« Le problème de la police, c’est la justice » affirment les policiers. Accusée de laxisme, l’institution est défendue par le Garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti qui répond « la police sans la justice, c’est le totalitarisme ». Bref, la justice est sur la sellette. Ce n’est pas nouveau. Voici que nous avions écrit en 2014 dans un ouvrage intitulé « Les dessous des affaires judiciaires ».*
Même les meilleurs juristes ont du mal à s’y retrouver dans le maquis des lois, décrets, règlements et autres directives européennes applicables en France. Avec un « stock » d’environ 400.000 normes administratives en vigueur en 2014, la justice est devenue totalement incompréhensible pour la grande majorité des citoyens. A tel point qu’elle est désormais source d’insécurité juridique.
Une anomalie que dénonce, entre autres, Jean-Michel Darrois, avocat d’affaires, spécialiste du droit des marchés financiers, des fusions-acquisitions, du contentieux et de l’arbitrage international. « Nous avons de plus en plus de textes, de plus en plus illisibles, de plus en plus longs, de plus en plus complexes, constate le célèbre avocat. Le Pr Soyer a comparé la Déclaration d’Indépendance américaine qui comporte un peu moins de 200 mots et une circulaire des années 80 sur la commercialisation des œufs de cane qui comporte plus de 70.000 mots ! »
Trop de lois, pourtant nul n’est censé ignorer la loi. Il s’agit évidemment d’une fiction juridique car personne ne peut connaître l’ensemble des textes législatifs et règlementaires (décrets, circulaires etc.) applicables aujourd’hui en France.
Combien y en a-t-il ? Beaucoup trop. On le sait depuis Montaigne qui, au 16ème siècle déjà, affirmait : « Nous avons en France plus de lois que dans tout le reste du monde et assez de lois pour gouverner ensemble tous les pays du monde » (Essais, Livre III) Montesquieu ajoutait dans L’Esprit des Lois (1758) : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Enfin, Portalis, l’un des principaux rédacteurs du code civil recommandait d’ «être sobre de nouveautés en matière de législation ».
Trop de lois ? Faisons les comptes. Il existe actuellement 64 codes juridiques (le code civil, le code pénal, le code de procédure pénale, le code de l’urbanisme, le code de la santé, le code général des impôts, du patrimoine, de la consommation, des assurances, des collectivités locales etc.). Ensemble, le nombre d’articles de lois auxquels les Français doivent se conformer est de 22.334. Mais le nombre de décrets qui précise les normes en vigueur est de 137.219. A quoi il convient d’ajouter les centaines de milliers de normes administratives en tous genres qui régissent tous les aspects de notre vie économique et sociale. Au total, « le stock » est d’environ 400.000 normes. Sans oublier les quelque 7.400 traités et 17.000 textes communautaires.
Le droit anglo-saxon
Une autre façon d’évaluer l’accumulation des lois et décrets applicables dans notre pays, c’est de mesurer la longueur moyenne du Journal officiel. Il est passé de 15.000 pages par an dans les années 1980 à 23.000 pages aujourd’hui. Quant au Recueil des lois de l’Assemblée nationale, il est passé de 433 pages au début des années 70 à près de 4.000 pages.
Il est vrai qu’une partie de l’activité législative est liée à la nécessité de transposer dans notre droit national les directives de l’Union européenne.
La France du 21ème siècle bat toujours des records en termes d’inflation normative. D’autant qu’au problème de la surabondance s’ajoute un problème de qualité des textes qui contribue à la confusion.
Ajoutons à cela le fait que le droit doit s’adapter au monde qui l’entoure et aux incessants progrès des techniques et des sciences. Cela induit l’apparition de contraintes nouvelles, parfois complexes.
