Le comité Nobel norvégien a décidé d’attribuer le prix Nobel de la paix 2024 à Nihon Hidankyo, organisation japonaise des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945.
L’organisation est récompensée « pour ses efforts en faveur d’un monde exempt d’armes nucléaires et pour avoir démontré, par des témoignages, que les armes nucléaires ne doivent plus jamais être utilisées.»
Nihon Hidankyo, c’est une organisation japonaise dont le nom complet est « Nihon Gensuibaku Higaisha Dantai Kyogikai » (日本原水爆被害者団体協議会), ce qui se traduit en français par « Confédération japonaise des organisations de victimes des bombes A et H ».
Nihon Hidankyo a été fondée en 1956 et représente les survivants (appelés « hibakusha » en japonais) des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945. L’organisation a pour objectifs principaux :
- De défendre les droits et les intérêts des survivants des bombardements atomiques.
- De sensibiliser le public aux effets dévastateurs des armes nucléaires.
- De promouvoir l’abolition des armes nucléaires dans le monde entier.
Un peu plus de 100.000 survivants
L’organisation joue un rôle important dans le mouvement antinucléaire au Japon et à l’échelle internationale, en partageant les témoignages des survivants et en plaidant pour un monde sans armes nucléaires. En 2023, le gouvernement japonais estimait qu’il restait environ 118 000 « hibakusha » (survivants des bombes atomiques) reconnus officiellement. Ce chiffre incluait :
- Environ 113 000 survivants directs des bombardements
- Environ 5 000 personnes nées de parents exposés aux radiations
Rappelons que les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945 ont causé un nombre considérable de victimes. À Hiroshima (6 août 1945), environ 70 000 à 80 000 personnes ont été tuées par la bombe. Le nombre de décès double jusqu’à la fin de l’année 1945.
A Nagasaki (9 août 1945) on déplore environ 40 000 à 75 000 morts immédiats et environ 70 000 morts à la fin de l’année 1945.
Il faut noter que ces chiffres sont des estimations et varient selon les sources. De plus, de nombreuses personnes sont décédées dans les années suivantes des suites de blessures, de maladies liées aux radiations et de cancers.
« Le dernier train d’Hiroshima* »
Le 6 août 1945, à 8 h 15, un bombardier B-29 américain, baptisé Enola Gay, larguait sur Hiroshima la bombe atomique Little Boy. Quelques Japonais ont survécu deux fois au feu nucléaire. Pendant longtemps, il leur fut interdit de témoigner. Charles Pellegrino raconte leur histoire dans un livre dont avons parlé le 6 août 2016. (1)
Un flash. Aussi aveuglant que mille soleils. Puis une détonation accompagnée de rayons d’une chaleur intense. Ce phénomène que les Japonais ont appelé le « pika don » n’a duré que quelques secondes. Mais le spectacle qui suivit fut dantesque. Le 6 août 1945, à 8 h 15, la première bombe atomique de l’histoire venait d’exploser au-dessus d’Hiroshima.
Une institutrice nommée Arai avait accordé quelques minutes de récréation supplémentaires à ses élèves lorsqu’un éclair l’aveugla. Les fenêtres explosèrent. Dehors, un immense nuage aux couleurs étranges montait dans le ciel. Mais dans la cour de l’école, les enfants avaient disparu, sans bruit, « ne laissant que des tas de vêtements en lambeaux fumants à leur place. »
« Des serpents de feu »
Médecins et scientifiques mettront longtemps à comprendre les effets des rayons X et des rayons gamma contenus dans l’éclat atomique. Les survivants, hébétés, furent les témoins involontaires d’un événement inconnu depuis la création du monde. Autour d’eux, les immeubles étaient rasés, la végétation avait disparu, « des serpents de feu » sortaient de terre. L’air soudain liquéfié était irrespirable. Le soleil avait disparu, laissant place à une pluie noire radioactive.
Un peu partout, des hommes, des femmes, des enfants s’enflammaient, réduits instantanément en poussière de charbon. On pouvait voir leur ombre imprimée sur un mur ou sur un tronc d’arbre. Parfois, les os du squelette disparaissaient aussi. Parfois, seule la peau se détachait du corps, laissant les muscles et les viscères à nu. Un cheval, tout rose, la chair à vif, cherchait son maître. On vit un homme descendre la rue en faisant un bruit de claquettes. Mais il n’avait plus de pieds, seuls ses tibias frappaient le pavé.
Le mal des rayons
Les effets du « pika don » n’avaient rien de logique. Mme Kono fut protégée des rayons mais son fils, à ses côtés, disparut dans l’éclair, laissant derrière lui une colonne de fumée. Certaines familles furent anéanties dans l’instant alors que d’autres, au même endroit, ont survécu sans aucune blessure apparente. Les vêtements blancs les avaient protégés de l’intense lumière.
Alors que les survivants s’agglutinaient comme des fourmis pour fuir le « Jigoku » (l’enfer), une trentaine d’entre eux montèrent dans le dernier train pour Nagasaki. Le 9 août 1945 à 11 h 02, un B-29 largue une deuxième bombe atomique, trois fois plus puissante que celle d’Hiroshima. Les médecins sont incapables de soigner les malades. Ils ne comprennent pas « le mal des rayons » qui ne correspond à rien de connu.
Les souffrances indicibles des japonais conduiront Hiro-Hito, le 124e empereur du Japon, à signer la reddition.
Plus tard, le père Matthias, prêtre catholique exposé à Hiroshima rencontrera le pilote de l’avion qui largua la bombe. Paul Tibbets riait du rôle qu’il avait joué dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en s’empiffrant de gâteaux en forme de champignons atomiques !
Un livre émouvant
Auteur de plusieurs ouvrages relatifs à la science et à l’archéologie, Charles Pellegrino décrit méticuleusement ces deux journées les plus horribles de l’histoire de l’humanité. Dans un livre émouvant, il raconte les témoignages des survivants, ceux des victimes japonaises et des aviateurs, complétés par des documents récemment déclassifiés. L’auteur dissèque les stratégies politiques et militaires qui ont conduit les autorités américaines à déclencher le feu nucléaire. Un plaidoyer documenté contre toute utilisation de ces armes terribles.
(*) « Le dernier train d’Hiroshima » de Charles Pellegrino (Florent Massot). 440 pages, 21,90 euros.