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Mineo : un lager en Sicile ! Entretien avec Antonio Mazzeo, journaliste et militant des droits de l’Homme. 5/5

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Mineo, le plus grand centre de rétention de migrants d’Europe (Capture Le ParisienTV)

« Il y a un an, les demandeurs d’asile semi-détenus étaient au nombre de 1600. Aujourd’hui ils sont 3400 avec toujours le même nombre de personnels techniques (assistants sociaux, psychologues, etc) et avec un budget toujours réduit jusqu’à l’os. »

 

On ne compte plus les reportages pour la presse et la télévision française montrant, avec tout le pathos de circonstance, de magnifiques plages, parmi les plus belles de la Sicile, et même d’Europe, pleines de touristes goûtant un repos mérité, soudainement bousculés par l’arrivée de barques éventrées et pleines d’Africains affamés, hébétés, apeurés. Ce que l’on aime en guise d’information, c’est bien entendu le choc des contrastes : une plage de sable noir volcanique ou de sable blanc immaculé où bronze une Allemande typée, seins nus, opulente et recouverte d’une huile à bronzer, et un Africain, éreinté par des jours de traversée sans eau et sans nourriture, les yeux enfoncés dans ses orbites, les cotes saillantes sur la peau tendue, en haillons, qui ne sait, Ulysse des temps modernes, si cette sirène alanguie sur la rive représente l’eldorado enfin atteint ou sa fin…
Cela nous parle forcément ! Et si cela ne nous évoque rien : si ni le témoignage d’un homme opprimé ni le contraste des photos ne nous atteint, alors on appuie sur le trait ; on le force et on le grossit : des cadavres flottent et viennent s’abîmer contre des rochers tandis que sur la plage, à quelques encablures de ce cimetière marin, des enfants jouent à la balle dans une mer apaisée et transparente. Toute cette dramaturgie se déroule à Lampedusa. Depuis des années, des dizaines de milliers de réfugiés politiques africains et asiatiques, des fuyards, des éperdus d’eldorado, des gens épris de libertés, mais aussi sûrement des hommes aux mains sales, tentent la traversée et viennent mourir en s’échouant sur Lampedusa, l’île la plus proche, dans ce que les cartes maritimes d’autrefois, cruelle ironie, nommaient la mer africaine (mare africanum ou mare libycum).
Là, un centre de rétention attend les survivants de la terrible odyssée : avec ses barbelés, sa promiscuité, ses tensions entre ethnies rivales, entre hommes et femmes, entre hommes et jeunes enfants. Parce que Lampedusa est dans l’inconscient collectif occidental l’île paradisiaque par excellence, les reportages n’ont pas manqué. Mais ils ne disent rien d’essentiel, n’analysent rien, ne montrent rien en définitive : qui donc pour dire par exemple que le maire Bernardino De Rubeis a été condamné pour détournements des aides publiques et européennes à destination des réfugiés[1]? Qui pour dire encore que le curé de la paroisse a osé interpeller le pape François dès sa nomination pour lui demander en sa qualité de migrant  de venir sur l’île constater l’horreur en personne [2]? Qui enfin pour dire que l’île est partagée par un invisible 38e parallèle, qu’elle est même en guerre larvée entre ceux qui n’en peuvent plus et repoussent les barques des émigrants quand ils le peuvent et ceux qui les abritent malgré les forces de police et un décret inhumain qu’en d’autres temps nous n’aurions pas manqué de qualifier, scandalisés, de fasciste et d’inhumain !? Un film, Terra Ferma, raconte cette cruelle dualité de l’île et montre la tragédie qui se joue quotidiennement à nos portes sans spectateur aucun. Deux autres films notoires peuvent éclairer ici ladite tragédie et questionner les véritables rapports entre occident et orient, entre droits humains cristallisés et fantasmés : ce sont les films de Gianni Amelio, Lamerica, et celui de Roland Sejko, Anija, la nave qui raconte l’arrivée de 20 000 Albanais fuyant la fin de la dictature communiste en 1990 pour rejoindre la Sicile.

