Driss Aït Youssef, Pôle Léonard de Vinci – UGEI
Dans le cadre du projet de réforme de la justice, actuellement en examen, les députés ont voté la création d’un parquet national antiterroriste (PNAT). Ce ministère public qui se substituerait au parquet de Paris en matière de terrorisme serait dirigé par un procureur de la République antiterroriste et placé près du tribunal de grande instance de Paris.
Il paraît utile de rappeler qu’il existe un parquet antiterroriste dont la compétence est aussi nationale. La différence entre parquet antiterroriste et parquet national antiterroriste est une question de moyens. Le PNAT devrait disposer d’un budget propre avec des magistrats et des personnels dédiés.
La réserve de magistrats en question
L’auteur de ces quelques lignes alertait, dans une note récente, sur la nécessité de décloisonner le fonctionnement de ce parquet de sorte à gonfler ses effectifs de magistrats par temps de crise. Sur recommandation, également, du Conseil d’État, l’Assemblée nationale a créé « une réserve opérationnelle de magistrats » du parquet de Paris. Ce futur parquet national devrait pouvoir compter sur les parquets locaux afin de réaliser des actes d’enquête.
Cette disposition votée par les députés prévoit également des relais territoriaux délégués à la lutte contre le terrorisme. Ces magistrats pourront échanger des informations utiles comme sur les parcours de radicalisation ou encore des liens qui pourraient exister entre la petite délinquance et le terrorisme.
Cependant, rien n’a été prévu en matière de fidélisation de magistrats. À quoi cela sert, donc, de constituer une réserve si les magistrats constituant cette force méconnaissent tout du droit de l’antiterrorisme ?
Un parquet financier qui exaspère
Par ailleurs, il convient de relever cette nouvelle mode visant à créer des ministères publics dont le principal effet serait d’affaiblir les parquets locaux, générant ainsi une centralisation excessive et dangereuse des procédures et par conséquent de sérieuses protestations quant à la manière de gérer certains dossiers.
C’est ainsi que le parquet national financier (PNF) se voit critiqué pour sa rapidité ou son absence de réponse. Cette célérité, parfois sans égal, peut s’assimiler – selon certains professionnels – du droit à de l’acharnement.
D’abord, le PNF agirait différemment en fonction des dossiers et de leurs sensibilités. Cette célérité sélective exaspère magistrats et avocats convaincus qu’il existe des perturbations politiques faisant pencher la balance à droite ou à gauche, selon la sensibilité politique du gouvernement. Il est avéré que dans certains cas, cette instance a accéléré certaines procédures (affaire Fillon) et que dans d’autres affaires, le parquet national financier n’a tout simplement pas engagé de procédure (l’affaire Business France).
Ensuite, la colère ne faiblit pas lorsqu’il s’agit d’évoquer les méthodes, quelques fois, contestables du PNF. Il est accusé, dans un dossier, d’avoir justifié une demande d’extradition par un moyen selon le mis en cause totalement faux – ce qui a conduit ce dernier à saisir la justice française contre le PNF.
Fabriquer des motivations
Dans un autre dossier, le PNF est, cette fois, accusé d’avoir fabriqué des motivations pour lancer un mandat d’arrêt international contre un homme d’affaires. Pour justifier cette procédure, le PNF a considéré que l’homme d’affaires était en cavale alors même qu’il n’avait pas fait l’objet d’une convocation régulière et que ses domiciles étaient connus pour avoir fait l’objet de perquisitions.
Ce qui apparaît encore plus inquiétant, ce sont les motifs justifiant son arrestation puis son extradition vers la France. Cette situation a conduit la justice britannique à émettre un sérieux doute quant à la légalité de la procédure.
Cette affaire est d’autant plus embarrassante qu’une procédure avec des qualifications similaires a été en grande partie abandonnée. L’enlisement judiciaire de ce dossier semble, aujourd’hui, agacer cette jeune institution.
L’illusion d’une lutte antiterroriste plus efficace
Enfin, le conflit semble toujours ouvert entre le parquet national financier et les parquets locaux qui ont le sentiment d’être dépossédés d’une partie de leurs prérogatives. Par ailleurs, la loi du 21 juin 2016 a mis en place un mécanisme d’aiguillage des dossiers entre l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le PNF afin de prévenir les conflits entre ces instances administrative et judiciaire.
Cette situation n’est que la conséquence de choix politiques éminemment contestables donnant ainsi l’illusion aux citoyens et surtout à la justice judiciaire, en détresse, qu’elle pourrait jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre les délits financiers d’envergure. La réalité est, hélas, bien différente. Cette instance vise surtout à concentrer les affaires dites sensibles au sein d’un seul parquet sous l’autorité du pouvoir politique.
Le Parquet national antiterroriste est un mirage supplémentaire – certes moins politisé – mais tendant à faire croire qu’il serait plus efficace de rassembler les affaires de terrorisme au sein d’un seul ministère public. Cela donne l’illusion de lutter efficacement contre une menace qui nécessite bien plus de moyens qu’un parquet national.
Driss Aït Youssef, Docteur en droit, chargé de cours, président de l’Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de Vinci – UGEI
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.