Alors que la justice continue d’enquêter, d’anciens employés, mais aussi des associations de lutte contre le harcèlement scolaire, tirent la sonnette d’alarme.
C’est notre confrère Mediapart qui a révélé l’affaire en janvier dernier. L’une des plus importantes associations de lutte contre le harcèlement à l’école pratiquerait en son sein… du harcèlement moral. Tous les regards se portent vers Nora Fraisse la dirigeante de la structure « Marion la Main Tendue », créée après le suicide de sa fille ainée en 2013.
D’après le site d’infos, une quinzaine de bénévoles, volontaires ou stagiaires du service civique, ayant travaillé aux côtés de la Présidente, ont en effet quitté l’association de manière prématurée ou dans un climat de « fortes tensions. »
Une plainte a été déposée par Lorine, l’une des multiples bénévoles de l’Association. Ce qui a entrainé l’ouverture par le Parquet d’Évry d’une enquête préliminaire « du chef de harcèlement moral au travail ». De nombreux autres témoignages font état de comportements « humiliants » ou « harcelants ».
« Je ne dormais ni ne mangeais plus »
Infodujour.fr a pu recueillir le témoignage de Ségolène Chambard. Cette jeune femme nous a raconté dans le détail son passage dans cette association. Elle avoue avoir vécu l’enfer au quotidien, une souffrance réelle et, au bout du compte, un départ en catastrophe.
Tout avait pourtant bien commencé. « Le premier rendez-vous avec Nora s’est merveilleusement bien passé » explique la jeune fille âgée de 25 ans et qui aujourd’hui tente de retrouver l’équilibre. C’est quand elle signe un contrat de 8 mois passant de bénévole à salariée que les tensions apparaissent. On lui demande d’animer des ateliers pour enfants harcelés, de les remettre en confiance. Mais cette jeune femme qui sort de la fac de droit se retrouve sans aucune aide ni formation de la part des responsables de l’Association. Aucun cadrage. Pas d’explication. Livrée à elle-même.
Dans une famille
« C’est là que je commence à entendre des vertes et des pas mûres. L’argument avancé par Nora est de dire qu’ici, on est une famille. »Sens toi libre de parler de tous tes problèmes » m’a-t-elle dit un jour. « Très vite Nora me fait sentir que je faisais du mauvais boulot. Que je ne remplis pas les ateliers. Désormais, je vais faire l’objet de remarques humiliantes et dégradantes. Elle se plaint que je suis trop lente, me présente comme une jeune femme impressionnable, »une plante verte » et cela parfois en public. Un jour, je me propose de participer au secrétariat de l’Association. Ce qu’elle accepte. Tout devient urgent. Il faut abandonner ce que l’on fait pour assurer ce qu’elle demande, lui montrer chaque mail. Six mois après, elle me retire les taches de secrétariat et m’accuse en public de mettre l’association en péril, en effectuant un travail dissimulé.
C’est là que je commence à déprimer. Je ne dormais ni ne mangeais plus. Chaque matin, je craignais de retourner dans les bureaux de l’Association. Pour moi, c’est cela le harcèlement. Finalement, j’obtiens un arrêt maladie de 10 jours. C’est la durée qu’il me restait à faire au sein de la structure. J’en profite pour ne plus jamais mettre les pieds à Marion et disparaitre de la vue et de la vie de Nora Fraisse ».
Les autres associations s’inquiètent
Alors que des investigations de justice sont en cours, un certain nombre de responsables d’autres associations s’inquiètent fortement des possibles retombées de cette affaire. Brisant ce que beaucoup considèrent comme une »omerta », certains représentants du monde associatif, engagés dans la lutte contre le harcèlement scolaire, ne cachent plus leur inquiétude.
Nous avons eu accès à un certain nombre de courriers transmis au cabinet du nouveau ministre de l’Éducation, Pap N’diaye. L’un de ses conseillers semble suivre de près ce dossier qui commence à devenir épineux.
Dans une de ces lettres envoyées au Ministère, une association basée dans l’Hérault tient à « faire part de (son) angoisse » face à l’impact potentiel que pourrait avoir la polémique sur les associations de lutte contre le harcèlement scolaire. (…) « Si nous sommes entachés, décrédibilisés, nous ne serons peut-être plus sollicités ou beaucoup moins.