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La Marine italienne achemine les réfugiés vers Mineo, en Sicile

Mi juin 2013, les journaux La Sicilia, Il Giornale di Sicilia, Il Corriere del Mezzogiorno, racontent : «  Un uomo del Mali non ha rispettato la fila per la distribuzione della colazione ed è stato rimproverato da uno dei dipendenti che stavano servendo il pasto : ed è scoppiata guerra [3]».
Six blessés parmi les policiers, combien parmi les 3000 révoltés de CARA ? Cela, la presse ne le dit pas tandis qu’un communiqué de la SIAP [4] tombe : « il CARA è un business per tanti ma non certamenti per i poliziotti [5] ». Tommaso Vendemmia, son délégué, ajoute dépité : « il CARA è un paese senza regole dove la delinquenza impazza [6] ».

La presse s’enflamme et narre la guérilla, le saccage des locaux, le feu, les chaises détruites et ces hordes sauvages issues d’ethnies qui se font la guerre dans leur pays respectif et que l’on parque ici sans rien savoir selon des modèles pensés par d’obscurs ronds de cuirs… Les mots claquent cinglants avec le retour des polémiques. D’un côté : échec, business obscène quand il n’est pas mafieux, gabegie financière pour l’Italie tout entière mais également pour l’UE, inhumanités, lager, misères et promiscuité et de l’autre : apprentissage de la démocratie participative, soins, paix, attente de jours meilleurs, meilleur sort.
Qu’en est-il réellement ? Pour tenter d’y voir plus clair, questionnons Antonio Mazzeo, peace resercher comme il aime à se définir lui-même et surtout journaliste engagé dont certains de ses ouvrages ont été primés comme par exemple : « I padrini del Ponte : affari di mafia sullo stretto di Messina [7] (Prix Giorgio Bassani pour le journalisme 2010). Il est l’auteur également de : Un Eco MUOStro a Niscemi : l’arma perfetta per i conflitti del XXI secolo [8]. Ses autres livres interrogent le risque militaire en Sicile, la guerre et la paix, les droits humains, la militarisation du biotope naturel… Toujours dans un bus, entre deux gares, dans un studio radio, manifestant, écrivant, interpellant nos consciences, Antonio Mazzeo ne se ménage pas. Son implication est totale, jusqu’au-boutiste tant dans ses livres et articles que dans son quotidien de citoyen.

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Antonio Mazzeo, journaliste

-Antonio Mazzeo, tentons d’abord d’y voir plus clair notamment en analysant les différents communiqués de presse du mois de juin 2013 après une énième révolte au CARA de Mineo montrant l’échec patent d’un tel système : lager comme vous l’avez écrit ou village modèle 5 étoiles comme le vantait Silvio Berlusconi auprès de l’UE ?

Non, c’est chaque jour toujours plus un lager et un centre de détention qu’un hôtel 5 étoiles qui en a d’ailleurs perdu 3 cela dit au passage. Il y a un an, les demandeurs d’asile semi-détenus étaient au nombre de 1600. Aujourd’hui ils sont 3400 avec toujours le même nombre de personnels techniques (assistants sociaux, psychologues, etc) et avec un budget toujours réduit jusqu’à l’os. De telle sorte que tôt ou tard, le lager se transforme en une poudrière…

-Les responsables du CARA de Mineo ne sont pas manchots et révèlent sur leur blog [9] ou sur leur profil Facebook [10] les inexactitudes des journalistes mal informés ou partisans et disent eux : « al Cara di Mineo c’è sempre stata una grande attenzione per la dignità delle persone, per il loro benessere, e per il loro futuro, malgrado la legge non offre grandi possibilità di servizi in tal senso. Eppure al Cara di Mineo i servizi formativi, educativi, culturali ed anche ricreativi e ludici si sono sempre molitiplicati ben aldilà degli obblighi contenuti nel bando di gestione. [11]» Encore une fois qui dit vrai ?

 J’y suis retourné le mois de juillet [12] dernier après plus d’un an. J’accompagnais une délégation d’observateurs composée du député Erasmo Palazzotto[13] et d’autres dirigeants de SEL Sicilia[14] ainsi qu’une médiatrice culturelle de Borderline Sicilia[15]. Le jugement unanime fut assez négatif je dois dire. Les conditions de vie au CARA sont désastreuses, la qualité des services proposés quasi inexistante, le repas imprésentable et la tension palpable parmi les occupants est énorme. Même les forces de l’ordre qui ont augmenté dans des proportions inimaginables à l’intérieur reconnaissent que la situation n’est plus tenable. J’ignore si les dirigeants qui gèrent le consortium ne s’en aperçoivent pas ou font semblant de ne pas s’en apercevoir. A dire vrai, leur philosophie est la suivante : plus il en entre et mieux c’est ! Ils seraient heureux s’ils pouvaient gérer 5000 personnes !

