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Etat : le recours abusif aux cabinets privés

Éliane Assassi, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, a présenté ce jeudi les conclusions de son rapport. Explosif.

Eliane Assassi frapporteure de la commission d'enquête du Sénat sur les cabinets privés (capture Sénat)

Le Sénat a créé une commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, à la demande du Groupe communiste républicain, citoyen et écologiste. Présidée par Arnaud Bazin, cette commission a enquêté pendant quatre mois pour mesurer l’influence des cabinets de conseils privés.
Après 40 auditions, 47 personnes entendues sous serment, 7300 documents analysés, la commission révèle « un phénomène tentaculaire ». Son rapporteur, Éliane Assassi constate : « Un recours massif et croissant aux cabinets de conseils ».

« Un pognon de dingue »

La crise sanitaire a mis en lumière l’intervention des consultants dans la conduite des politiques publiques. L’exemple de McKinsey est dans toutes les mémoires. Mais ce n’était en réalité que la face émergée de l’iceberg : au quotidien, des cabinets privés conseillent l’État sur sa stratégie, son organisation et ses infrastructures informatiques.
Ils s’appellent Accenture, Bain, Boston Consulting Group (BCG), Capgemini, Eurogroup, EY, McKinsey, PwC, Roland Berger ou encore Wavestone et emploient environ 40 000 consultants en France. Souvent, les fils de… ou les copains des copains. Car ces cabinets privés manipulent beaucoup, beaucoup d’argent. « En 2021, les dépenses de conseil de l’État ont dépassé le milliard d’euros » selon la commission d’enquête. Près de 85 % des dépenses sont concentrées dans 5 ministères : Intérieur, Économie et Finances, Armées, Transition écologique, ministères sociaux.

« Un réflexe »

La commission d’enquête du Sénat souligne encore que le recours à des consultants privés est devenu un réflexe, surtout lorsque le gouvernement est mis en difficultés. « Une relation de dépendance peut même s’installer » note le rapport.
À titre d’exemple, l’État recourt à des prestations de conseil de Sopra Steria et EGIS pour gérer les radars routiers, pour un montant prévisionnel de 82 millions d’euros entre 2017 et 2026. De même, il a dû faire appel à McKinsey pour mettre en œuvre la partie informatique de la réforme des aides personnalisées au logement (APL). Coût pour l’Etat : 4 millions d’euros !

La crise sanitaire gérée par le privé

L’exemple le plus criant et le plus récent concerne la gestion de l’épidémie de Covid-19. Au début de la crise sanitaire, le jeudi 5 mars 2020, un agent du ministère des Solidarités et de la
Santé écrit à ses collègues : « J’ai vu une boîte de logistique hier habituée à travailler dans la pharma […]. Ils peuvent être là lundi pour monter le truc. […]. J’ai demandé l’ordre de grandeur, 50 000 euros pour nous mettre en place le système et suivre le déploiement pendant 15 jours. » La ‘’boîte’’, c’est le cabinet de conseil Citwell ; l e ‘’truc’’, c’est un système de pilotage pour l’approvisionnement de la France en masques.

Un phénomène tentaculaire.

Cet exemple montre l’impréparation de l’Etat et des différents ministères dans la gestion de la crise. Au moins 68 commandes sont passées, pour un montant total de 41,05 millions d’euros. D’après les données recueillies sur un échantillon de 5 cabinets, l’intervention d’un consultant est en moyenne facturée 2 168,38 euros par jour.
Trois cabinets concentrent les trois quarts des dépenses : McKinsey (la clef de voûte de la campagne vaccinale), Citwell (le logisticien) et Accenture (l’architecte des systèmes d’information, dont le passe sanitaire). À eux trois, ils mobiliseront 11.128 jours de consultants pendant la crise.
Mais il ne s’agit que d’exemples parmi beaucoup d’autres. le phénomène est tentaculaire.
La commission d’enquête fait donc une série de propositions pour en finir avec l’opacité des cabinets de conseil privés.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

En finir avec l’opacité des prestations de conseil

  • Publier chaque année, en données ouvertes, la liste des prestations de conseil de l’État et de ses opérateurs
  • Présenter les prestations de conseil dans le bilan social unique, pour permettre aux représentants des agents publics d’en débattre
  • Interdire aux cabinets de conseil d’utiliser le logo de l’administration dans leurs livrables, pour plus de clarté et de traçabilité dans leurs prestations

Mieux encadrer le recours aux cabinets de conseil

  • Évaluer systématiquement les prestations de conseil et appliquer des pénalités lorsque les cabinets ne donnent pas satisfaction
  • Cartographier les compétences dans les ministères et élaborer un plan de « réinternalisation », pour mieux valoriser les compétences internes et moins recourir aux cabinets de conseil.

Renforcer les règles déontologiques des cabinets de conseil

  •  Interdire les prestations pro bono, en dehors du mécénat dans les secteurs non marchands (humanitaire, culture, social, etc.)
  • Imposer une déclaration d’intérêts aux consultants afin que l’administration puisse prévenir les risques de conflit d’intérêts, sous le contrôle de la HATVP
  • Exclure des marchés publics les cabinets qui n’ont pas respecté leurs obligations déontologiques
  • Prévoir la destruction systématique des données confiées aux cabinets de conseil à l’issue de leur mission, sous le contrôle de la CNIL

Commissions d’enquête du Sénat
http://www.senat.fr/commission/enquete/
Téléphone : 01.42.34.23.28

Conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur les cabinets de conseil en vidéo

 

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