Marc Gentilini, Académie nationale de médecine
Chaque année, 800 000 personnes meurent d’avoir pris un médicament falsifié. 10 % de médicaments contrefaits au niveau mondial, jusqu’à 60 % et plus dans les pays les plus pauvres, une rentabilité 20 à 45 fois supérieure au trafic de drogue : il est temps de prendre conscience que l’internationalisation des médicaments falsifiés, via Internet, n’épargne plus aucun pays dans le monde. Y compris la France, malgré un contrôle exemplaire de la qualité de la chaîne du médicament par les pharmaciens.
L’absence de moyens réellement contraignants favorise le trafic. C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Europe a, dès 2011, rédigé la convention Médicrime, « ouverte à tous les signataires du monde » pour tenter de combler les carences dans le domaine de la répression. Le 12 mai prochain, un vote à l’Assemblée nationale devrait enfin permettre la ratification par la France de cette Convention.
Ce sera l’aboutissement d’un long parcours législatif entamé le 5 janvier 2015 avec la présentation du projet de loi par le gouvernement et sa ratification par le Sénat, le 17 décembre dernier. La France sera ainsi le sixième pays après l’Espagne, la Hongrie, la Moldavie, l’Ukraine et la Guinée à pouvoir ériger en infraction pénale la fabrication, la fourniture, son offre et le trafic de produits médicaux contrefaits, la falsification de documents et la fabrication ou la fourniture non autorisée de produits médicaux et la commercialisation de dispositifs médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité.
Le Conseil de l’Europe a voulu ainsi combler l’absence d’instrument international spécifique de lutte contre les produits médicaux falsifiés. Espérons que cette ratification par la France, après l’Espagne, incitera d’autres grandes nations, en Europe et dans le monde, à prendre conscience de l’urgence à agir contre ce fléau menaçant la santé, mais aussi la sécurité publique.
Urgence pour la santé
Il y a urgence. Les menaces sur la santé se précisent, alertent les responsables de l’Observatoire des médicaments mis en place au sein de la Direction générale des douanes, et notamment les nouveaux « cyberdouaniers » chargés de remonter les filières sur Internet, responsables des trois quart du trafic…
Il faut en priorité sensibiliser ceux qui, autour de nous, pensent qu’on ne parle que des médicaments de rue sur les marchés africains. Certains, à commencer par les professionnels de santé, ignorent trop souvent que ces médicaments falsifiés sont aussi à l’origine de la flambée de résistances aux antipaludiques, aux antibiotiques et aux antirétroviraux.
Mais la rue n’est pas le seul lieu du trafic : les ventes de médicaments falsifiés sur Internet prennent de l’ampleur comme si le médicament était une marchandise comme une autre. Les conséquences sont redoutables : sous-dosés, surdosés ou accompagnés d’excipients toxiques, les médicaments falsifiés risquent de rendre encore plus méfiantes les populations envers les vrais médicaments. Il en va de même pour les vaccins, victimes eux aussi de ce trafic.
Bénéfices immenses, faible risque
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Nous sommes face à des criminels pour qui la vie et la santé des autres ne comptent pas, d’autant plus à l’aise dans leurs trafics mortifères qu’ils bénéficient d’une quasi-impunité face aux failles de nos moyens de prévention ou de riposte. Les opérations « coups de poing » d’Interpol, depuis huit ans, dans les grands ports d’Afrique accueillant des cargos chargés de containers frauduleux sont des manifestations spectaculaires, mais éphémères. Les descentes musclées contre les petits dealers de marchés ou de rues ne font que déplacer les points de vente.
L’harmonisation des législations, à l’échelle non seulement régionale, mais mondiale, permettrait seule de combler les vides juridiques rendant le trafic de faux médicaments si attractif pour le crime organisé. Le couple infernal « bénéfices considérables et faibles risques encourus » doit être dénoncé et brisé. Comme pour la lutte anti-terroriste, et de concert avec elle du fait sans doute de connexions mafieuses au niveau des financements, il est capital de coordonner, vite et fort, les services de police, des douanes, du monde juridique et des médias en les encadrant par des accords nationaux, régionaux et internationaux.
Il faut surtout obtenir un engagement des décideurs politiques, des chefs d’Etat, à afficher publiquement leur détermination en vue de conduire une véritable traque contre ce trafic, en luttant parallèlement et résolument contre la corruption qui le favorise.
Convention Médicrime
Jorge Royan/Wikimédia, CC BY-SA
En particulier, la Chine et l’Inde, épicentres de la fabrication des médicaments falsifiés, doivent être rappelées à l’ordre et comprendre que la falsification nuit à leur image. Elles ne doivent plus peser sur l’OMS qui doit retrouver son libre arbitre et mobiliser massivement toutes les nations vis-à-vis de ce crime pharmaceutique qui porte certes d’abord préjudice aux nations les plus pauvres, mais aussi aux riches qui agissent comme s’ils étaient protégés par des réseaux sanitaires bien contrôlés.
Toutes les institutions de l’ONU doivent se mobiliser à la hauteur de leurs moyens et une convention internationale maîtrisant le crime devrait être rapidement proposée. En attendant, il faut soutenir l’initiative courageuse prise par le Conseil de l’Europe avec la Convention Médicrime, premier traité international criminalisant le trafic de médicaments, de plus en plus souvent associés aux réseaux terroristes qu’ils peuvent enrichir.
Une première académique
Pour la première fois en France, trois académies – médecine, pharmacie, vétérinaire – et les trois ordres professionnels respectifs se mobilisent en signant ensemble un manifeste solennel pour demander « une politique de prévention et de répression du trafic des médicaments falsifiés à l’échelle internationale ». Les académies et les ordres considèrent que la fabrication, le transport, la détention et la vente de médicaments ou de vaccins falsifiés sont des crimes qui doivent être, comme le terrorisme, poursuivis et sanctionnés en raison des graves menaces qu’ils font peser sur la santé dans le monde.
Ils tiennent aussi à rappeler que l’accès aux médicaments dans les pays pauvres est lié à un prix de vente accessible à ces populations, mais aussi à la possibilité qui leur serait offerte de bénéficier à terme d’une couverture sanitaire, encore trop souvent réservée aux fonctionnaires des États ou aux employés de grandes compagnies internationales.
Enfin, il alertent aussi sur l’absence ou l’insuffisance, au cours du cursus des études médicales, pharmaceutiques et vétérinaires, d’un enseignement sur les faux médicaments (mais aussi sur les fausses indications des vrais médicaments !). Enfin, ils déplorent l’autorisation accordée en 2013 pour la vente partielle des médicaments sur Internet sans la moindre campagne d’information du grand public sur les risques encourus…
Marc Gentilini, Président honoraire de l’Académie nationale de médecine, président de lʼOrganisation PanAfricaine de Lutte pour la Santé (OPALS), Académie nationale de médecine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.