Des photos nous montrent même que ces déracinés votent leurs représentants, qu’ils apprennent la démocratie participative, que leur voix est écoutée et entendue, que tout est fait pour que leur dignité d’homme soit reconnue… n’exagérez-vous pas lorsque vous écrivez : « Mineo è innanzitutto un laboratorio sperimentale per nuove pratiche di deportazione e carcerazione degli « altri » e dei « diversi » [16]» ?

 A vrai dire, il y avait parmi les dirigeants du consortium le souhait et l’utopie de pouvoir attribuer à tous les demandeurs d’asile des représentants selon leur appartenance ethnique. En réalité, loin d’être un processus démocratique, cette initiative a vu, outre un taux de participation faible, des représentants contraints ou intéressés par des meilleures conditions de vie au centre de détention occuper une fonction pour laquelle ils ne sont pas formés. Ce fut aussi un échec. Comme ce fut un échec de pouvoir penser télécommander ces représentants. Au cours d’une assemblée que nous avons eue avec eux lors de cette même visite, les tensions étaient fortes et distinctes. Je le répète : la situation est désormais incontrôlable, explosive. De ce fait, cela signifie que la délégation et la procuration délivrée à des organismes privés n’est plus viable surtout dans ce contexte où apparaissent de nombreux conflits d’intérêts.

Nous sommes loin du modèle réalisé à Riace[17] en Calabre non ? Que faudrait-il idéalement pour y parvenir ? Est-ce un échec du social housing à la sicilienne ?

 Nous en sommes éloignés. Je dirai même au contraire que le centre de Mineo est aux antipodes de celui de Riace et des dizaines de projets SPAR[18] où les réseaux d’accueil basés sur les associations locales de volontariat ont réussi de nombreuses intégrations et d’échanges culturels à des coûts moindres comparés à ceux du maxi Cara sicilien. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas d’une différence due à la culture sicilienne : l’accueil et le respect des droits humains a été possible de nombreuses fois en Sicile. En Sicile, comme à Riace, on a expérimenté des laboratoires d’accueil concret.

Combien de réfugiés accostent en Sicile par an ? Et combien sont acheminés ici au CARA de Mineo ? Comment réagissent les populations locales devant tant de misère humaine ?

Les chiffres valsent sans cesse et résultent de calculs très complexes relevant de situations globales (s’il y a d’éventuels conflits ou crises entre les pays du sud méditerranéen, la gestion des flux migratoires, etc.). Ces derniers mois, il y a eu sans doute de nouvelles vagues d’arrivées, principalement sur Lampedusa, Pozzallo et la côte ionienne. La dernière tragédie de jeunes migrants (parmi lesquels des mineurs) qui se sont noyés en face de la populaire plage de La Playa à Catane confirme cela, mais surtout confirme la tragédie des migrations en des temps d’hyper militarisation des côtes et de la mer. De nombreux, que dis-je, de très nombreux migrants parmi ceux qui sont parvenus à rejoindre les côtes de la Sicile et des îles Pelagie [19]ont été déroutés sur Mineo.

La SIAP, mais pas seulement, parle de business : qu’entend-elle par le mot business ici ? Où commence le business et où finit-il ? Celui qui emploie à dessein le mot business sous-entend-il implicitement, une présence mafieuse, qu’en est-il réellement ?

Il n’y a pas d’élément tangible pour soutenir l’idée ou parler de mafia dans le business du CARA de Mineo. Par le passé, nous avons constaté et remarqué la présence de dirigeants criminels à l’intérieur du CARA concernant la gestion et la proposition de services, cela est vrai, mais nous ne pouvons rien ajouter à ce constat.  Le business existe à proprement parler dans la gestion des services (accueil, assistance, nourriture, etc) et, fait plus honteux encore, dans le choix d’un complexe résidentiel de nature privée pour la location du CARA. Le complexe jusqu’en 2010 était en location pour les soldats américains de la base de Sigonella. Les propriétaires à leur départ ont réussi à le placer auprès du gouvernement presqu’aussitôt à pas moins de 500 000 euros par mois. Dépense reversée dans le bien public. Personne n’a même cherché à essayer de trouver un endroit à coût zéro : casernes, écoles, etc. … propriétés de l’Etat ou des communes.

