Livre
Le portrait que fait le journaliste Francis Christophe de l’ancien secrétaire général de l’Elysée (1) est aux antipodes de l’image que ce grand commis de l’Etat voudrait donner de lui. Son nom, mêlé à de jolis scandales, revient régulièrement dans l’actu.
On lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Le visage lisse, la coiffure sage d’un premier de la classe, le verbe pondéré, Claude Guéant est l’archétype du préfet exemplaire. Sorti de l’ENA en 1971, il a gravi tous les échelons de la hiérarchie politico-administrative jusqu’à devenir en 2007 secrétaire général de l’Elysée et bras droit de Nicolas Sarkozy. Puis ministre de l’Intérieur.
Mais quels secrets cache donc cet homme de l’ombre dont le nom est désormais associés à de gros scandales politiques ? De l’affaire du financement de la campagne de Sarkozy en 2007 à l’affaire Tapie/Crédit Lyonnais en passant par les primes de cabinet en liquide, aux sondages de l’Elysée, à la vente de tableaux d’un petit peintre flamand à l’affaire des écoutes d’un concurrent aux élections législatives, Claude Guéant est plusieurs fois mis en examen. Il a été condamné en première instance, dans l’affaire des primes en liquide, par le TGI de Paris pour « complicité de détournement de fonds publics et recel » à deux ans de prison avec sursis et 75.000 € d’amende. C’était le 13 novembre 2015. Si la presse n’en a pas beaucoup parlé c’est que, ce jour-là, une autre actu va chasser toutes les autres : les attentats terroristes de Paris feront 130 morts et plus de 400 blessés.
« La légende du suicide »
Francis Christophe, qui fut pendant treize années journaliste à l’AFP et auteur de plusieurs ouvrages d’investigation dont Boulin, le fantôme de la 5ème République (OWNI) retrace dans son livre Claude Guéant un préfet en eaux troubles, l’ascension de cet énarque issu d’un milieu modeste. Et s’attarde sur les nombreuses casseroles qui désormais lui collent à la peau.
On est loin de l’image lisse du grand commis de l’Etat, du préfet exemplaire, du directeur général de la police nationale intègre, du secrétaire général de l’Elysée irréprochable, du ministre honnête.
Enquêter sur Claude Guéant, c’est « plonger dans les arcanes de la 5ème République » écrit l’auteur. « C’est aussi suivre une ascension dont les racines convergent vers l’une des plus mystérieuses affaire politiques de l’après-guerre, la mort du ministre Robert Boulin, retrouvé ‘’noyé’’ le 30 octobre 1979 en forêt de Rambouillet. C’est lever le voile sur l’Etat profond, celui des réseaux de l’ombre qui se substituent à l’Etat de droit dès lors que des ‘’nécessités supérieures’’ le commandent. »
Dans l’affaire Boulin, on sait que la mort du ministre du Travail était connue en haut lieu plusieurs heures avant la découverte du corps à 8 h 40. Or, le ministre de l’Intérieur Christian Bonnet « a confirmé en 2011 avoir été réveillé cette nuit-là par son directeur de cabinet, Jean Paolini » écrit Francis Christophe qui poursuit : « Selon une source bien informée, le permanencier place Beauvau qui fit réveiller, via Jean Paolini, son ministre de l’Intérieur, serait le sous-préfet Claude Guéant, conseiller au cabinet du ministre, en charge selon les paroles de Christian Bonnet, des questions de sécurité. »
Interrogé par l’auteur du livre, Claude Guéant dément avoir été de permanence cette nuit-là. Mais reconnaît avoir été informé de la découverte du corps de Robert Boulin « avant 8 h 45 »… Voilà qui met à mal la version officielle, « la légende du suicide »….
M.G.
(1) « Claude Guéant, un préfet en eaux troubles » de Francis Christophe. Editions du Moment. 189 pages. 16,50 €