L’ancien secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, réagit sur son blog aux propos des ministres de l’Economie et des Comptes publics, Le Maire et Darmanin relatifs à l’annulation de la taxe à 3% sur les dividendes, il leur rappelle le rôle de Macron dans cette affaire et leur donne une petite leçon de droit communautaire.
Par Christian Eckert
Si Bruno Le Maire et Gérald Darmanin s’étaient intéressés aux finances publiques avant leur entrée au gouvernement, ils auraient évité de s’indigner devant l’annulation de la taxe à 3% sur les dividendes distribués, dont la genèse et l’évolution était connues des parlementaires chevronnés.
Si avant de parler de scandale et d’amateurisme juridique ils s’étaient interrogés sur le rôle du Président Macron, Secrétaire Général Adjoint de l’Elysée en 2012, qui s’occupait avant tout de fiscalité des entreprises, du Secrétaire Général de l’Elysée d’aujourd’hui, Alexis Kohler, Directeur adjoint du Cabinet du Ministre des Finances en 2012 et des parlementaires devenus ministres Castaner, Collomb, Ferrand…, qui ont voté à l’été 2012 la loi de finances et tous ses articles, ils auraient sans doute été plus mesurés.
Directive européenne
Si ces ministres fraichement arrivés à Bercy étaient animés par une volonté de vérité plutôt que par le souci de faire diversion pour ne pas parler de l’injustice de leur loi de Finances, ils auraient donné les explications qui suivent, quelle qu’en soit la complexité juridique :
1/ La contribution de 3% sur les dividendes distribués a été mise en place à l’été 2012 pour deux raisons :
- Respecter une promesse de campagne visant à taxer différemment les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices et celles qui les distribuent aux actionnaires ;
- Faire face au contentieux dit « OPCVM » (4,5Md€) laissé par le gouvernement précédent auquel Bruno Le Maire appartenait.La retenue à la source sur les dividendes payées par des sociétés françaises à des OPCVM étrangers avait en effet été invalidée par la CJUE en mai 2012.
Ce sont vraiment les grandes entreprises qui sont concernées. Son rendement est estimé à 1,8 Md€ pour 2017.
2/ La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans le cadre d’un recours de grandes entreprises françaises, a estimé que la taxe méconnaissait l’article 4 de la directive européenne dite « mère-fille ».
A la suite de cette décision, le Conseil constitutionnel a donc censuré la taxe. Ceci est la conséquence directe de la décision de la CJUE.
3/ La création de la taxe s’était pourtant faite après des analyses juridiques approfondies en juin-juillet 2012 par les services du Ministère des finances, qui ont rencontré plusieurs fois les organisations professionnelles (AFEP, Medef…). Le sujet était bien sûr suivi directement par le secrétaire général adjoint de l’Elysée. Les analyses juridiques de la Direction de la législation fiscale et les critiques des organisations en question portaient à l’époque sur le respect de l’article 5 de la directive européenne dite « mère-fille » qui concerne l’interdiction de mettre en place des retenues à la source.
Ce risque précis et toute autre difficulté juridique possible ont été examinés par le secrétariat général du gouvernement, le secrétariat général aux affaires européennes puis le Conseil d’État, saisi du projet de loi de finances rectificative à titre consultatif, et les deux commissions de Finances des deux assemblées.
Toutes les analyses concluaient à la conformité au droit communautaire.
Le sujet de l’article 4 – et non l’article 5 – qui a été retenu in fine par la Cour de justice de l’Union européenne a été soulevé plus tard par un avocat, fin 2012.
L’état du droit
4/ La CJUE a finalement eu une analyse extensive de la directive, reprenant les conclusions de son avocate générale présentées fin 2016. Cette nouvelle jurisprudence était inenvisageable en 2012.
5/ En mars 2017, les montants contestés étaient estimés par la DGFIP à 5,5 Md€ pour 5500 contentieux. Par prudence et sans connaître encore la décision de la CJUE, les risques probables ont fait l’objet de provisions dans les comptes de l’Etat au 31 décembre 2016.
Le ministre de l’économie a récemment évoqué un chiffre plus élevé de 9 Md€. De nouveaux recours ont pu être déposés dans l’intervalle et l’effet de la décision récente du Conseil constitutionnel n’avait pas été pris en compte en début d’année.
6/ La version initiale du texte exonérait de la taxe les distributions qui entraient dans le champ du régime mère-fille avant que le Gouvernement ne me propose de déposer un amendement créant l’exonération dans le champ de l’intégration fiscale.
Cet amendement n’a eu aucun impact sur la solidité juridique du régime. En effet, dans la version initiale, le point finalement censuré par la Cour de justice de l’Union européenne, c’est-à-dire la taxation des dividendes reversées par la société mère à ses actionnaires terminaux, était également présent.
Tel est l’état du droit, dans toute sa complexité, avec l’imprévisibilité des arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Monsieur Bruno Le Maire a demandé une enquête à l’Inspection Générale des Finances. C’est une sage décision et il y trouvera toutes les compétences pour avoir une parfaite information.
Il aurait pu commencer par là, avant de donner ses conclusions.
C.E.