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Par-delà Mossoul, la survie des sunnites et de l’Irak contemporain

Myriam Benraad, University of Limerick

Assaut-pour-reconquérir-Mossoul
Assaut pour reconquérir Mossoul (Photo credit: DVIDSHUB via VisualHunt.com / CC BY)

L’assaut militaire lancé, le 17 octobre 2016, par le premier ministre irakien Haïdar al-Abadi pour reconquérir Mossoul ne déterminera pas seulement l’avenir proche comme plus lointain de cette ville la deuxième plus importante d’Irak, capturée par l’État islamique en juin 2014. Sur le plus long terme, c’est bien celui de l’État irakien en tant que tel qui est en jeu.

Tandis que la chute de la « perle du nord » aux mains du groupe djihadiste avait été perçue comme une autre séquence du long processus de déliquescence et de fragmentation de l’Irak contemporain, nombreux sont ceux qui considèrent que la bataille de Mossoul permettra, précisément, de recoller les « fragments » de la nation irakienne. Des dizaines de milliers de troupes sont ainsi amassées aux portes de Mossoul, soit le plus ample contingent déployé depuis l’invasion américaine du printemps 2003.

Des anticipations divergentes

Plus que toutes les campagnes qui l’ont précédée, l’opération sur Mossoul, déclenchée depuis plusieurs mois en réalité, aura des répercussions durables : pour l’Irak tout d’abord, et pour l’ensemble d’un Moyen-Orient ensuite, déstabilisé en son cœur par l’État islamique et par les reconfigurations géopolitiques complexes qui s’y sont associées. La question, de ce point de vue, n’est pas vraiment celle de la libération, qui adviendra sans nul doute compte tenu de la puissance de feu de la coalition et de ses alliés. Elle concerne davantage les arrangements politiques qui suivront la bataille et au sujet desquels rien n’a été tranché.

Les anticipations entourant l’« après » divergent ainsi de manière fondamentale : les plus optimistes tablent sur la capacité des acteurs à la manœuvre de s’entendre – dont les forces armées irakiennes, les peshmergas, les tribus sunnites et autres minorités. Les plus pessimistes misent, quant à eux, sur l’irruption de nouveaux conflits jusque-là mis en sommeil – plus particulièrement si les milices chiites cherchent à endosser un rôle accru dans des territoires traditionnellement sunnites et qui leur sont hostiles.

Entre ces appréhensions légitimes et « récits conflictuels », certains ont pu décrire la bataille comme prématurée, soulignant que l’annonce faite par l’émissaire américain Brett McGurk d’un plan et d’un commandement uniques dissimulait mal l’hétérogéité des protagonistes en présence et l’ampleur de leurs dissensions, synonymes de positions parfois irréconciliables. Même en cas de victoire militaire, les lendemains pourraient ainsi être désastreux à Mossoul.

L’absence structurelle d’État

L’état de destruction de son centre et de ses environs est déjà avancé, résultante de la terreur exercée par les djihadistes depuis plus de deux ans et des combats et bombardements récents. Mossoul n’est, à ce titre, que le reflet d’autres territoires sunnites certes « libérés » du joug de l’État islamique mais totalement dévastés et où la « reconstruction », devenue pour beaucoup un terme sans fond, reste fantomatique. Les populations civiles y craignent les représailles des adversaires de Daech, à commencer par celles des milices chiites dont les dérives et exactions ont été amplement documentées.

Des civils fuyant les combats, à une trentaine de kilomètres de Mossoul.
Ahmad Al-Rubaye/AFP

Mossoul est une ville essentiellement arabe sunnite, dont le passage sous contrôle djihadiste mérite d’être éclairé tant ses causes ont pesé dans la crise amorcée en 2014 et pourraient ruiner les futurs efforts de pacification et de stabilisation si elles ne sont pas mieux prises en compte et désamorcées.

La première est l’absence structurelle d’institutions dans les régions que l’État islamique a administrées pendant de longs mois, qui s’est traduite avant l’arrivée des jihadistes par une situation d’abandon social, de précarité économique et de marginalisation politique pour ceux qui y vivent. C’est sur ces dysfonctionnements ainsi que sur la violence communautaire pro-chiite quasiment officialisée par Bagdad que l’État islamique a bâti sa fortune symbolique et le succès de son projet théologico-politique révolutionnaire.

L’enjeu d’une représentation sunnite viable

La promesse d’un « contrat social » à des populations qui en avaient été privées pendant une décennie est ce qui a permis aux djihadistes de prendre durablement pied à Mossoul, d’autant plus réceptive à l’entreprise panislamiste d’Abou Bakr al-Baghdadi qu’elle a toujours été un lieu réputé pour sa piété et son conservatisme religieux.

Le leader des milices chiites, Hadi al-Amiri, le 18 octobre à Najaf (Irak).
Haidar Hamdani/AFP

Les partis plus traditionnels, en particulier les Frères musulmans, y avaient par ailleurs été discrédités en raison de leurs liens avec le pouvoir, de leur inefficacité politique et de leur implication dans des affaires de corruption. On touche ici à l’autre facteur essentiel de popularité de l’État islamique, qui influera aussi sur sa suite : l’absence d’une représentation sunnite viable en Irak, qui puisse incarner une alternative face à l’incontestable domination des chiites et des Kurdes.

C’est, en partie, le sens de l’ingérence turque au nord du pays : contrebalancer l’influence iranienne et celle de ses partenaires locaux (au premier plan desquels les milices chiites) en mettant en selle de nouveaux acteurs sunnites, en majorité originaire de Mossoul et qui n’ont jamais trouvé leur place au sein des forces et institutions dites « nationales » et marquées en réalité par une nette prépondérance chiite en leur sein.

Une énième « libération »

Cependant, il n’est pas dit que cette stratégie se révèle payante, tant l’état de morcellement de l’entité sunnite irakienne est profond, troisième raison ayant facilité l’ascension rapide de l’État islamique dont le « califat » et les ambitions hégémoniques, tournés vers la restauration de la « gloire sunnite », ne pouvait emporter qu’une large adhésion en 2014.

Aujourd’hui, les habitants de Mossoul sont pour la plupart désillusionnés et n’attendent pas énormément de cette énième « libération » qui leur est annoncée. Certains ont pu fuir, d’autres tentent de résister aux djihadistes au prix de leur vie, tandis que les plus désabusés demeurent passifs.

Les scénarios sont donc multiples et en même temps relativement limités : retour dans le giron de l’État central, malgré un fort ressentiment réciproque ; autonomisation de Mossoul et des gouvernorats sunnites, comme y appellent certaines tribus et personnalités politiques dans le camp sunnite ; partition de l’Irak, qu’un grand nombre d’observateurs extérieurs au conflit redoutent plus que tout.

L’avenir de Mossoul, qui fut l’un des lieux fondateurs de l’Irak contemporain, aura – à n’en pas douter – des répercussions géopolitiques majeures tant pour le pays que pour son voisinage proche et plus lointain.

The Conversation

Myriam Benraad, Chercheuse en science politique (Moyen-Orient), University of Limerick

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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