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Un an après : L’Europe en mal d’hospitalité

Khadija Noura, Université de Lorraine

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Un dessin de Rémi Malengrëy

Un an après la première publication du texte ci-dessous, Rémi Malingrey a porté un regard graphique et personnel sur cet article. A ce jour, les conflits persistent et entraînent toujours l’exil de nombreux réfugiés pour qui le départ n’est rien d’autre qu’une question de survie. Après avoir ouvert partiellement les bras aux réfugiés, l’Europe semble à nouveau réticente à l’accueil de ces derniers. Ce défaut d’hospitalité se matérialise par le projet de murs et l’installation de grilles qui rappellent que tous ne sont pas les bienvenus. L’Europe ferme donc ses portes et se contente d’observer la souffrance à distance et de compatir. Rémi Malingrey illustre parfaitement ce que j’ai pu observer l’an passé et qui ces dernières semaines ne fait que se confirmer. L’histoire se répète sans trouver de solution pérenne à un accueil digne des réfugiés. K.N.

Le 3 octobre 2013, environ 359 migrants, dont la majorité avait fui l’Érythrée, se sont noyés au large de l’île de Lampedusa sous l’oeil indigné des citoyens de l’île. Depuis les drames continuent de se succéder en Méditerranée et l’opinion publique se tourne vers les pouvoirs politiques pour qu’une solution digne soit trouvée.

Sous la pression des événements, on assiste aujourd’hui à une prise de conscience des États concernant la répartition géographique très inégale des réfugiés à travers le monde. Les premiers pays dont l’hospitalité est sollicitée par les exilés se situent en effet aux frontières communes aux zones de conflits.

Malgré cette prise de conscience, les pays européens peinent à harmoniser leurs dispositifs d’accueil. Certains, comme la Hongrie, rejettent les exilés quand d’autres les accueillent, telle l’Allemagne (qui comble ainsi une partie de son déficit démographique), avant toutefois de rétablir un contrôle à ses frontières face à l’afflux des réfugiés.

Tri sélectif

Ces stratégies différentes s’inscrivent dans un devoir d’hospitalité des États qui, jusqu’à ces dernières semaines, était contourné par le biais d’un tri sélectif réalisé à coups de procédures juridiques onéreuses. La convention de Genève de 1951 adoptée par les pays signataires contraint ces derniers à accueillir toute personne déclarant fuir une persécution ou une menace pour sa vie.

Ce devoir d’hospitalité s’applique dès l’instant où l’exilé demande l’asile. Mais dans les faits, il s’exerce de façon différente dans les pays signataires, en fonction des budgets alloués. Certains d’entre eux n’hésitent pas à appliquer de manière on ne peut plus restrictive les lois relatives à la demande d’asile.

Plus largement, face aux migrations – qu’elles soient d’exil ou d’ordre économique –, le malaise est profond en Europe et l’accueil de l’exilé y reste sujet à polémique. La sociologue Anne Gotman a souligné à quel point la décision d’accueillir des exilés était sous-tendue par une interrogation quant au bien-fondé de leur départ. Aujourd’hui, le débat et les amalgames vont bon train pour savoir à qui l’on devrait ou non ouvrir les portes, certains s’indignant face aux abus supposés et fraudes en tous genres à la demande d’asile.

Ce phénomène est loin d’être récent. Dès le début des années 1990, le spécialiste de l’Union européenne Jean-Luc Mathieu expliquait qu’une certaine confusion était entretenue, pas toujours de façon innocente, entre les notions d’immigré et de réfugié, et entre celle de migrant régulier et de migrant clandestin. À l’époque, la France faisait déjà face à un taux de chômage élevé tout en ayant besoin de travailleurs immigrés pour accomplir les travaux délaissés par les Français.

Logique comptable

Les motifs qui sous-tendent la migration d’exil ont évolué avec le temps, tout comme l’accueil réservé aux exilés. Il devient très difficile de distinguer les raisons politiques des motivations purement économiques. Les deux éléments sont liés, et c’est cette association qui pousse de nombreux individus à l’exil, considéré comme la solution de la dernière chance. Aussi il nous paraît difficile, voire impossible et dangereux de catégoriser tel ou tel exilé.

Dès la fin du XXe siècle, le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) mettait en garde sur le risque de percevoir le droit d’asile comme une « voie migratoire » où il conviendrait de faire le tri entre les « véritables réfugiés » et les « migrants économiques ». Car pour le HCR, la migration est motivée par des objectifs mixtes.

Il n’empêche, les gouvernements européens tentent toujours de répartir les exilés selon des logiques comptables et non pas humanitaires. La Commission européenne allant jusqu’à proposer des quotas de réfugiés à destination des pays européens en charge de l’accueil. Cette approche s’inscrit non plus dans une logique de protection, mais bel et bien dans une approche gestionnaire.

Reuters/Hannibal Hanschke

Certains chercheurs, comme Karen Akoka, soulignent que les pays occidentaux n’ont pas su percevoir les nouvelles causes de l’exode des réfugiés. Dans le traitement des dossiers, les États européens et leurs administrations ont conservé l’image idéale, de l’ « archétype rêvé du réfugié ». Cette analyse, toujours d’actualité, souligne la difficulté à s’extraire des polémiques pour construire une figure réaliste du réfugié moderne.

Les médias, les dirigeants politiques, tout comme la société civile concentrent toujours leur attention sur les conditions d’accueil et les limites de l’hospitalité d’État, tout en ignorant le plus souvent le cadre législatif qui la régit. Les textes juridiques, et plus précisément leur mise en oeuvre, ont clairement été conçus comme un outil de restriction à l’accès au statut de réfugié : il s’agit en vérité d’accélérer les procédures afin de réduire les délais d’attente, en espérant ainsi désengorger les structures d’accueil et d’hébergement.

L’exilé du XXIe siècle

Face à cette succession de drames et à l’ampleur de l’exode dont la destination finale se situe en Europe, la France a modifié ses textes de loi en juillet 2015 afin de répondre aux exigences d’harmonisation de l’UE en matière de droit d’asile. Mais cette réforme instaure dans les faits un tri des migrants afin de distinguer les candidats à l’asile de ceux qui ne pourraient prétendre répondre aux critères de la Convention de Genève et seraient dès lors considérés comme de potentiels « migrants économiques ». Cela revient à faire une distinction parmi les exilés. Ce qui peut paraître malvenu quand on connaît les pays de départ des principaux exilés actuels : l’Érythrée et la Syrie.

Aujourd’hui, face à l’ampleur de l’exode des Syriens et autres réfugiés venus d’Afrique ou du Proche-Orient, l’hospitalité d’État s’organise au nom d’un devoir moral et éthique. Mais les pays européens ne s’accordent toujours pas sur les conditions d’accueil. En lieu et place d’une hospitalité européenne, c’est bien une myriade d’hospitalités d’États qui coexistent. Un état de fait qui, à lui seul, met en lumière la difficulté persistante qu’ont les Européens à appréhender la figure de l’exilé du XXIe siècle.

The Conversation

Khadija Noura, Docteur en sociologie, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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