« On constate une montée en puissance du droit anglo-saxon et des règlementations internationales, observe Me Darrois. Cela représente beaucoup d’inconvénients car les règlementations internationales sont en général des règlementations de compromis tenant compte de l’histoire juridique de chacun des Etats membres. Donc on aboutit à des textes illisibles, longs et complexes. »
L’avocat constate que les cabinets anglo-saxons sont les plus puissants que les Etats-Unis dominent le monde et par conséquent leurs pratiques juridiques ont tendance à se développer. « Elles risquent d’aboutir à une situation d’une telle confusion, avec une multiplication des textes, avec une jurisprudence de plus en plus incompréhensible, aléatoire, imprévisible qu’on peut penser qu’à un moment il faudra revenir à la détermination de règles simples. Les Etats ou Unions d’Etats seront-ils en mesure de le faire ? Si cela continue on peut prévoir que non. On peut envisager que l’élaboration des normes ne soit plus seulement confiée aux Etats mais aussi à des institutions nationales ou internationales, plus expérimentées dans les domaines qu’elles auront à trancher. On assistera à une multiplication des sources de normes qui seront des normes particulières, corporatistes. »
Le droit a dû s’adapter à un environnement mondialisé. Le droit des affaires notamment. La libéralisation de nouveaux secteurs (énergie, transports, télécommunications) a requis l’instauration de nouvelles règlementations. Le développement des biotechnologies a nécessité une refonte des lois sur la bioéthique…
« On constate l’apparition en France d’autorités administratives indépendantes, poursuit Me Darrois. Ce sont des autorités administratives qui produisent du droit, comme l’Autorité de la concurrence, le Conseil supérieur de l’audiovisuel CSA), l’Autorité des Marchés (AMF) et qui exercent également des fonctions quasi-juridictionnelles puisqu’elles peuvent poursuivre des personnes qui enfreignent leurs règles. Par exemple, en matière boursière, on le constate dans tous les pays du monde, elles vont être des autorités de régulation du marché boursier. Elles organisent par la voie du règlement le fonctionnement du marché boursier. Ses règlements doivent être respectés par tous les opérateurs boursiers. S’ils enfreignent ces règlement ils sont poursuivis par ces autorités administratives indépendantes qui font la loi, l’appliquent et en sanctionnent la violation. Elles sont à la fois législateur et policier, exécutif et législatif et en partie juge. Les trois pouvoirs sont donc confondus sous la tutelle des magistrats. Cela pourrait entraîner de grandes entreprises, en particulier dans le domaine financier, à installer leur siège à l’étranger pour faire dépendre leur droit des pays les moins regardants. »
Trop de lois de circonstance
Enfin, il faut bien le reconnaître, il y a trop de lois de circonstance. Les politiques sont tentés de faire des lois pour ‘’acheter’’ une clientèle sur le marché politique. « Le moindre fait divers donne lieu à l’adoption d’une loi nouvelle votée dans la précipitation » déplorait en 2008 Bruno Thouzellier, alors président de l’Union syndicale des magistrats (USM). Cela n’a pas changé depuis, bien au contraire !
« Les lois ne sont plus stables car le législateur réagit à chaque catastrophe, à chaque scandale, à chaque fois que la loi en place paraît inadaptée, confirme Jean-Michel Darrois. On voit donc se multiplier des lois de plus en plus longues et illisibles et le législateur intervient non plus pour régler des équilibres généraux mais pour essayer de pondérer des situations individuelles. »
Dans un rapport de 2006 consacré à la sécurité juridique, le Conseil d’Etat souligne que « pour le citoyen, le droit devient instable, peu lisible et en partie inaccessible ». De fait, le nombre de textes de portée générale en vigueur ne cesse d’augmenter. Or, 10% des articles d’un code changent chaque année. Dans ces conditions il devient difficile et parfois impossible pour le citoyen ou le chef d’entreprise de connaître la loi et d’organiser ses comportements d’investissement ou de consommation en fonction de celle-ci.
« Il faut se poser la question de l’utilité du droit, précise Me Darrois. Lorsque les rédacteurs du code civil ont présenté leur projet, ils ont expliqué par la voix d’un très célèbre juriste nommé Portalis, que la loi devait régir les masses alors que la jurisprudence devait régler les situations individuelles. Il y avait peu de lois. Elles fixaient les principes généraux. C’était nos traditions juridiques. Et le juge n’intervenait qu’à l’occasion de conflits pour adapter, interpréter la loi. Il lui était interdit de rendre des arrêts de règlement. Et les lois, au fond étaient assez stables. Aujourd’hui, les choses sont tout à fait différentes. »
Des textes illisibles
« Les lois et la jurisprudence doivent donc être claires, compréhensibles et prévisibles, martèle Jean-Michel Darrois. Mais cette banalité ne semble pas inspirer en permanence nos législateurs et nos juges… Quant aux textes européens, résultats de compromis laborieux marqués par des cultures juridiques différentes, ils sont souvent difficiles à traduire dans notre législation. La réforme, la nouveauté, n’obligent pas à faire tourbillonner lois, règlements, directives européennes ou décisions de justice qui créent une confusion, un ‘’ras-le-bol’’ au moins aussi fort qu’en matière fiscale. »
Car, l’instabilité et l’inflation législative sont source d’insécurité juridique. Insécurité aggravée par la qualité des textes. En effet, les lois ne sont plus rédigées par les parlementaires et les juristes mais par de hauts fonctionnaires, la plupart du temps énarques. L’administration a « pris possession du pays » constate Alain Lambert, ancien ministre, président de la Commission consultative d’évaluation des normes.
