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Gilles Lellouche : « J’avais le sentiment d’être à côté de moi-même »

Le réalisateur plonge une bande de mecs paumés et en maillot dans « Le grand bain ». Un film réjouissant, aussi touchant qu’amusant.

Gilles Lellouche a réuni un super casting, une belle palette d'acteurs qui ont accepté de suivre un entrainement de plusieurs mois en piscine.
Gilles Lellouche a réuni un super casting, une belle palette d’acteurs qui ont accepté de suivre un entrainement de plusieurs mois en piscine.

Ce sont des hommes qui coulent, des mecs paumés qui vont remonter à la surface par la puissance du « collectif ». Benoît Poelvoorde, Guillaume Canet, Mathieu Amalric, Philippe Katerine, Jean-Hugues Anglade, Félix Moati… et quelques autres forment une drôle d’équipe de bras cassés, une équipe masculine de natation synchronisée, plongée dans « Le grand bain », un film de Gilles Lellouche (sortie le 24 octobre).

Ce sont des gars qui ont morflé, qui ont connu des « accidents de parcours », largués, dépressifs, ils ont du mal à surnager dans le grand bain de la vie. Mais bien que bedonnants, plus trop musclés, et plus tout jeunes, ces hommes en maillot de bain, pince-nez et bonnet sur la tête, vont suivre l’entraînement intensif dispensé par deux anciennes championnes, l’une à l’ouest (Virginie Efira) et l’autre autoritaire (Leïla Bekhti).

Film réjouissant et d’une grande tendresse, aussi touchant qu’amusant, « Le grand bain » est un « feel good movie », qui fait penser à ces comédies sociales à l’anglaise. « Il y a un raccourci qui est fait avec Full Monty, parce que c’est un film choral avec des hommes de quarante ans, qui sont un peu à poil », dit le co-scénariste Ahmed Hamidi (ancien auteur des Guignols), « Mais on n’est absolument pas dans la même comédie, les Français savent faire ça très bien sans copier les Anglais. C’est un genre assez particulier, ce n’est pas une pure comédie, ce n’est pas non plus un film complètement social, mais il y a un peu de tout ça ».

Exceptionnel pour une comédie, le film était en sélection officielle au dernier Festival de Cannes ; Gilles Lellouche se croyait « attendu avec des fusils », et son film y a reçu une véritable ovation. « C’est incroyable, on ne l’a jamais fait en pensant à ça », dit le réalisateur, « J’aime l’idée de faire du cinéma, j’aime bien le lyrisme, en fait, j’aime bien l’idée que le cinéma ça soit la réalité plus plus, le cinéma totalement réaliste m’emmerde ». Interview réalisée lors de l’opération Ciné-Cool, et de l’avant-première à l’UGC Ciné-Cité de Ludres.

« On souffre de frustrations qui ne sont même pas les nôtres »

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le milieu de la natation synchronisée ?

Personnellement, je m’en fous totalement de la natation synchronisée, c’est une toile de fond, ça devient poétique, ça entoure les personnages, parce qu’on les a développés, on les rend empathiques, enfin j’espère, et du coup on est intéressé par leur trajectoire. De ce petit groupe naît une petite euphorie humaine, une micro-fête, mais elle existe parce qu’avant c’est la tristesse, le désarroi, la solitude. On imagine une histoire, et je ne savais pas que mes acteurs allaient devoir travailler, s’entraîner autant, je n’y connais rien en natation synchronisée, la grâce est venue d’eux, ils ont été hyper-volontaires. Ils se voyaient deux fois par semaine pendant six mois à la pistache, ils étaient dans le bassin à s’entraîner et ensuite dans les vestiaires à se parler, en fait ils devenaient vraiment les personnages du film.

Gilles Lellouche : "Je constate un mal-être chez mes contemporains".
Gilles Lellouche : « Je constate un mal-être chez mes contemporains ».

Vos acteurs ont effectivement subi plusieurs mois d’entraînement en piscine, quels étaient les meilleurs nageurs ?

