Véronique Bessière, Université de Montpellier et Éric Stéphany, Université de Montpellier
Cet article, issu d’une communication scientifique, est publié dans le cadre du partenariat FNEGE–The Conversation France autour des États Généraux du Management qui se sont tenus à Toulouse les 26 et 27 mai 2016 sur le thème « L’impact de la recherche en sciences de gestion ».
Le crowdfunding (CF) connaît un succès croissant. Depuis sa naissance en 2009, la plateforme de crowdfunding (CF) Kickstarter, leader du marché américain, a permis de collecter plus de 2,4 milliards de dollars, pour un total de près de 106 000 projets financés. En France, les chiffres publiés par l’association de Financement participatif France témoignent de ce succès.
Plusieurs formes de CF existent, dont celles qui permettent d’investir dans les capitaux propres des start-up : equitycrowdfunding (ECF) ou crowdequity. Depuis le décret d’octobre 2014, les entreprises peuvent lever jusqu’à un million d’euros en ECF dès lors que la plateforme est agréée CIP (ce montant pourrait atteindre 2,5 millions comme annoncé par le ministre Emmanuel Macron en mars 2016).
Il s’agit bien d’une nouvelle forme de seed capital, qui s’institutionnalise et dont l’importance est désormais largement admise. L’ECF dépasse la seule phase d’amorçage des projets, il est un moyen de financement utilisé à la fois par les entreprises en phase de démarrage mais aussi par celles qui ont déjà validé leur produit sur le marché et qui recherchent des fonds pour leur développement commercial ou de R&D. Parallèlement, les plateformes d’ECF se sont professionnalisées. Ainsi, les opérations proposées sont d’envergure croissante par le montant des fonds levés.
Globalement, on observe une nouvelle structuration de l’offre de financement en seed capital, engendré par l’ensemble de la chaîne du crowdfunding. Ainsi, les start-up peuvent appréhender une première validation de leur projet par la mise en place d’une opération de reward-based crowdfunding (don contre récompense). La réussite de l’opération peut être un premier signal significatif sur le projet entrepreneurial émergent. Dans un second temps, ces mêmes entreprises peuvent venir chercher une nouvelle forme de légitimité via le recours aux plateformes d’ECF.
Cette intégration du CF aux tours de financements peut aussi se faire en co-investissement avec des business angels (BA). Ces nouvelles structurations des financements modifient les procédures de pilotage et de gouvernance des start-up principalement par l’apport de ressources cognitives complémentaires.
Les ressources apportées lors de la levée de fonds
ECF et BA apportent des ressources nécessaires à la mise en œuvre d’un projet entrepreneurial. Ces ressources sont financières mais surtout cognitives. Leurs apports sont différents. L’ECF apporte visibilité et notoriété, il constitue un test sur la manière dont le projet est perçu par la « foule ».
La période de levée de fonds est marquée par d’intenses échanges entre les crowdfunders et le créateur d’entreprise (sur la plateforme d’ECF, ou par tweets ou blogs) qui constituent une véritable ressource cognitive pour le projet. Elle se différencie de celle apportée par les autres sources de seed capital par la nature et l’ampleur des retours informationnels susceptibles d’être véhiculés par la foule. En intégrant la plateforme d’ECF, l’entrepreneur soumet à la validation de la foule sa vision du marché et la capacité du projet à se développer.
Les ressources potentielles à acquérir sont multiples, l’une des principales résulte des attentes des crowdfunders en tant que futurs consommateurs ou futurs prescripteurs du projet. Grâce à l’implication de la foule, l’entreprise peut solutionner en partie l’une des grandes difficultés d’un projet entrepreneurial : le time to market.
Le business angel est, tout comme le crowdfunder, une personne physique qui investit une partie de son patrimoine personnel directement dans une entreprise jeune. Le BA met fréquemment à la disposition de l’entreprise ses compétences, son expérience et son réseau personnel. Une différence importante avec la foule est la nature des échanges. Ces derniers sont privés (alors qu’ils sont publics en ECF) et peuvent donc traiter de points confidentiels. Dans la phase de sélection et d’évaluation de la start-up, les BA jouent un rôle d’expert évaluateur aux côtés de la plateforme. Ils s’appuient sur des entretiens en profondeur avec l’entrepreneur. Ils apportent donc une crédibilité au projet différente de celle apportée par la foule.
L’organisation des relations de long terme avec la start-up
L’ECF est une forme de crowdfunding qui implique une relation de long terme avec l’entreprise puisque le crowdfunder devient actionnaire. L’organisation de cette relation de long terme entre l’entreprise et ses actionnaires implique de nouvelles formes de gouvernance.
Les BA et l’ECF interviennent ici également de manière plutôt complémentaire, bien que l’on manque encore de recul sur ces relations à long terme compte tenu du caractère récent du développement du crowdfunding. Les BA apparaissent plutôt leader dans le design de la gouvernance comme le montrent plusieurs études de cas que nous avons menées. Ils ont l’expérience de cette relation de mentoring et également celle des sorties (la revente des actions) qui constituent un jalon décisif dans la manière de « mentorer » la start-up.
Le BA est souvent proche de l’entreprise, sur un plan géographique, mais surtout culturel et cognitif (par sa connaissance du secteur d’activité par exemple). De plus, les BA ont des moyens d’intervention plus importants (les actions de préférence en particulier, alors que l’ECF intervient avec des actions ordinaires, tout au moins dans le cadre législatif actuel).
L’ECF intègre également cette fonction de gouvernance, notamment par une représentation des crowdfunders au conseil d’administration. Ceux-ci peuvent être formellement réunis dans un holding qui structure leurs relations avec la start-up. Plusieurs plateformes, notamment WiSeed leader français de l’ECF, proposent cette structuration et se chargent d’animer le holding et le représenter au CA de l’entreprise.
Le co-investissement entre BA et ECF apparaît donc comme une évolution très prometteuse par les solutions qu’il apporte aux start-up financées. Ce design de financement amène des ressources considérables à l’entreprise à la fois parce que les levées de fonds peuvent être plus importantes, et parce que les apports cognitifs sont complémentaires. Le financement par ces deux acteurs véhicule un double signal très positif sur la qualité du projet.
Véronique Bessière, Professeur, Sciences de Gestion, IAE Montpellier, Université de Montpellier et Éric Stéphany, Directeur de l’IAE Maître de Conférences HDR, IAE Montpellier, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.