France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

L’exaspération des soignants : une stratégie délibérée?

Point-de-Vue– Un rapport en moyenne tous les deux ans pour constater les mêmes dysfonctionnements du service des urgences et du malaise à l’hôpital et rien n’a bougé, constate le Dr Héla Saidi, expert scientifique et présidente de la France démocrate.

Dr Héla Saidi (DR)
Dr Héla Saidi (DR)

Par le Dr Héla Saidi

Et si le véritable projet du Président Macron n’était pas de sauver l’hôpital public ?
En déplacement à Cherbourg, le Président Emmanuel Macron a annoncé mardi 31 mai une « mission flash » d’un mois pour faire un bilan des difficultés rencontrées par les services d’urgences.
Cela a pour effet d’exaspérer les soignants qui s’inquiètent de cette énième consultation y voyant même une stratégie orchestrée par l’exécutif pour gagner du temps à l’approche des législatives.
En effet, depuis maintenant plusieurs années, il est établi que l’afflux dans les services d’urgences n’a cessé de croitre et ce pour une majorité de motifs ne le justifiant pas. Il semble ainsi que le nombre de « vraies » urgences soit resté stable et minoritaire. C’est pour cela que tous les rapports établis jusqu’à présent militent pour une réorganisation totale du parcours de soins pouvant conduire à un meilleur adressage des patients aux urgences.
Il existe donc déjà de nombreux rapports et diverses consultations qui ont impliqué l’ensemble des acteurs du système de santé et qui ont déjà dressé le bilan et émis des recommandations en pointant le manque de moyens à l’hôpital.

« Aval des urgences »

Parmi les rapports les plus significatifs, on peut ainsi compter :

  • Septembre 2013 : Au cours de l’hiver 2012 -2013, la France a connu une saturation importante et durable des services d’urgences si bien que l’encombrement des urgences est devenu une préoccupation nationale relayée par les médias. Plusieurs réunions professionnelles (notamment les « Assises de l’urgence » de SUDF en 2012) avaient d’ailleurs abordé ce sujet. Ce rapport publié en septembre 2013 s’inscrivait dès lors dans une situation de crise des urgences. Le rapport « Propositions de recommandations de bonne pratique facilitant l’hospitalisation des patients en provenance des services d’urgences », a été rédigé par le Pr Pierre CARLI, Président du CNUH (« Conseil National de l’Urgence Hospitalière ») et animateur du groupe de travail « Aval des urgences ». Cette mission ministérielle ne s’intéressait certes qu’à l’aval des Urgences et seules étaient attendues des recommandations de bonnes pratiques facilitant l’hospitalisation des patients en provenance du service des urgences. Mais, cette demande s’inscrivait déjà dans un objectif national visant à diminuer le temps d’attente aux urgences en améliorant l’aval.
    Le rapport formulait des recommandations simples et concrètes avec une mise en place possible « avant octobre 2013 » !
    Dès ce rapport sont soulignés la nécessité d’une organisation territoriale spécifique des parcours de soins, et le rôle central du médecin généraliste qui aurait la possibilité d’adresser des patients vers des consultations spécialisées pouvant conduire à une hospitalisation à court terme sans passage aux Urgences.

Le rapport fondateur

  • Juillet 2015 : Etabli 20 ans après, le rapport STEG (rapport « fondateur »), ce rapport pose les principes permettant d’adapter la stratégie de prise en charge de l’urgence au vu de l’accroissement inquiétant de l’afflux de patients dans les services d’Urgences. Emis par l’Agence Régionale de Santé du Nord Pas de Calais, ce rapport pointait déjà la nécessité d’appliquer de nouvelles modalités d’organisation du travail médical dans les structures d’urgence en fonction des spécificités territoriales et en impliquant les agences régionales de santé.
    A cette époque déjà, on préconisait d’organiser la régulation médicale grâce à un recours plus important aux médecins généralistes tout en mutualisant les différentes structures de régulations. Était proposé par exemple le recours aux SMUR dans les zones éloignées et peu peuplées tout en développant les transports infirmiers inter-hospitaliers. Pour favoriser l’adressage des patients relevant de « vraies » urgences aux Urgences, il était proposé d’élargir les périodes d’ouverture de maisons médicales proches des services d’urgence ou encore d’organiser au sein du territoire des filières spécifiques comme la traumatologie dite « petite ».