Il y avait trois figures qui se distinguaient un peu des autres, Benoît Poelvoorde en numéro un en terme de nageur, c’est vraiment un très bon nageur ; Guillaume Canet parce qu’il est très sportif et que c’est un fayot, et en troisième Mathieu Amalric, qui est quelqu’un de très volontaire et déterminé. Quand j’étais au cours Florent, j’étais déjà fan de Mathieu Amalric, qui représentait tout ce que je ne suis pas, le cinéma d’auteur pur et dur, son jeu transpire l’intelligence. Il a cet incroyable paradoxe où on a le sentiment qu’il est totalement dépressif et en même temps complètement bourré d’énergie, c’est un mélange de perdition et de total contrôle.

Tous les personnages qui composent votre équipe sont au départ des gars cassés, broyés par la vie ?

Broyés c’est trop fort, mais abîmés oui. Il y a l’âge, ça dépend de ce qu’on fait de ses quarante ans. Je pense qu’il y a des phrases assassines, il y a les rêves qu’on s’est mis dans la tête quand on avait seize ans, et les rêves qu’on nous met dans la tête, des rêves publicitaires. Quand Séguéla dit que passé cinquante ans, si vous n’avez pas une Rolex vous avez raté votre vie, on en rigole, mais c’est la phrase la plus conne que j’ai entendue ces vingt dernières années, ça fait un mal de chien aux gens, de voir qu’à quarante ans, il faut faire du surf, avoir des abdos comme Iron Man. Non, à quarante ans on n’est pas obligé de faire du surf, ni d’avoir une Rolex, ni d’être gaulé comme un dieu grec, c’est pas ça la vie. Pour plein de raisons, physiques, sociologiques, comportementales, on souffre de frustrations qui ne sont même pas les nôtres, qu’on nous a infligées, distillées au compte-gouttes, mais on n’a rien demandé. Je constate chez mes contemporains, chez des potes, un mal-être, je trouvais qu’il y avait une sorte de mélancolie, due aussi au fait qu’on est de plus en plus repliés sur nous-même, de moins en moins dans l’échange et le collectif. On est dans une société qui se juge, qui se critique, je trouve ça absurde, on est dans un pays où avant on pouvait tout dire, s’exprimer de façon totalement libre, j’ai l’impression que c’est moins le cas, on a moins de bienveillance les uns envers les autres.

« J’avais besoin de faire un truc très personnel »

Jusqu’alors vous avez été coréalisateur, de « Narco » et « Les Infidèles », qu’est-ce qui vous donné l’envie d’être pleinement réalisateur ?

Quand vous êtes comédien, j’ai la chance de le faire beaucoup, c’est un luxe, c’est génial, je suis fou de joie. Au bout d’un moment, c’est compliqué de n’être que le vecteur, je transmets la parole des autres, les mots des autres. Je commençais à nourrir une petite frustration, j’avais le sentiment d’être un tout petit peu à côté de moi-même, pour être honnête. J’avais envie de m’exprimer, c’est extraordinairement luxueux d’avoir la chance de le faire, mais j’avais besoin de faire un truc qui me soit très personnel.

Au milieu de tous ces mecs, il y a un beau personnage féminin, une épouse jouée par Marina Foïs, qui soutient son mari jusqu’au bout, dans la dépression, le chômage, la galère…

J’en avais un peu marre de voir ce cliché de la vieille rombière qui gueule, j’avais envie que les femmes, dans mon film, soient les meilleures alliées des hommes, leur associée, leur amie, leur alter ego, et leur soutien profond. C’est arrivé bien avant tout ce qui se passe en ce moment et cette espèce de guerre des sexes idiote qu’on nous fait vivre. J’avais très envie de faire un film avec des hommes un peu affaiblis, et des femmes très fortes, parce que je viens de ça, les femmes qui m’entourent sont fortes et j’en bénéficie évidemment. J’ai toujours été admiratif de ces couples très amoureux qui ont leur façon de fonctionner, leur vocabulaire, vous êtes étranger à cette histoire, je trouve ça magnifique, et c’est peu exploité au cinéma.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Le grand bain », un film de Gilles Lellouche (sortie le 24 octobre).

Marina Foïs (ici avec Mathieu Amalric) joue une épouse attentive et compréhensive. "J'avais envie de faire un film avec des hommes un peu affaiblis et des femmes très fortes", confie Gilles Lellouche
Marina Foïs (ici avec Mathieu Amalric) joue une épouse attentive et compréhensive. « J’avais envie de faire un film avec des hommes un peu affaiblis et des femmes très fortes », confie Gilles Lellouche
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