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Covid : l’œil, une voie de contamination ?

La transmission du coronavirus par la muqueuse de l’œil est suggérée par de nombreux indices. Le Dr Jean-Michel Wendling spécialiste prévention santé au travail à Strasbourg donne ici quelques pistes de réflexion et de prévention. Entretien.

Jean-Michel Wendling
Dr Jean-Michel Wendling (DR)

Dr WENDLING, dans le cadre de vos recherches  sur l’écran facial, pensez-vous que l’œil est une voie de pénétration possible du Sars-coV-2 ?

Oui absolument, la salive contenue dans la bouche et les postillons projetés par un malade lorsqu’il parle ou chante est très riche en virus vivants (environ 3 x 106 copies par millilitre)1. La muqueuse oculaire et le nez (nasopharynx où se niche le virus) sont reliés par le canal lacrymo-nasal. Lorsque des postillons parviennent au niveau de l’œil, ils se mélangent aux larmes et peuvent anatomiquement passer dans la cavité nasale par ce canal et être transportés vers le nasopharynx, la trachée puis la muqueuse des voies respiratoires ou être avalées dans le tube digestif. Le risque est majeur si un individu crache au visage d’une autre personne, ce qui s’est déjà vu notamment lors d’incivilités envers des agents de la force publique ou des infirmières de services d’urgence !

Outre la projection de postillons, y-a-t-il une autre source de risque ?

Oui, le geste «mains ou doigts souillés vers l’œil» est théoriquement à risque de transfert du virus. Ceci d’autant que le SARS-CoV-2 persiste beaucoup plus longtemps sur la peau, les mains (environ 9 heures) que d’autres virus comme la grippe (1,8 heure) 2 et que la bio-persistance sur les surfaces inertes comme le plastique peut être très longue (5 jours), que le virus vivant est retrouvé sur de multiples surfaces de l’environnement des malades (table de nuit, poignées de porte, interrupteurs….).
Les gens se touchent en moyenne involontairement le visage et les yeux environ 10 fois/heure 3. Ce geste est fréquent lorsqu’on travaille sur un ordinateur, que l’on cligne moins souvent les yeux et qu’ils finissent par s’assécher et piquer.
Ainsi, des lunettes ou des écrans faciaux pourraient en partie déjouer l’infection par le COVID-19 car ils empêcheraient ces gestes à risque et rappelleraient que le lavage des mains est essentiel avant de se toucher les yeux, évitant ainsi le transfert par contact du virus des mains aux yeux.

L'oeil, voie de contamination?
L’oeil, voie de contamination? (Pixabay)

A-t-on déjà identifié des manifestations cliniques attribuées au COVID au niveau de l’œil chez des malades ?

Oui absolument, même si elles sont rares, différentes manifestations oculaires ont été observées. Sur une série de 535 patients d’un hôpital, 20,9% des patients avaient l’œil sec, 12,7% une vision floue, 11,8% une sensation de corps étranger et 5 % présentaient une vraie conjonctivite (comme premier symptôme). En outre, parmi les 27 patients avec conjonctivite, 70,4 % se souvenaient avoir eu un contact main-œil L’analyse a également montré que le contact main-œil à haute fréquence était corrélé statistiquement avec la congestion conjonctivale, ce qui suggère qu’il est un facteur de risque.

A-t-on déjà retrouvé le virus dans les prélèvements oculaires ?

Dans une petite série de 41 patients, trois échantillons de larmes (7 %)  étaient positifs pour le SRAS-CoV-2. Seul un patient avait une conjonctivite. Tous les patients dont les résultats de la RT-PCR des larmes étaient positifs avaient des résultats positifs de la RT-PCR nasopharyngée. Les auteurs de cette étude ont déclaré que la transmission oculaire devait être envisagée même en l’absence de manifestations oculaires.5

Les cellules de l’œil possèdent-t-elles ces fameux récepteurs ACE2, protéines cellulaires indispensables au virus pour entrer dans l’organisme et infecter son hôte ?

Absolument, Le Docteur MA D. de l’Université de Shantou et ses collègues du centre de recherche ophtalmologique de Hong Kong ont découvert que dans les échantillons de tissus oculaires, on retrouvait cette protéine ACE2 dans la conjonctive, et surtout la cornée. Les auteurs suggèrent que les cellules de la surface oculaire, y compris la conjonctive, sont sensibles à l’infection par le CoV-2 du SRAS et pourraient donc servir de porte d’entrée au virus. Les auteurs ont insisté sur l’importance de la protection de l’œil dans la prévention de la propagation de la maladie COVID-19. 6

Dispose-t-on d’éléments pour dire que l’utilisation de lunettes ou d’un écran facial apporte un bénéfice sur des groupes d’individus ?

