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Karol Nawrocki élu président de la Pologne : une mauvaise nouvelle pour l’UE, pour l’Ukraine et pour les Polonaises

Adam Simpson, University of South Australia

Le nouveau président, un historien ouvertement nationaliste largement aligné sur Donald Trump, refuse l’entrée de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN, critique Bruxelles sur de nombreux dossiers et est opposé au droit à l’avortement.


C’est peu dire que le résultat du second tour de l’élection présidentielle polonaise a contrarié, en Pologne et partout ailleurs sur le Vieux continent, les tenants du camp pro-européen.

Historien de formation, Karol Nawrocki, connu pour son nationalisme intransigeant et pour son alignement sur Donald Trump, a battu de justesse le maire libéral et pro-UE de Varsovie, Rafal Trzaskowski, avec 50,89 % des suffrages contre 49,11 %.

Le président polonais a peu de pouvoirs exécutifs, mais il peut opposer son veto à l’adoption de nouvelles lois. Cela signifie que les conséquences de la victoire de Nawrocki seront ressenties avec acuité, tant en Pologne que dans le reste de l’Europe.

Nawrocki, qui s’est fait élire en tant qu’indépendant mais qui sera soutenu par le parti conservateur Droit et Justice (PiS), fera sans aucun doute tout son possible pour empêcher le premier ministre libéral Donald Tusk et la coalition formée autour du parti de celui-ci, la Plate-forme civique, de mettre son programme en œuvre.

Le blocage législatif promis à la Pologne pour les prochaines années pourrait bien voir Droit et Justice revenir au gouvernement lors des élections législatives de 2027, et remettre le pays sur la voie anti-démocratiques que le parti avait empruntée lors de son dernier passage au pouvoir, de 2015 à 2023. Durant ces huit années, le PiS avait notamment affaibli l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais en prenant le contrôle des nominations aux plus hautes fonctions judiciaires et à la Cour suprême.

Au-delà de la Pologne elle-même, la victoire de Nawrocki a donné un coup de fouet aux forces pro-Donald Trump, antilibérales et anti-UE à travers le continent. C’est une mauvaise nouvelle pour l’UE et pour l’Ukraine.

La Pologne, nouveau poids lourd du continent

Pendant la majeure partie de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la Pologne n’a eu qu’une influence limitée au niveau européen. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’économie polonaise est en plein essor depuis l’adhésion à l’UE en 2004. Elle consacre près de 5 % de son produit intérieur brut à la défense, soit près du double de ce qu’elle dépensait en 2022, au moment de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie.

La Pologne possède aujourd’hui une plus grande armée que le Royaume-Uni, que la France ou encore que l’Allemagne. Et son PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat vient de dépasser celui du Japon.

Ajoutée au Brexit, cette progression a entraîné un déplacement du centre de gravité de l’UE vers l’est, en direction de la Pologne. Puissance militaire et économique montante de 37 millions d’habitants, la Pologne contribuera à façonner l’avenir de l’Europe.

Quel impact sur l’Ukraine ?

L’influence dont la Pologne bénéficie aujourd’hui en Europe est illustrée de façon éclatante par le rôle central qui est le sien dans l’appui de l’UE à l’Ukraine contre la Russie. On l’a encore constaté lors du récent sommet de la « Coalition des volontaires » à Kiev, où Donald Tusk, aux côtés des dirigeants des principales puissances européennes – la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni —, s’est engagé à rehausser le niveau de soutien de l’Union à l’Ukraine et à son président Volodymyr Zelensky.

Ce soutien inconditionnel de la Pologne à l’Ukraine est désormais menacé, car Nawrocki a eu des propos très durs à l’encontre des réfugiés ukrainiens arrivés dans son pays et s’oppose à l’intégration de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN.

