France a rebasculé ses troupes du Mali et renforcé son dispositif au Niger.

Situation du Niger en Afrique de l'ouest (Google maps)
Situation du Niger en Afrique de l’Ouest (Google maps)

Une place stratégique

Quant aux États-Unis, ils sont très présents au Niger où ils ont une grande base de drones. Il suffit de regarder une carte. Ils ne sont pas là pour des intérêts commerciaux, mais parce que le Niger est une place d’un grand intérêt stratégique que les occidentaux ne veulent pas quitter. Il a une frontière avec l’Algérie, la Libye, le Tchad, à l’est, le Mali à l’ouest, le Burkina-Faso, le Bénin et le Nigéria. N’oublions pas que c’est du Niger que les États-Unis surveillent la Libye.

Quel rôle jouent les États-Unis dans la région ? Quelle est leur influence à Niamey ?

Leur influence à Niamey est faible. Ce qu’ils veulent : 1- Garder leur base absolument stratégique pour la région. 2- Ils ne veulent pas voir arriver la Russie dans ce pays.
Ils sentent bien que la France perd son influence dans ce qui était son pré-carré, elle n’est plus en mesure de contenir la Russie. Ils veulent donc remplacer la France qui ne joue plus son rôle dans cette partie du monde.

La Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) menace d’intervenir militairement pour rétablir Mohamed Bozoum sur son fauteuil de président du Niger. Est-ce une bonne chose ? Quel est le rôle de la Cédéao dans cette région de l’Afrique ?

La Cédéao est une organisation sous-régionale qui œuvre avant tout dans le domaine de l’intégration économique de la région. Ce qu’il faut savoir c’est que la Cédéao est depuis quelques années discréditée auprès des opinions publiques, parce qu’elle n’a pas joué son rôle, notamment en ce qui concerne le troisième mandat des présidents Ivoirien et Guinéen. Elle est plus vue comme un syndicat de chefs d’État que comme une organisation sous-régionale qui règlerait les problèmes politiques et économiques de la sous-région.

Bazoum, un président faible

D’un point de vue militaire, si la Cédéao intervenait, cela provoquerait un cataclysme pour toute la région. Parce que les opinions publiques ouest-africaines ne veulent pas de cette guerre. Cela embraserait toute la région. En outre, l’intervention serait difficile à faire. Remettre Bazoum en place, trois semaines après le coup d’État, serait contre-productif. S’il y a eu un coup d’État contre Bazoum, c’est que c’était un président faible. Le remettre au pouvoir alors qu’il a été encore plus affaibli et qu’il n’a plus l’armée avec lui, ce serait irresponsable.
Les conséquences d’une intervention militaires de la Cédéao seraient cataclysmiques. Ce serait suicidaire. Pour la Cédéao, elle-même, mais aussi pour tous les États qui la soutiendraient dans cette aventure. Il est toujours possible que la sagesse l’emporte.

Est-ce que l’économie du Niger est importante, notamment pour la France ?

La France, achète entre 10 et 20% de son uranium au Niger, mais cela n’a pas d’intérêt stratégique, car on peut en acheter ailleurs. Le véritable intérêt du Niger, c’est son positionnement géographique. Cependant, le Niger va devenir un pays exportateur de pétrole avec l’oléoduc qui par d’Agadem pour aller au Bénin. Un pipeline de 2000 km dont 1250 km au Niger doit produire 110.000 barils/jour. Cela va changer les données économiques du Niger.

Mercredi, les militaires annoncent avoir pris le pouvoir (capture C dans l'Air)
Mercredi, les militaires annoncent avoir pris le pouvoir (capture C dans l’Air)

Que peut-il se passer désormais ?

Si tout le monde est raisonnable, il y a des négociations. On s’accorde sur un chronogramme de transition et une date pour des élections libres et crédibles. La junte relâche le président Bazoum et sa famille. Et on accompagne le processus politique. C’est la version optimiste. Comme cela s’est produit dans les autres pays de la région où il y a eu des coups d’État. Il faut prendre en compte les réalités. La junte est au pouvoir, elle a un soutien populaire fort. Les jeunes s’enrôlent en masse pour soutenir l’armée. Les femmes manifestent pour exprimer leur soutien.
Les sanctions très dures prises contre le pays, la menace d’une intervention militaire ont donné une forte assise populaire à la junte. Sanctions et menaces ont exacerbé le renouveau du sentiment patriotique au Niger en ce moment. Toute intervention militaire serait risquée.

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