A cause du Covid, la « navette du Vendredi Saint » ne transporte plus des milliers d’Allemands vers la gare-frontière de Bouzonville (57) où se tient chaque année une grande braderie. Mais un cheminot, Bernard Aubin, ressort des cartons ce projet de liaison ferroviaire que les politiques français continuent de bouder. Pas les Allemands.
Il aurait dû franchir une nouvelle fois la frontière franco-allemande, ce « train du Vendredi Saint ». Depuis 1998, cette navette reliait une fois l’an Dillingen (Sarre) à Bouzonville le jour de la grande braderie. Ce jour pascal est en effet férié en Moselle. L’occasion pour 15 000 voisins d’outre-Rhin de visiter un marché « pas très catholique » où saucisses, hamburgers et kebabs et autres étales envahissent depuis la nuit des temps la petite ville de 4000 habitants. Mais depuis l’année dernière, la Covid en a décidé autrement. Le virus a offert sa revanche au curé : pas de marché… jeûne imposé et respecté de fait. La petite gare de Bouzonville restera fermée, comme elle l’est désormais depuis 2016 sauf un jour dans l’année.
Retour en arrière
Dans les années 90, la « gare-frontière » de Bouzonville est déjà menacée de fermeture comme beaucoup d’autres. Un syndicaliste cheminot, natif de la ville, prit le parti de préserver l’avenir de la gare où il avait débuté sa carrière. Les flux démographiques des travailleurs transfrontaliers étant de nature à irriguer la gare, il proposa la mise sur rail d’une desserte ferroviaire internationale directe en provenance de Sarrebruck et à destination de Luxembourg via Bouzonville. Des trains qui pourraient aussi rendre service au sein d’une zone délaissée par les TER. La « navette du Vendredi Saint », pour sa part, n’emprunte qu’une partie de l’itinéraire revendiqué. Elle avait également été lancée, au prix de trois mois d’efforts, pour attirer l’attention des décideurs sur le projet. Le succès médiatique fut au rendez-vous. Mais pas la réussite « politique », malgré les initiatives mises en œuvre par la suite : création d’un Comité de Desserte International, interventions auprès du Conseil Régional de Lorraine et même auprès du ministère des Transports…
Plus de vingt années de galère…
Le projet de liaison ferroviaire Sarre-Lor-Lux avait pourtant tout pour réussir. Tout d’abord, parce qu’il n’existe actuellement aucun train direct desservant l’ensemble de la Grande Région. Un sarrois qui se rend au Luxembourg doit attendre une correspondance soit à Metz, soit à Trèves. Deux itinéraires d’ailleurs plus longs qu’en passant par Bouzonville. Le nombre de travailleurs transfrontaliers lorrains dépasse désormais les 100 000 pour le Luxembourg et avoisine les 16 000 en direction de la Sarre. Les trains envisagés couvriraient une partie ces flux. Ils pourraient également acheminer au passage des clients TGV ou ICE à destination de l’Europe toute entière. Sauf que « depuis plus de vingt ans d’actions et d’interventions menées avec le renfort des villes jumelées de Bouzonville et de Rehlingen-Siersburg (Sarre), des wagons de promesses se sont accumulés pour que le projet se voit finalement écarté » dixit le syndicaliste Bernard Aubin.
Une lueur d’espoir. Mais…
Après deux décennies d’investissement, le cheminot, désormais retraité, a failli baisser les bras. C’était compter sans le dynamisme d’une association allemande, « Plateform Mobilität », qui reprit le flambeau. Idem côté « politique » où le projet suscite désormais un réel engouement, voire une renaissance, essentiellement en Allemagne. Le parti CDU avait organisé fin 2019 une rencontre rassemblant une centaine de partisans du projet. L’occasion pour le Président du Conseil Départemental de Moselle d’y affirmer son soutien. Un signe positif adressé aux 24 communes et 3 intercommunalités qui, à l’initiative de l’ancien maire de Bouzonville, avaient signé une motion dans le même sens. Deux problèmes substituent cependant : La Région Grand-Est, autorité organisatrice des transports et seul décisionnaire, a relégué la desserte au rang des « projets non-prioritaires ». Tandis que le Ministre (Vert) des Transports Luxembourgeois, plus favorable à des liaisons par cars, ne veut absolument pas en entendre parler…
Financement accessible, Réalisation possible.
Le projet de desserte internationale de la Grande Région ne relève pas de l’utopie. Côté allemand, la DB (chemins de fer allemands) recevra de l’Etat de 86 milliards d’euros étalés jusqu’en 2030. Une dotation qui pourrait être mise à contribution pour rénover une partie de l’itinéraire. En France, la modernisation, notamment celle de la gare de Bouzonville, peut encore être inscrite au contrat de plan Etat-Région en cours de négociation. C’est le sens de l’engagement le patron de la Moselle, Patrick Weiten. Quant aux rames desservant la ligne, les nouveaux trains hybrides commandés par Grand Est pourraient parfaitement faire l’affaire (sans recourir à une coûteuse électrification des trente kilomètres de ligne dépourvus de caténaire).
La balle est dans le camp des « politiques français » !
Selon Bernard Aubin, « en vingt ans, les décideurs qui se sont succédé ont préféré mener les élus locaux en bateau plutôt que de construire un véritable trait d’union au sein de la Grande Région ». Le syndicaliste constate cependant « une évolution tardive, mais palpable, des mentalités côté français ». Pour lui, ne pas mener à terme la relation ferroviaire internationale serait incompréhensible « dans la mesure où le projet est démographiquement, financièrement, écologiquement et politiquement pertinent ». Infléchissant sa position, le Président de la Région Grand Est s’est récemment déclaré favorable à une étude. Le syndicaliste reste cependant vigilant : « Jean-Pierre Masseret (ancien président du Conseil Régional de Lorraine) nous avait fait le même coup pour finalement enterrer le projet … Il serait intéressant que si des décisions importantes étaient envisagées, elles soient prises avant les régionales !». A suivre.
Un reportage de France 3 Lorraine il y a une dizaine d’années, détaillait le projet de desserte SARRE-LOR-LUX