Le film de Ivan I.Tverdovskiy évoque avec force le souvenir d’une tragédie russe, la prise d’otages au Théâtre Dubrovka en 2002.
Une femme passe longuement l’aspirateur dans une salle de spectacle. Ainsi commence le film de Ivan I.Tverdovskiy, « Conférence » (sortie le 12 janvier). C’est cette salle que voudrait louer Natasha, qui pour l’occasion a quitté le monastère où elle est désormais retirée. Elle voudrait organiser une commémoration dans ce théâtre, à une date précise, le 26. Priée par le directeur de remplir un formulaire pour la réservation, le motif retenu est : conférence. En fait, ce sera une bien curieuse conférence, puisqu’il s’agit de rassembler des survivants de la prise d’otages qui s’est déroulée entre le 23 et le 26 octobre 2002, dans cette salle du Théâtre Dubrovka à Moscou.
17 ans après, ils ne sont finalement qu’une poignée à réoccuper la place qu’ils avaient alors, venus assister tranquillement à un spectacle musical. Natasha reprend place au rang 8 siège 26. Le siège où elle était assise lorsque des terroristes ont envahi le théâtre, menacé de tuer les spectateurs, et demandé le retrait des troupes russes de Tchétchénie. Là, elle a perdu son fils, et depuis sa fille la déteste irrémédiablement.
Des récits terribles, déchirants
Pour remplir les sièges vides, Natasha a prévu des baudruches, des silhouettes gonflées, qui suivant la couleur, bleues, blanches, définissent le statut, otage, terroriste… Chacun à leur tour, ils sont une poignée de survivants, ex-otages, à empoigner le micro, pour raconter ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu, ces jours et ces nuits-là, dans la salle même où tout cela s’est déroulé. Des récits terribles, déchirants, pour dire la frayeur, entretenir le souvenir. Tels des otages volontaires, certains jouent les prolongations dans ce théâtre, toute la nuit s’il le faut, pour aller jusqu’au bout des récits exutoires, pour rappeler cet horrible événement désormais oublié des autres.
Le cinéaste alterne les gros plans sur les visages et des plans fixes et larges face à la salle, donnant à ses images la beauté de tableaux antiques. En recomposant les véritables récits et en tournant dans ce même Théâtre Dubrovka, où les sièges sont toujours les mêmes, il évoque avec force le souvenir d’une véritable tragédie russe. Et pourtant, cette « Conférence » de stress fait penser aux témoignages de spectateurs lors du procès de la tuerie du Bataclan, à Paris.
Patrick TARDIT
« Conférence », un film de Ivan I.Tverdovskiy (sortie le 12 janvier).