Alexandre Espiguares a tiré un beau film d’animation du roman de Jack London. Interview du réalisateur.
C’est un héros mythique que « Croc-Blanc », le chien-loup imaginé dans son roman par Jack London. Le brave animal est désormais le héros d’un film d’animation, réalisé par Alexandre Espiguares (en salles depuis le 28 mars). Une belle adaptation, dans laquelle les animaux se comportent comme des animaux, ne parlent pas, ne chantent pas. On suit d’abord ce petit chiot, plein de fougue, qui vit avec sa mère dans les forêts et les montagnes enneigées. Au fil des saisons, « Croc-Blanc » va devenir grand, sera chien de traîneau, chien de combats, chien de ferme, au fil de ses rencontres avec des humains, des bons et des méchants. Une partie de l’animation de cette coproduction franco-luxembourgeoise a été réalisée dans la Région Grand-Est , qui a apporté son soutien au film. Interview du réalisateur luxembourgeois, rencontré lors de la présentation du film en avant-première à Nancy, au Caméo et à l’UGC.
Avant votre film, il n’y avait jamais eu d’adaptation de « Croc-Blanc » en film d’animation au cinéma ?
Alexandre Espiguares : Bizarrement non, il y a eu une série animé dans les années 90, qui est très jeune public. Au cinéma, c’est la première adaptation, la première fois qu’on voit « Croc-Blanc » en animation, où l’on raconte vraiment l’histoire telle que Jack London l’a écrite, du point de vue du chien. Dans les films en prises de vue réelles, il y a deux adaptations italiennes dans les années 70, et le plus connu c’est celui de 1991 avec Ethan Hawke, où finalement Croc-Blanc n’est qu’un chien qui intervient de temps en temps dans la vie de son maître, on y perd la perspective de l’animal.
Pour votre part, vous avez choisi d’être fidèle au ton du roman de Jack London plutôt qu’au livre lui-même ?
Quand j’ai reçu le scénario, je ne connaissais le livre que de réputation. Le scénario m’a beaucoup plu, il n’était pas bavard et racontait le film du point de vue du chien, avec des passages que j’avais déjà en tête, très silencieux, très axés sur les bruits de la nature. J’ai quand même lu le livre pour pourvoir l’intérioriser et après je l’ai mis de côté, je n’ai travaillé que sur le souvenir du livre, j’ai eu toute liberté pour modifier le scénario et me l’approprier. Du coup, il y a des scènes que j’ai modifiées en fonction du ressenti que j’avais du bouquin, c’est le principe même d’une adaptation, tout ce qui est écrit ne se prête pas à être transposé tel quel.
« Les premières références sont les westerns italiens »
Par son aspect et le récit, votre film fait vraiment référence aux westerns…
Quand les producteurs m’ont approché, mon premier réflexe a été : Chouette, je vais faire mon western ! Les premières références qui sont venues sont surtout les westerns italiens, d’auteurs beaucoup moins connus que Sergio Leone, « Le grand silence » de Sergio Corbucci qui se passe dans la neige, les visages burinés des personnages, je trouvais que ça correspondait bien au ton plus dur du film. Dans un autre registre, je suis allé voir des films tels que « Jeremiah Johnson » avec Robert Redford, un western qui traverse plusieurs saisons, ou des films comme « L’Ours ».
Vous avez apporté une grande attention au graphisme proche de la peinture, pour retranscrire les grands espaces américains ?
Quand on fait un film comme celui-ci, où les personnages parlent très peu de par leur nature, l’idée était que jamais l’humain ou l’animal ne puisse prendre le pas sur la nature, qui est un personnage à part entière, il faut la bichonner. Une autre intention d’origine stipulait que la nature aurait toujours un petit côté augmentée, on pouvait exagérer certaines proportions en fonction de la narration, la hauteur des arbres qui peuvent paraître plus grands que ce qu’ils sont dans la nature, histoire de donner un effet de gigantisme là où c’est nécessaire et rabaisser les protagonistes humains ou canins. Que ce soit en été ou en hiver, on est dans un milieu hostile en permanence. Parfois, on est restés très proches du réel, ce qu’on appelait les scènes National Geographic, on essayait d’être très proches du documentaire animalier.
Justement, la musique est composée par Bruno Coulais, qui avait signé des bandes originales de documentaires animaliers (« Le peuple migrateur », « Océans »…), vous l’aviez choisi pour ça ?
J’aimais déjà ce que faisait Bruno avant, c’était un choix évident, dès le début il a été très à l’écoute, j’avais des idées très précises pour la musique. La musique est souvent sous-estimée dans les films d’animation, et ici on a un film qui joue beaucoup sur les parties de silence et sur la présence de la musique, Bruno m’a vraiment suivi là-dessus, on avait tous les deux cette volonté de ne pas saturer le film de musique. Bruno travaille de façon plus subtile, il n’appuie pas les émotions, il n’essaie pas de les matraquer, il aime bien que la musique hante le film, on a trouvé le bon équilibre.
