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Comprendre le plan numérique pour l’éducation

Michaël Bourgatte, Institut Catholique de Paris

Capture plan numérique 1
Capture d’écran YouTube

La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud-Belkacem porte depuis sa mandature au ministère un « plan numérique pour l’éducation » qui concerne les collèges. Ce programme a été inauguré en 2015 avec un travail expérimental de préfiguration conduit dans plusieurs centaines d’établissements et le lancement d’un appel à projets.

L’objectif, hautement louable, est celui de la transmission d’une culture numérique aux futures générations et la réduction des inégalités grâce aux technologies (exclusion sociale, handicap…). Le projet devrait selon toute vraisemblance trouver son terme en 2018 autour de la mise à disposition massive d’équipements et de contenus numériques pour les élèves et les enseignants.

Intégrer le numérique aux programmes

Le premier axe d’intervention est incitatif. Il concerne l’usage du numérique en classe, « en particulier en français et en mathématiques » stipule le plan. Cependant, aucune indication n’est donnée quant au type de technologie à utiliser, en particulier sur la problématique “outils propriétaires/univers du libre” qui pose des questions déontologiques et de gestion des données (quels sont les droits d’usage ? Où les données sont-elles sauvegardées ?).

Le gouvernement demande ensuite aux collèges d’engager des actions de sensibilisation des élèves aux discours médiatiques, ce qui est une chose excellente quand on sait l’impact que les nouveaux canaux de circulation de l’information ont sur les jeunes générations (notamment les réseaux sociaux). Cependant, aucun outil concret n’est mis à leur disposition.

Dernier point d’achoppement : l’initiation à la programmation. Bien qu’il ne soit pas vital d’apprendre à coder, c’est un axe de compétence important qui va donner la capacité à chaque collégien de déployer un discours critique face aux processus de mise en forme et de gestion de l’information dans le numérique. Mais on regrettera, là encore, une absence de consignes et de préparation des équipes pédagogiques.

Il apparaît donc clairement que le choix des actions est laissé à l’appréciation des enseignants. Encore une fois, leur expertise est largement sollicitée et c’est une compétence supplémentaire qu’on leur demande de maîtriser.

Former de futurs citoyens connectés

La transmission d’une culture numérique dès le plus jeune âge est intimement liée au désir des pouvoirs publics de repositionner la citoyenneté et l’apprentissage des valeurs démocratiques au centre des enseignements. Cela transparaît à travers une multitude d’actions dont les plus récentes : le portail de modernisation de l’action publique, la commande d’un rapport sur les équilibres démocratiques et, bien entendu, ce plan numérique pour l’éducation.

Mais le gouvernement se donne-t-il les moyens de mettre réellement en œuvre une révolution numérique et citoyenne dans l’enseignement ? On est en droit d’en douter.

Trois journées de formation et la mise à disposition de ressources en ligne ne seront pas suffisantes pour permettre aux équipes pédagogiques d’encadrer au mieux les élèves. Il importe au contraire d’entrer dans une logique réelle de formation des formateurs avant d’engager de telles réformes. Ou bien d’envisager le recrutement d’auxiliaires de vie numérique qui seront là pour mettre en place des actions.

Dans l’immédiat, ce sont donc les équipes des ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), des ISFEC (Instituts Supérieurs de Formation de l’Enseignement Catholique), ainsi que les universitaires qui vont répondre aux besoins et aux demandes des futurs enseignants, puis les accompagner le plus possible dans l’usage des technologies.

Quant aux enseignants en poste, il convient d’ores et déjà d’imaginer un travail de sensibilisation au numérique qui fera l’objet d’un suivi au long court, au-delà des maigres actions proposées par le gouvernement.

Se donner les moyens de réussir

La mise à disposition de ressources pédagogiques sur un portail est un premier axe fort du plan. Cependant, une confusion demeure, car les contenus restent, pour l’heure, accessibles de manière éparse sur des sites déjà existants comme celui de Canopé ou d’Eduthèque.

Le premier portail a été fondé en 2014 sur la base d’une fusion entre les collections de centres de ressources anciens. Le second a été lancé en 2013 dans le cadre du projet d’instauration d’un service public numérique et il s’adresse indistinctement aux enseignants de collèges, de classes de primaire et de lycées. On voit donc que nous sommes dans une stratégie de récupération et que le devenir de cette proposition est incertain.

L’accès à ces ressources – comme la conduite d’activités – nécessitent ensuite d’équiper les enseignants et les élèves. C’est le deuxième axe d’action. Ici, l’accent est mis sur l’acquisition d’EIM (équipements individuels mobiles), car ils sont multifonctionnels (ils permettent de lire, écrire, filmer, se géolocaliser…). En outre, ils peuvent accompagner la numérisation des tâches du quotidien scolaire comme la gestion des emplois du temps ou des bulletins de notes.

On s’interrogera cependant sur les modes d’acquisition massifs et uniformisés de tablettes (notamment face à la question du libre arbitre et du libre équipement de chacun).

Enfin, le troisième axe porte sur le financement à venir de plusieurs projets de recherche sur des thématiques aussi diverses que l’écriture (manuscrite/informatisée) ou la manipulation de matériels (robots, imprimantes 3D) (appels e-FRAN et PIA).

Ces projets répondent aux attentes inventoriées dans le cadre de l’étude « collèges connectés » – une étude qui fait le point sur les espoirs que les élèves, les enseignants, mais aussi les parents fondent dans le numérique (2015). Reste à espérer que ces projets impulseront une dynamique et donneront de l’envergure au plan.

Les limites du plan et son devenir

Pour conclure, on dira que la structuration du « plan numérique pour l’éducation » est symptomatique du rapport ambigu que les pouvoirs publics entretiennent avec les technologies, à savoir : faut-il administrer la numérisation de l’enseignement ou bien faut-il entrer dans une dynamique de laisser-faire en soutenant des projets particuliers et innovants ?

On insistera également sur le fait que les propositions sont de qualité, mais que les objectifs à atteindre ne sont pas posés (1) par l’absence de philosophie générale (mettre en place un arbitrage au niveau national ou accompagner des projets par établissement ?) ; (2) par l’absence de méthodologie (quelle méthode d’analyse des dispositifs médiatiques doit être prônée ?) ; (3) par l’absence d’objectifs (à quoi cela peut-il servir d’apprendre à coder ?).

Il apparaît donc urgent de rédiger un guide ou un référentiel pour l’intégration du numérique à l’école. Sans doute les spécialistes français des EdTech (technologies de l’éducation) et du champ des Humanités Numériques devraient-ils être mobilisés ?

Quoi qu’il en soit, de plus en plus d’initiatives sont mises en place, à l’instar du HackEdu Paris, de La French Touch de l’Éducation ou du premier Edcamp France qui devront être des lieux propices à une réflexion nourrie et au redéploiement de ce « plan numérique pour l’éducation » dans un futur proche.

The Conversation

Michaël Bourgatte, Maître de Conférences en Humanités Numériques, Institut Catholique de Paris

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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