Pendant sa campagne, Nawrocki a reçu le soutien de l’administration Trump. Lors de la récente Conservative Political Action Conference, tenue en Pologne, Kristi Noem, la secrétaire à la sécurité intérieure des États-Unis, a déclaré :

 « Nous avons chez nous un leader fort, Donald Trump. Mais vous avez la possibilité d’avoir un leader tout aussi fort si vous faites de Karol le leader de votre pays. »

Trump a d’ailleurs accueilli Nawrocki dans le Bureau ovale alors que celui-ci n’était qu’un simple candidat à la présidence. Il s’agit là d’un écart important par rapport au protocole diplomatique standard des États-Unis, qui consiste à ne pas se mêler des élections à l’étranger.

Nawrocki n’est pas aussi favorable à la Russie que la plupart des autres dirigeants internationaux estampillés « MAGA », mais cela est dû en grande partie à la géographie de la Pologne et à l’histoire de ses relations avec la Russie. La Pologne a été envahie à plusieurs reprises par les troupes russes ou soviétiques dans ses plaines orientales. Elle a des frontières communes avec l’Ukraine ainsi qu’avec le Bélarus, État client de la Russie, et avec la Russie elle-même à travers l’enclave fortement militarisée de Kaliningrad, située sur la mer Baltique.

J’ai fait l’expérience de l’impact que peut avoir sur la Pologne la proximité de ces frontières lors d’un terrain en 2023, quand j’ai effectué un voyage en voiture de Varsovie à Vilnius, la capitale lituanienne, en passant par le corridor de Suwalki.

Cette frontière stratégiquement importante entre la Pologne et la Lituanie, longue de 100 kilomètres, relie les États baltes au reste de l’OTAN et de l’UE au sud. Elle est considérée comme un point d’ignition potentiel si la Russie venait à occuper ce corridor afin d’isoler les États baltes.

Du fait de ce contexte géopolitique, les conservateurs nationalistes polonais sont nettement moins pro-russes que ceux de Hongrie ou de Slovaquie. Nawrocki, par exemple, n’est pas favorable à l’arrêt de l’approvisionnement en armes de l’Ukraine.

Il n’en demeure pas moins que son accession à la présidence Nawrocki ne constitue pas une bonne nouvelle pour Kiev. Pendant la campagne, Nawrocki a déclaré que Zelensky « traite mal la Pologne », reprenant ainsi le type de formules que Trump lui-même aime à employer.

Un pays divisé

L’importance de l’élection s’est traduite par un taux de participation record de près de 73 %.

L’alternative qui se présentait aux électeurs polonais entre Nawrocki et Trzaskowski était extrêmement tranchée.

Trzaskowski souhaitait une libéralisation des lois polonaises sur l’avortement – l’IVG avait de facto été interdite en Pologne sous le gouvernement du PiS – et l’introduction de partenariats civils pour les couples LGBTQ+. Nawrocki s’oppose à de telles mesures et à ces changements et mettra très probablement son veto à toute tentative de loi allant dans ce sens.

Un sondage Ipsos effectué à la sortie des urnes a mis en évidence les divisions sociales qui traversent aujourd’hui le pays.

Comme lors d’autres élections récentes dans le monde, les femmes et les personnes ayant un niveau d’éducation élevé ont majoritairement voté pour le candidat progressiste (Trzaskowski), tandis que la plupart des hommes et des personnes ayant un niveau d’éducation moins élevé ont voté pour le candidat conservateur (Nawrocki).

Après le succès surprise du candidat à la présidence libéral et pro-UE aux élections roumaines il y a quinze jours, les forces pro-UE espéraient un résultat similaire en Pologne. Ces espoirs ont été déçus : les libéraux du continent devront désormais s’engager dans une relation difficile avec ce dirigeant trumpiste de droite qui jouera un rôle majeur au sein d’un pays devenu, à bien des égards, le nouveau cœur battant de l’Europe.The Conversation

Adam Simpson, Senior Lecturer, International Studies, University of South Australia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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