Arnaud Bianchi, Université de Lorraine
Régénérer les cartilages du genou ou de la hanche abîmés par l’arthrose, telle est l’ambition d’une équipe de biologistes et de spécialistes des biomatériaux que nous avons réunie à l’université de Lorraine. Cette maladie, très invalidante, ne dispose pas pour l’instant de médicaments efficaces. Tandis que s’ouvre à Paris, le 30 novembre, le congrès de la société française d’arthroscopie, nous souhaitons attirer l’attention sur d’autres pistes que la chirurgie – fut-elle peu invasive comme celle-ci, pratiquée avec des instruments miniaturisés.
Une nouvelle voie de recherche consiste à expédier dans les articulations, à l’intérieur même des cellules du cartilage, des substances permettant de réparer ce « tampon » protégeant les os. Et ce, grâce à de minuscules véhicules dont la taille se mesure à l’échelle nanométrique, soit le milliardième de mètre. Les chercheurs les ont baptisé des « nanocargos », par allusion aux bateaux de marchandises, eux-mêmes relevant de ce qu’on appelle désormais la « nanomédecine ».
Notre équipe a identifié une première molécule naturelle bénéfique pour la synthèse de nouveau cartilage, que nous cherchons à envoyer par « nanocargo ». Le défi consiste à trouver le modèle de navire qui la mènera à bon port.
Une maladie favorisée par la sédentarité
L’arthrose est une maladie qui touche environ 10 millions de personnes en France. Elle va représenter un coût de plus en plus importants pour la société du fait de l’allongement de la durée de vie et du nombre croissant de patients. En effet, les risques augmentent avec l’âge, mais aussi avec la surcharge pondérale et la sédentarité. Des traumatismes des articulations sont également un facteur favorisant. Dans les cas les plus sévères, l’arthrose aboutit à la destruction du cartilage, ce qui entrave la mobilité et cause des douleurs intenses. Elle peut nécessiter la pose d’une prothèse, qui constitue une intervention lourde.
Au sein de l’université, trois laboratoires incluant des biologistes, des spécialistes de l’ingénierie des biomatériaux et des spécialistes de la vectorisation (le transport ciblé de médicaments) se sont associés pour apporter des solutions dans cette maladie des articulations. Il s’agit du laboratoire Ingénierie moléculaire et physiopathologie articulaire (Imopa) auquel j’appartiens, du Laboratoire d’ingénierie des biomolécules (LIBio) de l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires (ENSAIA), et de l’Institut Jean Lamour (IJL), laboratoire de recherche en science des matériaux.
Pour mieux comprendre le problème et la manière dont nous cherchons à le résoudre, il faut embarquer dans le voyage virtuel que je vous propose à l’intérieur d’une articulation, ici celle du genou. Celle-ci est composée de cinq tissus essentiels : le tissu osseux, le tissu cartilagineux, la membrane synoviale, le liquide synovial et les tissus élastiques tels que les ligaments et les tendons (voir la figure 1). A l’âge adulte, le cartilage est un tissu très spécialisé qui n’est ni vascularisé, ni innervé. Son remodelage est lent et il est nourri par le liquide synovial. Il contient environ 2,5% de cellules éparses dans une matrice dense dont l’épaisseur varie en fonction des articulations.
Cette matrice cartilagineuse, composée essentiellement de protéines de collagène, se comporte comme un tampon qui évite que les os se touchent. Elle agit à la façon d’une éponge retenant l’eau et s’écrase quand une pression s’exerce sur l’articulation – lors de la marche, par exemple, pour le genou. Cette matrice, chargée négativement, est en effet capable d’absorber beaucoup de molécules d’eau. Lorsqu’elle est dégradée, les os se touchent et c’est là que la douleur se fait sentir. Car les os, eux, sont innervés.
En résumé, le cartilage constitue un tissu élastique, résistant aux forces biomécaniques associées aux mouvements de l’articulation. Il permet d’assurer un bon glissement entre les pièces osseuses, amortit et répartit les pressions. Sa matrice est secrétée par un seul type de cellules, le chondrocyte. Et le chondrocyte, justement, est la destination finale que nous cherchons à atteindre avec nos nanocargos.
Le chondrocyte est l’usine où se fabrique la matrice du cartilage. Il assure un équilibre permanent entre la synthèse de nouveau cartilage et l’élimination du cartilage usé. Si le chondrocyte ne travaille plus ou mal, cela aboutit à l’arthrose. La synthèse, l’incorporation et la dégradation des protéines de la matrice sont toutes dirigées par les chondrocytes.
Expédier un nano-médicament jusque dans le cartilage
Nous avons pu mettre en évidence le rôle essentiel d’un ion, le pyrophosphate inorganique (ePPi), dans la capacité du chondrocyte à réaliser son travail correctement. Le défi consiste maintenant à apporter cet ion en quantité suffisante aux chondrocytes, en laboratoire déjà, et plus tard, dans le cartilage des patients.
Pour l’expédition, donc, de ces « nanomédicaments », nous cherchons actuellement des structures dans lesquels les encapsuler. Des véhicules capable, une fois injectés jusque dans les cartilages du genou, de franchir l’obstacle le plus redoutable, la traversée de la matrice. La plupart des tentatives effectuées jusqu’ici par des chercheurs avec des véhicules comme des virus ou des plasmides (fragment d’ADN) se sont en effet soldées par un échec. Les substances embarquées ont plutôt été transférées vers les tendons et la membrane synoviale que dans le cartilage et ses chondrocytes…
Notre idée, développée dans le cadre du Projet exploratoire premier soutien (Peps) Mirabelle mis en place par l’université, consiste à utiliser des nano-objets naturels, donc biocompatible et biodégradable, que nous détournons pour un usage thérapeutique. En effet, les cellules communiquent spontanément entre elles via des nano vésicules (appelées vésicules matricielles) de 200 nanomètres ou d’autres structures plus petites encore, les exosomes, de 20 nanomètres. Notre hypothèse est que le succès de l’opération dépendra de leur taille et de leur structure lipidique. Autrement dit, que des véhicules plus petits seront capables de traverser plus efficacement la matrice. Aussi nous recourrons actuellement à des véhicules de 100 nanomètres (voir la figure 2) issus de déchets organiques, et nous envisageons d’en tester de plus petits.
Quand le nanocargo efficace sera trouvé, on peut imaginer que d’autres substances bénéfiques pour le cartilage soient acheminées par le même procédé. Et que l’articulation retrouve ainsi sa fonctionnalité.
Arnaud Bianchi, Ingénieur de recherche (IR1) CNRS, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.