Vous allez jusqu’à écrire que le CARA de Mineo est une immense usine à fabriquer de l’argent mais surtout des votes : vous nous expliquez ?

Dans une situation comme celle que connaît la population de Calatino, pouvoir contrôler des dizaines et des dizaines d’emplois (précaires), les placer dans la structure du CARA, signifie aussi pouvoir compter en retour sur un nombre considérable de voix lors des élections. Sans exagérer, je crois aujourd’hui que le personnel dépendant du CARA de  Mineo peut choisir et déterminer l’élection d’un maire dans une petite ville avoisinante, quelques conseillers dans les plus grandes. De plus, les voix comptent aussi à l’échelle régionale et nationale.

Que pensent les Siciliens du décret anti-débarquement ? Le territoire sicilien est-il en danger par la présence récurrente de ces réfugiés comme le pensent les détracteurs de ce projet ?

Malgré des campagnes de communication terroristes sur le mode de « l’invasion » par le Sud, je pense que très peu de Siciliens sont tombés dans le panneau. Même dans les moments les plus dramatiques, ladite pression migratoire a été de faible impact sur la Sicile. En revanche, il s’agit d’une autre réalité lorsque l’on considère la concentration forcée dans des aires géographiques comme Lampedusa, Mineo, Trapani et Caltanissetta. Là, outre la négation des droits civils, on alimente de possibles tensions avec la population autochtone. Et cela n’est sûrement pas fait par hasard.

Vous écrivez que le niveau de militarisation du centre est asphyxiant, pourquoi ? Les Associations antiracistes de Catane dénoncent les barbelés, les barrages, les caméras de surveillance…

 Armée, police, carabiniers, gardes des finances, agents de Frontex. Ainsi qu’un véhicule-blindé, des talkie-walkies, etc… C’est tout sauf un centre d’accueil c’est sûr ! Le CARA de Mineo avec ses fils barbelés et ses contrôles asphyxiants assume ses ressemblances avec une immense prison à ciel ouvert. Enregistrements, contrôles, détritus amassés dangereusement, tout est bon pour faire ressentir aux occupants le souffle de la répression d’un Etat incapable de donner des réponses claires en des temps rapides (ceux prévus par les lois et les conventions internationales) aux sacro-saintes demandes des migrants et des demandeurs d’asile.

N’est-ce pas une cruelle ironie, un deus ex machina voulu par les dieux ou l’Histoire que de faire de la Sicile une terre d’asile alors qu’elle a tant essaimé de par le passé ? Un juste retour des choses ?

Je le répète, ce n’est pas la Sicile qui refuse d’assumer son droit-devoir d’accueil. Ce sont les classes dirigeantes siciliennes, la politique, les administrateurs et les représentants locaux de l’Etat qui incitent l’île à devenir un méga centre de détention. Les associations antiraciste et le volontariat, le vrai, revendiquent le modèle d’une Sicile, terre d’immigration et pont pour la paix en Méditerranée.

Si l’on parcourt les statistiques de l’ISTAT [20], on découvre qu’à la fin du 20ème siècle outre les départs définitifs vers les Etats-Unis mais aussi l’Australie, l’Argentine ou le Venezuela, près de 100.000 Siciliens s’en allaient chercher du travail en Tunisie. Sans parler plus tard des colonies royales italiennes de Libye, Somalie et d’Ethiopie. Aujourd’hui le flux est inversé, les Siciliens se sentent-ils concernés ? Se rappellent-ils que leur grand-père, comme le mien, sont allés chercher fortune ailleurs ?

Je crois qu’il n’existe aucun Sicilien qui ne compte pas parmi ses proches un parent qui a été contraint à migrer soit par-delà l’océan, soit en Europe. Et avec la crise, on peut même dire que cela s’est accentué. Les mass médias et la politique nationale se dédouanent en faisant croire que la crise actuelle n’est due qu’à la présence de ces migrants et qu’ils sont la principale cause du chômage. Balivernes instrumentalisées privées de tout bon sens et surtout de preuves scientifiques. Mais jusqu’à ce jour, je pense que ces mensonges ont eu peu d’effet sur les Siciliens.

Que faut-il faire alors ? Quelles mesures prendre ? Comment travailler ensemble pour que ce problème devienne moins épineux ?

