Mohamed Sakho Jimbira, Université de Lorraine
Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’une de ses premières contributions à The Conversation France
« Depuis les événements tragiques du 13 novembre 2015, les attaques terroristes se sont multipliées en France et à l’étranger. Après Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray, les dangers liés au terrorisme font partie de notre quotidien. Même si des mesures ont été prises pour lutter efficacement contre ce mal, il faut bien avouer que la tâche demeure immense. Hélas, comme le suggère le dessin de Rémi Malingrëy, toutes les menaces sont à prendre au sérieux, d’autant plus que leurs formes ne cessent d’évoluer ».
Plus de cinq millions d’utilisateurs ont utilisé l’outil de contrôle d’absence de danger « Facebook Safety » lors des attentats de Paris pour informer leurs proches et amis qu’ils étaient en sécurité. Inutile de revenir sur l’origine de cet outil inauguré en octobre 2014 par Mark Zuckerberg. Ce dispositif a indéniablement montré son utilité depuis sa création, en particulier dans un contexte où le lien social s’est beaucoup effiloché.
Des réseaux ouverts à toutes les dérives
Depuis quelques années, Facebook a fait l’objet de plusieurs critiques dénonçant ses pratiques de profilage et de captation des données personnelles à des fins commerciales et lucratives par le moyen d’algorithmes très sophistiqués. Dans le même temps, on observe que les menaces qui guettent les individus dans l’espace hors ligne sont également présentes en ligne. Les recherches que nous avons menées sur le sujet ont montré que le réseau social comporte également des espaces au sein desquels circulent des discours qui peuvent avoir un caractère pernicieux voire qui pourrait tomber sous le coup de la loi. Mais, la difficulté de lutter contre ces dérives réside dans le fait que ces utilisateurs potentiellement dangereux endossent de fausses identités et mettent en place des stratégies et tactiques de braconnage pour contourner le système de surveillance de Facebook.
L’absence de présence physique et l’anonymat augmentent les possibilités de falsification identitaire. Parmi ces dérives on trouve autant des discours à caractère pédophile, pornographique, raciste et autres, que des discours religieux radicaux voire extrêmes. Toutefois, soulignons que ces dérives ne sont pas propres à une religion, même si nos travaux de recherche portent essentiellement sur l’islam. D’ailleurs, les travaux de Gabriel Weimann professeur de communication à l’université de Haifa (Weimann, 2011, 2012) et de Namosha Veerasamy (Veerasamy, 2012) ont mis en relief la manière dont les groupes terroristes tirent profit des réseaux socionumériques.
Comme nous le savons, les mouvements radicaux se réclamant de l’islam utilisent également les réseaux socionumériques et y transposent leur propagande extrémiste. D’un autre côté, les 1616 perquisitions menées dans certains milieux et lieux de cultes musulmans qualifiés de radicaux, les 266 armes saisies, et les 290 assignations à résidence prononcées – chiffre du ministre de l’Intérieur – ont permis, selon les experts, de prévenir d’autres actions terroristes. Aussi, des mesures préventives similaires en collaboration avec les différents médias sociaux, en particulier Facebook, devraient pouvoir se faire selon des modalités à définir, quand il est avéré que certains profils, groupes ou pages comportent des discours radicaux extrêmes.
Des règles pour Facebook
Nous pensons que, compte tenu du danger à dimension planétaire que constitue le terrorisme, il devient nécessaire pour un réseau social comme Facebook, partie intégrante de la vie de millions de Français, de participer davantage à la lutte contre toutes les dérives, notamment extrémistes et fanatiques présentes en son sein. Ces espaces devraient pouvoir être soumis, au même titre que ceux du monde hors ligne, aux mêmes procédures de contrôle quand ils s’y trament parfois des actions dont la réalisation peut mener malheureusement à des centaines de morts, comme lors des récents attentats de Paris.
Bien entendu, Facebook étant régi par la législation américaine, il se pose des questions d’harmonisation des lois quant à la protection des libertés individuelles. Toutefois, des problématiques comme celle du terrorisme devraient faire l’objet d’un traitement spécial quant aux contradictions juridiques entre les États-Unis et la France. Néanmoins, il faut rappeler qu’en avril 2015 des mesures avaient été prises lors d’une réunion entre le ministre de l’Intérieur et les différents représentants des médias sociaux et des fournisseurs d’Internet, débouchant sur la création d’une plateforme de bonnes pratiques dans la lutte contre le terrorisme.
L’indispensable coordination avec les autorités
C’est dans ce même cadre, qu’une séance de travail sur la lutte contre la radicalisation et le terrorisme qui réunissait le Premier ministre Manuel Valls, la secrétaire d’État à la numérique Axelle Lemaire et les représentants de Facebook, Twitter, Google, Apple et Microsoft s’est tenue à Matignon le 3 novembre dernier. Les différents protagonistes se sont engagés à mener dans les deux prochains mois des travaux visant notamment :
• « À définir et mettre en œuvre une stratégie offensive de contre-discours qui cible spécifiquement les activités de Daech en ligne ».
• « À apporter le concours des développeurs et experts des entreprises du numérique pour élaborer des outils qui faciliteront l’implication de la société civile dans la lutte contre la propagande terroriste ».
Le rôle indispensable des chercheurs
Toutefois, ces actions ne sauraient être suffisantes face à une menace aussi sérieuse, et cette collaboration devrait franchir un palier supplémentaire. Il va sans dire qu’il s’agit d’une tâche très compliquée, ne serait-ce que dans la définition des termes et des concepts. Par exemple, à partir de quel moment un utilisateur peut-il être qualifié de terroriste ou faisant l’apologie du terrorisme ? Il y a là un vaste travail à conduire, afin de combler les vides juridiques liés à la nature propre des espaces numériques tels que Facebook.
Il incombe dès lors à l’État et aux représentants des différents médias sociaux d’associer dans cette réflexion les chercheurs universitaires compétents pour la tâche. Ces derniers sont plus à même de proposer des outils pour comprendre les enjeux liés à la complexité des problématiques inhérentes à la lutte contre le terrorisme dans les espaces numériques. Le terrorisme soulève des questions d’ordre historique, sociologique, philosophique et juridique, etc., qu’il convient d’étudier avec l’objectivité scientifique pour mieux voir, comment une meilleure compréhension de celles-ci peut aider à lutter efficacement contre ce mal. Par exemple, plusieurs chercheurs (dont Noam Chomsky) n’ont pas manqué de souligner le problème que pose l’absence de consensus dans la définition du terme de terrorisme. In fine, notons qu’il existe sur nombre de termes (Jihad, Jihadisme, Islamisme, Salafisme, Terrorisme, etc.) des ambiguïtés sémantiques qui empêchent une bonne compréhension des enjeux liés au terrorisme.
Mohamed Sakho Jimbira, Doctorant, ATER, en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.