« Il était essentiel de ne pas montrer la violence »
C’est grâce à l’Oscar que vous avez reçu pour le court-métrage d’animation « Mr Hublot », coréalisé avec Laurent Witz, que vous avez pu faire « Croc-Blanc » ?
Je soupçonne que oui, ça crée des possibilités que vous n’aviez pas envisagées. Suite à l’Oscar, dans les dix mois qui ont suivi, j’ai eu trois scénarios qui m’ont été envoyés spontanément. Des trois, il n’y avait que « Croc-Blanc » qui m’a vraiment interpellé, les deux autres étant des films très classiques en terme d’animation. Avec « Croc-Blanc », je sentais qu’on tenait vraiment un film avec lequel on pouvait aller dans une adaptation bien différente de ce que le public a l’habitude de voir. Les Américains font très bien ce qu’ils font, je n’ai pas envie d’aller sur ce terrain, en plus je crois qu’on n’arriverait pas à le refaire, donc autant prendre le risque de faire quelque chose de nouveau, en terme de look, de narration. En Europe, grâce à nos petits budgets, on a cette liberté de pouvoir artistiquement se lâcher.
C’est un film familial, et vous avez fait le choix de ne quasiment jamais montrer la violence, on la devine, on l’imagine…
Quand vous faites un film comme ça, vous devez être conscient de qui est votre cible, en tant que réalisateur, vous imposez votre vision à votre public. Il était essentiel pour moi de ne pas montrer la violence graphique, mais de garder une certaine intensité. Même quand on ne montre rien, le son, la lumière, l’ambiance peuvent ramener une intensité que vous n’avez pas à l’image. Ce qui est stimulant en tant que réalisateur, c’est que ça vous oblige à être créatif.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Croc-Blanc », un film d’animation d’Alexandre Espiguares (en salles depuis le 28 mars).
Grand Est, terre de tournages
Outre la sortie de « Croc-Blanc » (lire ci-dessus), le Grand Est connaît une riche actualité cinématographique et audiovisuelle en ce premier semestre 2018, avec de nombreux projets soutenus par la Région.
Ainsi, le tournage de la série « CHERIF », qui vient de démarrer en studio, à Reims, pour un total de 60 jours entre mars et octobre 2018. Cette série policière, portée par Abdelhafid Metalsi, en est à sa 6ème saison et réunit régulièrement 4 à 5 millions de téléspectateurs sur France 2. Les deux décors principaux de la série, le commissariat et l’appartement du héros, le Capitaine Kader Chérif, ont été totalement reconstitués dans des locaux de l’ancienne base militaire 112 à Bétheny (51). Des techniciens, comédiens et figurants du Grand Est sont mobilisés sur ce projet.
Autre tournage dans le Grand Est, le 5ème épisode de la série phare de France 3, « Capitaine Marleau », avec Corinne Masiero. Les décors de Mulhouse et de ses environs, ainsi que l’Anneau du Rhin, verront les tribulations de ce capitaine atypique, confronté à Nicole Garcia et Hippolyte Girardot. Une trentaine de techniciens régionaux se sont mobilisés pour ce projet, auxquels s’ajoutent de nombreux figurants et prestataires.
Un documentaire « au pays des sons »
Tourné dans les Vosges, « L’Esprit des lieux » sera projeté, en première mondiale, au Festival Cinéma du Réel à Paris (du 27 mars au 1er avril). Ce film de Stéphane Manchematin et de Serge Steyer, soutenu par la Région, a également été sélectionné au Taiwan International Documentary Festival, qui se déroulera en mai prochain, et au festival TRT d’Istanbul pour les International Documentary Awards. Synopsis : Héritier d’une pratique paternelle, Marc Namblard consacre l’essentiel de son temps à sa passion : « Je vis au pays des sons ». Cette quête existentielle l’a conduit à s’enraciner à la lisière d’un massif forestier, dans les Vosges, et à y fonder famille. À la tombée du jour, il camoufle ses micros dans un sous-bois, déclenche la prise de son, puis s’éloigne. Toute la nuit, le dispositif capte des ambiances sonores : souffles, cris, chants, grattements… De retour en studio, dans le sous-sol de sa maison, Marc écoute les enregistrements afin d’en extraire les pépites. Bientôt, un compositeur, Christian Zanési, lui propose de collaborer à la création d’une pièce de musique électroacoustique.
D’autre part, le Grand Est accueillera également prochainement les tournages de la saison 2 de la série « Zone Blanche », de la mini-série « Un avion sans elle », du long-métrage « La frontière » de Frédéric Fonteyne, et d’un téléfilm de la Collection « Meurtres à… », qui sera consacré au monde de la cristallerie.