Les migrations sont structurelles et elles sont de toute façon moteur de mobilités et de ressources potentielles pour celui qui est le protagoniste principal ou le pays d’accueil. Il faudrait en revanche inverser la pensée unique qui voit en la migration un élément de danger, de crise, etc… et à partir de là donner des réponses concrètes d’accueil, de reconnaissance et d’extension des droits, de travail, de services.

Que font les politiques concrètement ? Croyez-vous en la création de ces fêtes patronales du migrant destinées à arrondir les angles ?

 Démagogie ! Ils font de la démagogie et dans le cas spécifique de Mineo, ils gèrent des affaires et un bon paquet de voix ! Dans l’une de mes récentes enquêtes journalistiques sur la formation professionnelle, j’ai eu l’occasion de découvrir que des entreprises créées pour défendre les droits des Siciliens à l’étranger s’étaient enrichies grâce à d’énormes financements publics (majoritairement européens). Elles dispensaient des pseudo-cours pour leurs parcours professionnels. Une honte ! Loin de l’attention nécessaire aux immigrés et émigrants.

Durant l’élection présidentielle française, la candidate du Front national Marine Le Pen, a débarqué sur l’île de Lampedusa soucieuse de soigner son image d’anti-immigration et consciente que l’île était un symbole fort pour appuyer son discours haineux et récolter des voix. Que pensez-vous d’une telle intervention ? Je veux dire, si le problème de Mineo et de tant d’autres centres de rétention, concerne l’Europe tout entière, n’est-il pas normal dès lors que des politiques d’autres nations interfèrent dans les affaires siciliennes ?

Hélas, plus que Le Pen, la Lega et autres partis d’extrême droite italienne ont bien tenté de s’approprier un peu d’espace aux dépends de ces drames et de ces tensions. Evénements pénibles même si servis à l’envi par les mass médias qui ont eu peu d’effets politiques et des retombées proches du zéro d’un point de vue électoral.

La Sicile tient un gouverneur atypique en la personne de Rosario Crocetta depuis fin 2012, cela peut-il changer quelque chose à toutes ces approches ?

Crocetta ? Jamais vu ni même entendu concernant les problématiques et les réelles urgences de ces derniers mois sur le front de l’émigration et de l’accueil. C’est peut-être mieux ainsi vu les bobards racontés sur le MUOS de Niscemi (cf. chapitre « Un MUO(n)Stre venu des Amériques »).

Quelle a été votre toute dernière émotion artistique ?

 Le 9 août 2013, un long cortège anti-Muos composé de 4.000 personnes est parvenu, après avoir cheminé, le long de la réserve naturelle de Sughereta, à s’introduire dans la grande base militaire américaine où se poursuivent les travaux d’installation. Ce fut une invasion colorée et pacifique, inimaginable de par ses proportions et la détermination de ses participants. Ils ne voulaient qu’une seule chose : se réapproprier une aire écologiquement extraordinaire que les seigneurs de la guerre ont transformé en un avant-poste de mort. Pour la première fois dans l’histoire de l’Italie, quelques milliers de personnes ont occupé, même si c’est juste pendant quelques heures, une des principales bases américaines du monde. Une base stratégique pour ses communications satellitaires et avec ses sous-marins nucléaires. Nous avons voulu donner un signal d’espoir pour une révolution issue du bas de la société pour la paix et les droits humains. J’en ai encore des frissons en me remémorant les images de cette splendide journée.

Jean-François Patricola

 

[1] En juillet 2013, le tribunal d’Agrigente l’a condamné à 5 ans et trois mois de réclusion, interdiction d’exercer un mandat pour corruption, abus d’autorité, malversations et corruptions.

[2] Ce que le pape François fit en juillet 2013.

[3] La Repubblica, palermo.it, édition du 14 juin 2013. Traduction de l’auteur : « Un Malien n’a pas respecté la file durant la distribution du petit-déjeuner et a été sermonné par un des personnels qui servait le repas : la révolte a alors éclaté. »

[4] Syndicat autonome de police.

[5] I Giornali di Sicilia.it, édition du 17 juin 2013. Traduction de l’auteur : « Le CARA est un business pour beaucoup mais certainement pas pour les policiers ».