Cela nous effraie, car l’écoute, le soutien et les conseils que nous prodiguons régulièrement permettent à des parents qui n’en peuvent plus de pouvoir s’exprimer, à des jeunes de trouver enfin quelqu’un qui les comprend et à des adolescents/adultes de briser le silence en soumettant leur témoignage. »
Une autre association qui travaille dans la région de Liévin au Nord de la France fait le même constat. D’après ce courrier envoyé au Ministère de l’Éducation, cette affaire « peut porter le discrédit sur le travail de toutes les autres associations ou autres mouvements (…) Il nous est arrivé (à de nombreuses occasions) d’orienter des familles dont l’enfant était victime de harcèlement scolaire vers cette structure, aussi, nous nous interrogeons de savoir si nous avons bien agi ? ».
De son côté, la Présidente de l’Association Martiniquaise « J’M Jade une étoile dans la nuit » ne mache pas ses mots. « Nous sommes inquiets de l’opprobre qui risque de rejaillir sur celles et ceux qui sont vraiment investis par cette mission et cet engagement qu’est la vie associative. »
Enfin, la Présidente d’une autre association fait remarquer dans son courrier qu’« Il semble tout à fait illégitime et contradictoire, en tant que Fondateur d’Association, de prétendre lutter contre le harcèlement scolaire, et en parallèle, harceler et « détruire » psychologiquement certains membres de sa propre équipe. »
Une association très médiatique
Et de s’interroger, comme d’autres, sur les soutiens politiques et financiers non négligeables dont dispose l’Association de Nora Fraisse. Avec le statut d’association à but non lucratif, celle-ci bénéficie de plusieurs « parrains et marraines » de poids. Très proche de la Première Dame Brigitte Macron, elle l’est aussi de Valérie Pécresse, présidente du Conseil Régional d’Île-de-France qui a soutenu la Création de la première Maison de Marion à Orsay en 2020.
Sans oublier la Ville de Paris qui offre gracieusement les locaux de la deuxième Maison de Marion, inaugurée en novembre dernier. Avantage non négligeable auquel s’ajoutent 45 000 € de subventions pour l’année 2021.
Quant au Ministère de l’Éducation nationale, il a réservé une place de choix dans le dispositif anti-harcèlement. « Marion » fait partie des contributeurs à l’élaboration des mallettes dans le cadre du dispositif PHARE (développé par l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer).
D’un point de vue médiatique et politique, la boucle est bouclée puisque c’est l’actrice Julie Gayet, épouse de François Hollande, qui incarne à l’écran Nora Fraisse dans « Marion 2013 pour toujours », un téléfilm produit par Luc Besson et diffusé en 2016.
« Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas »
Véronique Martinez ne décolère pas. « Si nous n’avions pas été là, ma fille ne serait plus de ce monde. Elle était anéantie ». Comme Ségolène et d’autres, Lorine a aussi beaucoup souffert au sein de l’Association. C’est d’ailleurs sa plainte qui a conduit le Parquet d’Evry à ouvrir une enquête préliminaire « dont les investigations sont toujours en cours ».
La maman de cette jeune fille blessée n’a pas de mots assez durs pour évoquer la Présidente de l’Association comparée au « gourou d’une secte ». Comme d’autres, elle ne craint plus de demander aux pouvoirs publics de réagir. « J’ai envoyé des courriers un peu partout. Au ministère de l’Éducation et à l’Élysée. Si par malheur, il arrive un drame au sein de la structure, une stagiaire un peu plus fragile que les autres par exemple, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Je refuse que l’on puisse faire commerce de la souffrance des enfants. Il ne faut pas que n’importe qui puisse faire n’importe quoi ». Quand on lui demande des nouvelles de Lorine, sa mère explique qu’elle s’est remise de cette expérience. Elle s’est redressée. Elle continue son chemin, mais veut surtout que la justice soit faite.
Contactée Mme Nora Fraisse n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.
Quant au service de presse du Ministère de l’Éducation nationale qui a donné un agrément à « Marion », voici sa réaction :
« Le ministère agrée et subventionne des associations et non tel ou tel dirigeant d’association ; en l’espèce, Marion la main tendue est une association qui est très engagée dans la lutte contre le harcèlement scolaire et s’est montrée très investie sur cette dynamique.
En cas de condamnation, soit d’une association, soit de ses dirigeants, des conséquences en sont naturellement tirées.
En revanche, compte tenu notamment du principe de présomption d’innocence, mais aussi de la personnalité des délits et des peines, il paraît difficilement envisageable de sanctionner une structure entière sur le fondement d’une plainte qui porte sur l’un de ses dirigeants, en l’absence de décision de justice. »
Une enquête de Frédéric Crotta