Pierre Rondeau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
L’Olympique de Marseille va être vendu. Après des mois d’attentes et de tergiversations, l’annonce a été faite officiellement par les actionnaires du club et par la mairie de Marseille. C’est l’Américain Frank McCourt qui a été désigné comme futur repreneur. Cet homme d’affaires, ancien propriétaire des Dodgers de Los Angeles, en baseball, avait présenté un dossier décrivant sa future politique qui a été accepté et validé par l’ensemble du groupe OM.
Des clubs pour 120 ou 900 millions d’euros
Le club historique du sud de la France va passer sous pavillon américain, mais à quel prix ? Car alors que toutes les parties se sont mises d’accord et qu’une dernière signature est attendue, aucun montant n’a été dévoilé et le mystère sur sa valeur reste entier. Ailleurs, en Europe, de nombreux clubs ont changé d’actionnaires et les prix sont montés très haut.
Le Milan AC a été vendu pour 740 millions d’euros, outre-Manche, un consortium chinois a proposé 900 millions d’euros à Liverpool FC. Il y a quelques années, Manchester City avait été vendu à un riche homme d’affaires émirati pour 250 millions d’euros pendant que l’Américain Malcom Glazer versait 1 milliard d’euros pour devenir l’unique propriétaire de Manchester United. Avant eux, en 2003, le club de Chelsea était vendu pour 120 millions d’euros à l’oligarque Russe Roman Abramovitch.
Valeur d’usage (ou d’échange) de l’OM
À Marseille, les rumeurs parlent plus d’un prix compris entre 20 et 60 millions d’euros. Comment expliquer cette différence ? Qu’est-ce qui fixe le prix d’un club ? Les écarts sont-ils justifiables économiquement ?
Pour répondre à ces questions, il faut revenir à la distinction faite entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Définies dès le XVIIIe siècle par Adam Smith, dans son ouvrage La Richesse des Nations, puis reprises et critiquées par Karl Marx au XIXe siècle, ces valeurs renvoient à la détermination des prix pour chaque bien et à la façon dont ils vont s’échanger sur un marché.
Chez Smith et chez Marx, la valeur d’usage se définit comme une valeur d’utilité accordée au bien considéré, sa capacité à répondre aux demandes des agents sans tenir compte de la façon dont il a été produit et comment a-t-il été produit.
« L’utilité d’une chose fait de cette chose une valeur d’usage. Mais cette utilité n’a rien de vague et d’indécis. […] Les valeurs d’usage des marchandises fournissent le fonds d’un savoir particulier, de la science et de la routine commerciales ». (Karl Marx, « Le Capital »)
À l’inverse, la valeur d’échange est déterminée par le marché, entre l’offre et la demande, entre la volonté mercantile d’acheter et de vendre un bien précis. Avec la valeur d’échange, ce n’est plus la notion d’utilité qui prime, la fonction du bien, mais la notion de désir et d’importance consumériste. Autrement dit, la valeur d’échange est fixée par le jeu du marché : si l’on désire quelque chose, il suffit d’y mettre le prix, quelle que soit sa valeur d’usage initiale, même si elle n’est d’aucune utilité.
Adam Smith, ici, illustre cette distinction par le paradoxe de l’eau et du diamant.
« Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises. »
Tout dépend ici de la valeur accordée par le marché et par la volonté faite par les agents d’accaparer le bien en particulier.
Par exemple, une maison, dont son utilité est d’accueillir des occupants, va voir sa valeur d’usage augmenter au fur et à mesure que sa taille augmente. Son prix va grimper proportionnellement au nombre de ses mètres carrés.
Utilité d’un Club de foot pour ses repreneurs
Quant à un club de football, c’est la même chose. Au-delà de sa valeur sur un marché, son prix est directement dépendant de la valeur de ses actifs, de sa capacité à présenter une utilité particulière pour ses futurs repreneurs. S’il dispose d’infrastructures sportives, d’un centre d’entraînement, d’un centre de formation, de bâtiments administratifs, de joueurs (considérés comme des actifs par la comptabilité nationale), sa valeur d’usage augmente.
