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« Les amants sacrifiés », amour et trahisons

Avec une image élégante et un scénario machiavélique, le cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa a tourné un film à la fois historique, romanesque, et d’espionnage.

Yusaku et son épouse Satoko forment un beau couple, occidentalisé, fortuné, qui semble d’abord imperméable aux tourments de l’époque.

Lion d’Argent au Festival de Venise en 2020, « Les amants sacrifiés » (sortie le 8 décembre) est le premier film historique de Kiyoshi Kurosawa, habituellement cinéaste de l’étrange (« Kaïro », « Shokuzai », « Le secret de la chambre noire », « Real », « Invasion »…). Coécrit par Ryusuke Hamaguchi, qui a tourné « Senses » et « Drive my car » (Prix du scénario à Cannes), ce film se déroule en 1941, à Kobe au Japon ; Yusaku (joué par Issey Takahashi) est un entrepreneur qui fait des affaires avec des Occidentaux, ce qui est alors très mal vu, en pleine ferveur nationaliste. Avec sa jeune épouse Satoko (Yu Aoi), ils forment un beau couple, occidentalisé, fortuné, qui semble imperméable aux tourments de l’époque, à cette guerre qui paraît imminente.

Après un voyage d’affaires en Mandchourie, province chinoise alors occupée par le Japon, Yusaku semble cacher un secret ; Satoko le soupçonne de l’avoir trompée, avec une jeune femme ramenée de Mandchourie et retrouvée noyée. Mais elle choisit de faire confiance à son mari, malgré les révélations du nouveau chef de la police, un ami d’enfance. Le couple est effectivement sous la surveillance des autorités, et Yusaku a bel et bien un secret : un lourd secret d’Etat, qu’il veut révéler au monde occidental, même s’il faut pour cela trahir son pays. Il veut dénoncer des crimes de guerre, des atrocités, les terribles expériences menées par l’armée japonaise en Mandchourie, où a été testée la guerre bactériologique et répandu le virus de la peste.

Période de guerre et climat de suspicion

Comme dans ces films qu’ils tournent pour se distraire, Satoko cambriole le coffre-fort de son mari et découvre l’affreuse vérité. Pour sauvegarder son bonheur conjugal menacé, elle se fait l’instrument d’une trahison ; on croit à l’irrépressible volonté d’une femme pour sa bonne cause, l’union de son couple. Et qui se révèle alors plus manipulatrice, plus machiavélique, que son mari.

« Les amants sacrifiés » est à la fois un film historique, un film romanesque, un film d’espionnage, et un film psychologique ; dans l’urgence de l’époque, période de guerre et climat de suspicion, Kiyoshi Kurosawa observe le désarroi des personnages, leurs choix, le sacrifice et les coups du destin. L’image et la mise en scène séduisent par leur élégance, mais surtout le scénario est particulièrement bien construit. Lorsqu’on croit avoir tout compris, qu’on pourrait même commencer à s’ennuyer un peu, se déroule alors un imprévu, un rebondissement, qui nous détourne de la voie qu’on croyait si bien tracée. Et puis, c’est aussi un hommage au cinéma, par ces films que s’amuse à tourner le couple, et par cette bobine cachée, ces images qui sont une preuve tangible de l’horrible.

Patrick TARDIT

« Les amants sacrifiés », un film de Kiyoshi Kurosawa (sortie le 8 décembre).

Le couple est en fait sous la surveillance étroite des autorités, notamment du nouveau chef de la police, un ami d’enfance de madame.
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