« Le roman est un hommage à sa mère », dit le réalisateur Eric Barbier qui a porté à l’écran le roman de Romain Gary, « La Promesse de l’aube ».
« Ce n’est pas un biopic, je n’avais pas l’obsession de retrouver la réalité de Romain Gary », confie Eric Barbier, qui adapté au cinéma un fameux roman de l’écrivain, « La Promesse de l’aube » (en salles depuis le 20 décembre). Le cinéaste a confié à Pierre Niney le rôle de Romain Gary, et à Charlotte Gainsbourg celui de sa mère Nina, une mère étouffante, envahissante, qui force, qui pousse sans arrêt son fiston chéri, et lui bourre le crâne de mille rêves, mille destins : « Tu seras ambassadeur de France, écrivain, chevalier de la Légion d’honneur… ».
« C’est une femme qui a beaucoup souffert, et il a voulu construire un personnage plus grand que nature, délirant, et en même temps magnifique », précise Eric Barbier. Charlotte Gainsbourg se fait ainsi énergique, intense, dans le rôle de cette mère à l’amour « monstrueux » pour son fils, son héros.
Avec un budget de 24 millions d’€uros, quatorze semaines de tournage dans cinq pays, une reconstitution soignée, le réalisateur avait l’ambition d’un cinéma « classique et spectaculaire » ; il fait de « La Promesse de l’aube » un film romanesque, foisonnant, presque trop parfois, tout en racontant un drame intime et familial.
« Gary a toujours refusé d’être enfermé »
« J’ai fait tout ce qu’elle m’a dit », finira par constater ce fils « exceptionnel », résolu à devenir tout ce que sa chère mère attend de lui, à « être digne d’elle ». Gary aura réellement mille vies, sera effectivement écrivain, ambassadeur, aviateur, cinéaste, séducteur, mari d’une actrice (Jean Seberg)… Et recevra même deux fois le Prix Goncourt, pour « Les Racines du ciel » (1956) et « La Vie devant soi » sous le pseudo d’Emile Ajar (1975).
« C’est une grande douleur que sa mère ne l’ait jamais constaté », raconte Eric Barbier, « C’est un enfant qui est possédé presque physiquement par sa mère, il a eu une vie très compliquée, le roman est un hommage à sa mère. C’est une histoire de vengeance, c’est un enfant qui venge sa mère. Même l’invention d’Ajar est une façon de se venger de la vision que les gens avaient de lui, il a toujours refusé d’être enfermé ».
Si le destin de Gary est unique, Eric Barbier voit aussi dans cette histoire « l’universalité du sujet », « la » mère, et le côté inéluctable de la vie avec ou sans elle. Car, ainsi que le dit Niney/Gary dans le roman et dans le film : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais ».
Patrick TARDIT
Pierre Niney : « Gary, c’est Indiana Jones, mais en vrai »
Comment se prépare-t-on à incarner Romain Gary ?
Pierre Niney : Je ne me suis pas préparé à être Romain Gary comme j’ai pu me préparer dans une mission de ressemblance à jouer Yves Saint-Laurent, parce que tout l’intérêt de Gary c’est qu’il y a beaucoup de lui dans ses livres, mais ce n’est jamais totalement lui ; par définition, c’est donc loin d’être un biopic. Lui-même a changé les noms dans ses livres, une façon de montrer que les choses vont être transformées, décalées, il disait que La Promesse de l’aube était une autobiographie sensationnelle, ça sous-entend beaucoup de transformations, de réinvention de la réalité. Après, ça ne m’a pas empêché de lire beaucoup de livres de Gary, de regarder ses interviews, de me renseigner sur son enfance pour comprendre l’envie qu’il a eu d’écrire ce livre, et les vrais enjeux de sa jeunesse et de son enfance.
« Il y avait une promesse d’aventure »
Après avoir incarné Yves Saint-Laurent, Philippe Cousteau, et maintenant Romain Gary, vous refuserez si on vous propose de jouer une personnalité célèbre ?
Non, je n’ai pas du tout envie de me spécialiser là-dedans. Après Yves Saint-Laurent, j’ai dû faire trois ou quatre films, et si ça avait été un biopic sur Gary je me serais posé plus de questions, là c’est le roman qui est magnifique, c’est un roman inventif, créatif, sur un aventurier moderne. Il y avait aussi une promesse d’aventure, une promesse de film épique avec du souffle.
Comment ce fut de jouer avec Charlotte Gainsbourg ?
Très bien. Je rêvais de tourner avec elle, j’étais doublement heureux quand j’ai su que c’est elle qui faisait la mère, j’avais très envie que ça se fasse. On ne travaille pas du tout pareil. C’est peut-être parce que j’ai des velléités de réalisateur, mais ça m’arrivait souvent de parler avec Eric Barbier des scènes, de regarder la composition des plans, comprendre ce qu’on filmait, Charlotte est plus dans son personnage. Elle est très pudique, j’aime bien ça, il y a une part de mystère qui est importante, je trouve.
« C’est un film sur l’amour maternel »
Quelle est votre opinion sur cette mère qu’elle incarne ?
Toute l’énergie désespérée de mon personnage, elle lui vient tout le temps de sa mère, c’est ce qu’il dit dans le roman. Elle l’a détruit, et en même temps elle l’a complétement émancipé en tant qu’artiste, dans le roman, mais il y a du vrai là-dedans bien sûr. On dit que c’est le livre le plus important de Gary, ça révèle beaucoup de choses, le dédoublement, le sens du drame, de la mise en scène, ça a fait la vie de Gary, elle est la genèse de tout. C’est un film sur l’amour maternel.
Le film est romanesque, mais la vie de Gary l’était aussi…
Complètement. C’est Indiana Jones, mais en vrai. C’était un jeune juif polonais persécuté dans son pays, qui fuit ça pour aller en France, parce que la langue française c’est Victor Hugo, le pays des droits de l’homme, le pays de la liberté, le pays d’accueil des migrants, c’est ce que ça représente à ce moment-là, et il va devenir un des plus grands artistes et écrivain du XXème siècle.
Vous évoquiez votre envie de réaliser, vous avez des projets ?
Je finis d’écrire un film que j’aimerais bien réaliser d’ici un an ou deux, je termine l’écriture, ça fait trois ans que j’écris. C’est un prolongement naturel, une curiosité naturelle, l’envie de voir des situations que j’ai en tête, que j’aimerais voir jouées par des comédiens que j’aime.
Propos recueillis par Patrick TARDIT