[6] Traduction de l’auteur : « Le CARA est un pays sans règle où la délinquance devient folle. »

[7] Antonio Mazzeo, I padrini del Ponte, affari di mafia sul stretto di Messina, edizioni Alegre, 2010, préface d’Umberto Santino qui n’est autre que le fondateur et président du Centre de documentation anti-mafia Peppino Impastato de Palerme (cf chapitre : « le cran des Siciliens »). Pour ceux et celles que la vie tragique et le combat joyeux contre la mafia de Giuseppe Impastato intéresseraient voir le film I cento passi de Marcu Tullio Giordana (2000) (cf annexes). Traduction du titre par l’auteur : Les parrains du Pont, affaires mafieuses sur le détroit de Messine.

[8] Antonio Mazzeo, Un Eco MUOStro a Niscemi, l’arma perfetta per i conflitti del XXI secolo, Edizioni Sicilia Punto L, avril 2012. Traduction du titre par l’auteur : Un Eco MUO(n)Stre à Niscemi : l’arme parfaite pour les conflits du XXIème siècle. Cf chapitre consacré au MUOS dans cet ouvrage : « une internationale de la violence et de l’absurde ».

[9] caramineo.blogspot.fr

[10] www.facebook.com/accoglienzaMineo

[11] Traduction de l’auteur : « au Cara de Mineo, il y a toujours eu une grande attention portée à la dignité humaine, pour leur bien-être, et pour leur futur, bien que la loi n’offre pas beaucoup de possibilités dans ce sens. Et pourtant, au Cara de Mineo, les services de formation, d’éducation, culturels et aussi de loisirs se sont toujours développés bien au-delà de ceux contenus dans les cahiers des charges ».

[12] NdA : juillet 2013.

[13] Erasmo Palazzotto est un député du parti Sinistra Ecologia e Libertà (SEL). Né en 1982, il est Palermitain, élu à la Chambre des députés en 2013.

[14] Acronyme pour Sinistra Ecologia e Libertà ; parti politique italien.

[15] Borderline Sicilia est une association qui travaille au respect des droits des émigrants. Son siège social se situe à Modica où l’association est née en 2008. Elle édite plusieurs plaquettes d’informations. Son équipe est sicilienne mais aussi allemande.

[16] Traduction de l’auteur : « Mineo est avant tout un laboratoire expérimental pour les nouvelles pratiques de déportation et d’emprisonnement des « autres » et des « différents » ».

[17] Riace est connue dans le monde entier pour ses célèbres guerriers grecs en bronze du Ve siècle avant JC. Aujourd’hui, elle doit sa renommée à son modèle d’intégration voulue par le maire Domenico Lucano. Ce petit bourg de pêcheurs de la côte calabraise (150 âmes) a vu débarquer en 1998 quelque 250 kurdes qui, cherchant la route vers la Grèce, en une folle course homérique, ont échoué leur barque là. Quasiment moribond, le bourg a accueilli les réfugiés et les a littéralement assimilés. Aujourd’hui, le bourg compte 800 habitants dont 1/3 d’entre eux sont Afghans, Maliens, Erythréens, Syriens, Algériens, Tunisiens. Ils vivent avec la protection d’un village renaissant : l’artisanat revit, l’école a rouvert où les enfants et les parents apprennent la langue des gens du pays, les vieux et les enfants ont des aides-soignants, etc… Le maire a créé l’euro de Riace et son modèle d’intégration a reçu le Word Mayor Award (le prix du meilleur maire au monde), ainsi que de figurer à la candidature du Prix Nobel pour la paix. Outre l’assimilation, la Croix Rouge italienne a souligné qu’un réfugié qui coûte à l’Italie 55 euros par jour, n’en coûtait que la moitié à Riace sachant de plus que cet argent était réinjecté dans le commerce local, la restauration de vieilles masures et la création de commerces. Hollywood a dépêché sur les lieux Wim Wenders en 2010 pour faire un documentaire face à cette potentielle success story. Le cinéaste à l’épreuve de la réalité a laissé tomber purement et simplement son documentaire pour faire un film racontant ce miracle : Il volo.

[18] Acronyme pour : Sistema di Protezione per Richiedenti Asilo e Rifugiati. Structure d’aide aux réfugiés politiques et aux migrants née en 1999/2000. Elle est sous tutelle du Ministère italien de l’intérieur (Loi 189/2002).

[19] Lampedusa, Linosa et Lampione.

[20] Equivalent italien de l’INSEE : Institut national de la Statistique.

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