Oui certains indicateurs permettent de le penser. Les lunettes ou les écrans faciaux protègent les yeux de différents virus. Le bénéfice des lunettes de protection pour les yeux a été suggéré dans le cadre du Virus Respiratoire Syncytial très contagieux (VRS) chez les patients et les membres du personnel de pédiatrie. Lors d’une épidémie communautaire de VRS en 1984, l’utilisation des lunettes a permis une diminution très significative des infections par le VRS : 34% du personnel non protégé était atteint alors que 5% du personnel protégé était touché. 43 % des nourrissons sans protection des yeux ont été infectés alors que seul 6 % des enfants portant des lunettes a fait une infection au VRS soit dans les deux cas près de 7 fois moins.7

De plus, une méta-analyse (synthèse de 15 études) sur la transmission des coronavirus a révélé que l’utilisation de protections oculaires (écrans faciaux, visières ou lunettes de protection) était associée à un risque d’infection 3 fois plus faible : 16 % sans protection oculaire contre 5.5% avec une protection oculaire (n=3713, RR = 0.34). Dans les deux études ajustées (qui tiennent compte des autres paramètres) la réduction du risque  était encore plus forte avec une réduction de risque de 78% (aOR = 0.22). Les auteurs ont noté que « la protection des yeux pourrait entraîner une forte réduction de l’infection virale » 4

Enfin plus récemment, une étude sur les patients atteints de COVID-19 dans un hôpital du Hubei a révélé que les porteurs de lunettes ne représentaient que 5,8 % des malades (16 des 276 patients) alors que le pourcentage de porteurs de lunettes dans la population générale est estimé à 31,5% (port au moins 8 heures par jour). Ceci suggère que les porteurs de lunettes pourraient être protégés de la COVID-19. 8 Cette étude observationnelle, certes limitée par le nombre de patients, doit être confirmée par des études portant sur un plus grand nombre de malades ou, par exemple, sur l’impact de l’utilisation d’un écran facial.

Qu’en déduisez-vous ?

Les yeux pourraient au final être une voie négligée d’entrée du SARS-Cov-2.
Tout cela doit être pris en considération et orienter les messages de prévention en insistant sur le lavage des mains surtout après être allé aux toilettes (le virus est dans les selles).
Selon une étude de Santé publique France (5017 personnes interrogées) menée en 2016, 21 % des français déclaraient ne pas se laver systématiquement les mains après être allés aux toilettes  soit 14 millions de personnes si on extrapole le panel interrogé à la France entière…

On peut aussi imaginer que l’écran facial suffisamment couvrant, au-dessus du front, dépassant le menton, bien porté en angle rentrant, en alternative au masque, soit une option proposée plus largement car elle combine protection des yeux, de la bouche et du nez. Sa supériorité en protection des autres vis-à-vis des postillons mais également des aérosols (particules de 0.3 micron) est d’ailleurs suggérée par 2 études pré-publiées comparant masque chirurgical et écran facial (Institut de Recherche de Biologie Israélien 9 et School of Engineering – University of Edinburgh 10).
Les départements santé de Singapour, de l’Oregon (OHA), de Pennsylvanie et de Caroline du Nord l’ont intégré dans leur arsenal de protection de la population (face covering).
La visière est actuellement une alternative possible en France (sous conditions en entreprise), en cas de handicap comme la surdité nécessitant la lecture labiale ou en cas de contre-indication médicale au port du masque. 11

NOTES

1 Kelvin Kai-Wang To : Consistent Detection of 2019 Novel Coronavirus in Saliva. Clin Infect Dis. 2020 Feb 12 : Doi: 10.1093/cid/ciaa149 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7108139/

2 Ryohei Hirose : Survival of SARS-CoV-2 and influenza virus on the human skin: Importance of hand hygiene in COVID-19 Clinical Infectious Diseases, 03 October 2020; https://doi.org/10.1093/cid/ciaa1517

3 Kwok  YL : Face touching: a frequent habit that has implications for hand hygiene. Am J Infect Control. 2015;43(2):112-114. Doi:10.1016/j.ajic.2014.10.015

4 Chu DK, Akl EA, Duda S, et al. : Physical distancing, face masks, and eye protection to prevent person-to-person transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: a systematic review and meta-analysis. Lancet Lond Engl. Published online June 1, 2020. doi:10.1016/S0140-6736(20)31142-9

5 Karimi S, Arabi A, Shahraki T, Safi S. Detection of severe acute respiratory syndrome Coronavirus-2 in the tears of patients with Coronavirus disease 2019. Eye (Lond). 2020 Jul;34(7):1220-1223. Doi: 10.1038/s41433-020-0965-2. Epub 2020 May 18.

6 Ma D, Chen CB, Jhanji V, et al. Expression of SARS-CoV-2 receptor ACE2 and TMPRSS2 in human primary conjunctival and pterygium cell lines and in mouse cornea. Eye (Lond). 2020;34(7):1212-1219. doi:10.1038/s41433-020-0939-4

7 Gala CL : The use of eye‐nose goggles to control nosocomial respiratory syncytial virus infection. JAMA. 1986; 256 (19): 2706-2708. doi: 10.1001 / jama.1986.03380190076028

8 Zeng W, Wang X, Li J, et al. Association of Daily Wear of Eyeglasses With Susceptibility to Coronavirus Disease 2019 Infection. JAMA Ophthalmol. Published online September 16, 2020. Doi:10.1001/jamaophthalmol.2020.3906

9 Ronen A, Rotter H, Elisha S, et al. Examining the protection efficacy of face shields against cough aerosol droplets using water sensitive papers. medRxiv. Published online July 7, 2020:2020.07.06.20147090. doi:10.1101/2020.07.06.20147090

10 Viola IM, Peterson B, Pisetta G, et al. Face Coverings, Aerosol Dispersion and Mitigation of Virus Transmission Risk. ArXiv200510720 Phys. Published online May 19, 2020. Accessed October 10, 2020. http://arxiv.org/abs/2005.10720

11 https://handicap.gouv.fr/actualites/article/le-port-de-masques-obligatoire-dans-tous-les-lieux-clos-la-derogation-pour-les

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