« La France est un pays qui s’enivre de droit, dit-il[1], l’un des pays au monde qui a le plus de textes. La fatalité française c’est de croire que c’est par la loi que l’on peut résoudre tous les problèmes. » Il ajoute : « Le droit est devenu d’une telle complexité qu’il n’y a quasiment pas un seul politique capable de rédiger lui-même une proposition de loi : sur 1.000 signes de textes législatifs, 950 sont issus de la plume d’un haut fonctionnaire. La part du politique dans le fonctionnement du pays est devenue résiduelle, hors la communication. »
Les coûts engendrés par le trop-plein et la complexité des lois sont considérables. Ils sont estimés entre 60 et 80 milliards d’euros selon les chiffres de l’OCDE.
La simplification des règles est par conséquent un enjeu économique majeur pour le pays. Par exemple, réaliser une opération de logement prend six ans. « Deux ans pour la construction et six ans pour les procédures » !
A l’évidence, l’instabilité des normes paralyse l’économie. « En cette période où se conjuguent crise économique, démembrement industriel, explosion du chômage et dégradation aiguë des finances publiques, il serait irresponsable de ne pas s’attaquer au problème des normes et au rapport que notre société entretient avec le Droit » écrivent Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, maire du Mans dans le Rapport de la Mission de lutte contre l’inflation normative qu’ils ont remis en mars 2013 au Premier ministre. Les auteurs dénoncent « le passage progressif d’un Etat de droit à un état de paralysie par le droit » puisque « trop de loi tue la loi » c’est bien connu.
Une maladie
Il fallait donc une thérapie de choc pour relever la France de la complexité normative, cette maladie lourdement handicapante. Comme d’autres avant lui, François Hollande a fait du « choc de la simplification » un axe fort de sa politique de modernisation de l’Etat. « Tout doit être rendu plus facile » aux Français a décrété le chef de l’Etat. En sachant bien que trois lois de simplification ont déjà été mises en œuvre (en 2009, 2011 et 2012) pour un résultat des plus mitigés.
En effet, sur 348 mesures de simplification en direction des entreprises engagées depuis 2009, seulement 101 ont été effectivement réalisées ! Mais François Hollande est bien décidé de prendre le problème à bras-le-corps.
En juillet 2013, le député socialiste de l’Essonne, Thierry Mandon, a remis à Bercy un rapport visant à simplifier la vie des entreprises. Le député a auditionné quelque 200 entreprises et analysé plusieurs expériences étrangères.
Fondant son argumentaire sur des pratiques réussies en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, Thierry Mandon estime qu’il faut fixer des priorités. Parmi les préconisations, cette évidence : « dites-le nous une fois » ! D’ici 2016 les entreprises ne seront plus tenues de fournir à plusieurs reprises les mêmes informations à différentes administrations. Il propose donc une simplification des procédures pour créer ou reprendre une entreprise, pour répondre aux marchés publics, répondre aux obligations comptables ou fiscales, importer, exporter… toutes les démarches doivent être plus simples et plus faciles. Ce programme vise à supprimer 80% des coûts des entreprises liés à la complexité et à la lenteur de l’administration.
C’est dans cet esprit que le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici a présenté en septembre 2013 un projet de loi sur la « simplification et la sécurisation de la vie des entreprises » visant à « appuyer la compétitivité de nos entreprises et libérer leur potentiel de croissance (…). Une baisse de 25% des charges des entreprises peut augmenter à long terme notre PIB de 1,4% et faire économiser 15 milliards d’euros aux entreprises. »
La simplification des normes voulue par le chef de l’Etat ne concerne pas seulement les entreprise. Ce sont en tout 201 mesures dont la plupart sont d’ores et déjà prises en compte dans le budget 2014, qui vont impacter la vie quotidienne des Français. Citons par exemple : l’allongement de 10 à 15 ans de la durée des cartes d’identité, la consultation du nombre de points de son permis de conduire par Internet, la réduction des délais pour l’attribution d’un permis de construire, le dossier unique pour toute demande de logement social –et réponse de l’administration dans les deux mois etc.
Pour que cette volonté de réformes ne se perdre pas dans les sables, un Conseil de la simplification a été créé avec, à sa tête, le député Thierry Mandon et un entrepreneur, Guillaume Poitrinal, ex-PDG d’Unibail.
La simplification serait-elle en marche ? Tout le monde le souhaite. Et notamment Emmanuel Macron qui n’ignore pas ce conseil de Georges Pompidou à Jacques Chirac : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans le pays. On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux. Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays. »[2]
[1] L’Est Républicain 12 janvier 2014
[2] Cité par Thierry Desjardins in Arrêtez d’emmerder les Français. Plon 2000 p. 11 et 12.
*Les dessous des affaires judiciaires (Marcel GAY, Frédéric CROTTA, MaxMilo éditeur)