Prenons le cas de Marseille ici. D’après les comptes de la DNCG, les comptables du foot français, arrêtés en 2015, la valeur totale des actifs du club olympien était de 110 millions d’euros. Son prix de vente devrait donc fluctuer autour de cette somme. Le nouveau propriétaire souhaite accaparer des actifs valorisés et valorisables et doit donc y mettre le prix d’usage.
Or, le marché, via le jeu de l’offre et de la demande, peut aussi venir bouleverser les négociations. Comme pour une maison, sa valeur peut varier du tout au tout en fonction de sa localisation. Un studio en plein quartier Saint-Germain, à Paris, vaut trois fois plus cher qu’un duplex en Seine-Saint-Denis. Il s’agit ici de la valeur d’échange, la valeur symbolique accordée au bien.
Valeur d’échange et valeur immatérielle
À Marseille, les négociants vont miser sur la valeur immatérielle du club, sa force médiatique et sa notoriété : est-ce que l’équipe est réputée ? A-t-elle une base-fan importante ? Une somme de supporters potentiellement consommateurs ? La marque OM est-elle forte à la fois dans l’hexagone et en Europe, voire dans le reste du monde ?
Plus la valeur immatérielle augmente, plus la valeur d’échange augmente. L’attractivité de la marque est un bon indicateur du prix de vente futur. Théoriquement, le prix final dépend de la valeur d’échange qui doit fluctuer autour de la valeur d’usage. Si l’on reprend les reprises passées, Manchester United vendu 1 milliard d’euros en 2005, c’est à la fois le rachat de l’ensemble des actifs du club, son stade, son centre d’entraînement, ses infrastructures, etc., mais aussi son palmarès, l’un des plus beaux d’Angleterre, sa notoriété, sa renommée.
Manchester United est le troisième club le plus riche du monde et l’un des plus connus et supportés de la planète (9 millions de followers sur twitter contre 1 million pour Marseille, par exemple). À l’inverse, lorsqu’Abramovitch rachète Chelsea pour 120 millions d’euros, le club dispose certes d’actifs très élevés, un stade en plein Londres et un centre d’entraînement compétitif, mais une renommée encore à faire. Récemment, le rachat du Milan AC 740 millions d’euros prouve bien ce phénomène : l’un des clubs les plus connus d’Europe dispose d’une marque iconique grandement valorisable.
Pour l’OM, 110 millions ou 50 ?
Si l’on reprend le cas de Marseille, ses actifs sont valorisés à 110 millions d’euros, mais son bilan sportif est plus que critiquable depuis 2 ans et sa dette atteint les 50 millions d’euros. On parle d’un rachat compris entre 20 et 60 millions d’euros. Cela signifie que la valeur d’échange est inférieure à la valeur d’usage : le bilan immatériel de Marseille est plus faible que son bilan comptable empirique. C’est très certainement une bonne affaire pour Frank McCourt, le futur repreneur. Marseille reste, dans le cœur des Français, le premier club du pays.
L’année dernière, malgré sa piteuse 13e place, l’équipe avait conservé son titre d’équipe la plus médiatisée de la ligue, reléguant ainsi le PSG à la deuxième place et lui octroyant la coquette somme de 40 millions d’euros au titre des droits TV. Le stade Vélodrome est l’une des plus belles enceintes de France, récemment rénovée, et garantissant une capacité de 67 000 places, un record en ligue 1. La marque Olympique de Marseille est connue dans toute l’Europe et reste très populaire en Afrique, notamment dans les pays du Maghreb où la base-fan est plus élevée que les géants Lyon et Paris.
À moins de 50 millions d’euros, McCourt acquerrait un grand club pour une bouchée de pain, pourrait donc valoriser la marque et espérer un rapide retour sur investissement. Espérons que cela aille aussi dans le sens de la performance sportive de l’OM.
Pierre Rondeau, Professeur d’économie et doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.