« Son côté slave me touchait », dit l’actrice, qui incarne la mère de l’écrivain Romain Gary, dans « La promesse de l’aube ». Interview.
« Pour moi, elle était vraie, je ne faisais pas quelqu’un de romancé, au contraire, elle était très terrienne », dit Charlotte Gainsbourg, de la femme forte qu’elle incarne dans « La promesse de l’aube ». Un film réalisé par Eric Barbier (sortie le 20 décembre), adapté du roman de Romain Gary, et dans lequel l’actrice interprète la mère excessive, étouffante, de l’écrivain (joué par Pierre Niney). « Charlotte donne une vérité bouleversante au personnage, elle était possédée par Nina, ce qu’elle donne dans le film est très intime », confie le réalisateur.
Comment avez-vous préparé le personnage de cette mère, qui est physiquement loin de vous ?
Charlotte Gainsbourg : Mais je suis quelqu’un de très costaud. C’était imposé dès le départ, son enveloppe, le physique, ses excès, sa manière de parler, très vite j’ai compris la silhouette du personnage, ça dégageait quelque chose de costaud. En fait, pour chercher le costume, j’ai enfilé une robe d’époque et j’ai vu qu’il n’y avait pas le personnage, ça faisait fragile. Sa silhouette me rappelait ma grand-mère, c’est une femme d’une autre époque, je ne voulais qu’elle soit gracieuse, même si elle est coquette, et elle a aussi le rôle du père, il y avait quelque chose de masculin à transmettre aussi.
Vous avez donc utilisé des artifices pour vous transformer ?
En fait, on a mis de l’épaisseur partout, des seins, des hanches, des fesses, du ventre… Je trouvais ça très réconfortant comme enveloppe, je lui voyais beaucoup de charme, ça me plaisait énormément. Il y avait un côté flamboyant, ce qui me touchait c’est le côté slave, qui me rappelait à la fois mon père, ma grand-mère, des réminiscences de choses que je n’avais pas vécues évidemment, mais qu’on m’a raconté, l’immigration quand mes grands-parents sont venus en 1917, ils voulaient venir uniquement en France, pour la culture française, j’ai vu tellement de liens. Je me suis servie de tout, à la fois du roman, de ma vie, de mes grands-parents, de mon fils, ça résonne.
« C’était vraiment marrant à faire »
Et il vous fallait aussi accepter de vous vieillir, le maquillage, les rides…
Il y a très peu de vraies images d’elle, il y a une image avant qu’elle ne meure où on a l’impression qu’elle a cent vingt ans, alors qu’elle est morte jeune. Il fallait que ce soit choquant de la voir comme ça. On voulait aussi marquer l’âge de manière extrême, bien marquer les époques, je crois que je prends dix ans à chaque acteur qui joue Romain, c’était vraiment marrant à faire. Je me suis beaucoup amusée, parce que c’est rare pour une actrice de ne pas se préoccuper de son physique, je savais que j’étais très bien filmée, il y a une belle lumière, on est tous à notre avantage, mais ça n’avait aucune importance, ça rend léger. Au contraire, j’avais l’impression que j’arrivais à être belle même en m’enlaidissant, et ça me plaisait, j’ai eu un plaisir intense avec ce rôle.
Un rôle pour lequel vous avez dû apprendre le polonais ?
C’était la difficulté majeure, mais à laquelle je m’attendais. Cinq mois avant de tourner, j’ai commencé, et ça a été un travail de tous les instants, j’ai vraiment vécu avec du polonais dans mes oreilles, à me rabâcher les scènes, les exercices, la gymnastique vocale. Autant l’accent russe m’était familier, mais l’accent polonais n’a rien à voir, c’était un gros apprentissage. J’ai eu une coach hallucinante, une jeune actrice polonaise qui m’a accompagnée pendant tout le tournage, elle ne me lâchait pas, mais j’avais besoin de ça.
Rue de Verneuil, « un écrin » à l’image de son père
Ce film sort peu après votre nouvel album « Rest », où vous sentez-vos le plus à l’aise, au cinéma ou avec la musique ?
C’est bien parce que c’est tellement différent, ça n’a rien à voir, même moi je me sens différente. Bizarrement, ce sont des mondes qui ne se mélangent pas. Je pense que c’est parce que c’est différent que ça me plait autant, et que j’ai plaisir à être en manque de l’un quand je fais trop de l’autre. C’est tellement excitant de pouvoir jongler entre les deux, et de ne pas avoir à sacrifier l’un ou l’autre.
Le clip de la chanson « Lying with you » a été tourné dans la maison de votre père, rue de Verneuil, vous avez toujours l’idée d’en faire un musée ?
Je veux, je veux faire un musée, mais c’est compliqué, comme c’est compliqué depuis vingt-six ans. C’est une petite maison, je ne voudrais pas la dénaturer, donc je ne sais pas comment faire entrer des gens, j’ai envie que ce soit à son image, et j’ai envie aussi qu’il y ait un peu de mystère, il faut que ce soit bien fait, que les gens se fassent leur propre parcours, ça devrait être un endroit qui lui est dédié, c’est un peu un écrin, je voudrais que l’écrin soit moderne et à son image.
Pour un autre clip, « Deadly Valentine », vous avez filmé vos filles, vous auriez envie de passer à la réalisation ?
Je crois que j’aimerais bien.
Propos recueillis par Patrick TARDIT