Les urgences miroir des dysfonctionnements

  • Juillet 2017 : Rapport d’information de Mmes Laurence COHEN, Catherine GÉNISSON et M. René-Paul SAVARY, fait au nom de la commission des affaires sociales dont le titre est éloquent : « Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé ». La rédaction de ce rapport s’est faite en privilégiant une approche terrain de ces questions dans le but de formuler vingt propositions concrètes, ancrées dans l’exercice quotidien des personnels, dans la perspective d’une mise en œuvre à court terme.
    Ces propositions pragmatiques présentent l’avantage d’affirmer en particulier le caractère crucial des solutions d’aval. Pour améliorer le fonctionnement concret des services d’urgences hospitaliers, il était notamment question de généraliser les bonnes pratiques de certaines structures hospitalières, d’améliorer la coordination entre la médecine d’urgence hospitalière et la prise en charge des soins non programmés en ville, de faire évoluer la tarification incitant les services à se recentrer sur la prise en charge des situations les plus graves en créant un forfait de réorientation vers les structures de ville.
    Les rapporteurs insistaient bien sur le fait que la totalité de ces 20 propositions devaient être entreprises pour préserver la qualité du service public des urgences français. Ils saluaient aussi la grande résilience des soignants qui continuaient d’assurer une prise en charge de pointe en dépit de conditions de travail dégradées. Ainsi, 3 propositions concernaient la meilleure prise en compte des conditions de travail des équipes avec notamment la création d’une spécialité d’infirmier urgentiste ou encore optimiser l’implication des professions paramédicales.

15 recommandations

  • Décembre 2019 : Le rapport « Pour un pacte de refondation des urgences » a été remis par le député Thomas MESNIER et le professeur Pierre CARLI à Agnès BUZYN, ministre des Solidarités et de la Santé. Au travers de 15 recommandations ce rapport insiste sur une approche globale et séquentielle en amont et en aval des Urgences elles-mêmes pour refonder les urgences. Cela repose sur une meilleure coordination des soins « ville-hôpital ».
    Dans cette organisation le médecin traitant ou le médecin généraliste aurait un rôle crucial, de chef d’orchestre. Dans ce contexte, on comprend bien l’importance d’organiser le virage numérique, ce qui permettrait une meilleure transmission des informations médicales entre les différents professionnels de santé.
    Le rapport évoque également 5 mesures spécifiques : l’organisation du service d’accès aux soins, la gradation des structures d’urgence, la réforme des transports médicalisés, la formation des médecins et les permanences d’accès aux soins de santé, les PASS qui sont des cellules de prise en charge médico-sociale.

Manque de moyens chronique

  • Les rapports de la cour des comptes en 2014 et 2019 : Malgré la mise en place de mesures à partir de 2014, la cour constate que les urgences demeurent trop sollicitées, entraînant de fréquentes situations de tension dans les établissements ; par ailleurs la tarification demeure complexe et peu propice à un report des prises en charge hospitalières vers une médecine de ville insuffisamment outillée pour les accueillir. Ces difficultés d’articulation entre la ville et l’hôpital semblent persister en raison d’une tarification peu adaptée et de l’insuffisance de l’offre de soins non programmés en médecine de ville.
    En 2019, pour désengorger les Urgences, il était à nouveau question d’accélérer les réformes visant à développer des alternatives aux urgences hospitalières en ville et à réorganiser les services d’urgence à l’hôpital en fonction des territoires. Une fois de plus, la Cour insiste lourdement sur le manque de moyens, le sous-effectif médical générateur de tension et la nécessité de réformer leurs modalités de financement.

Toujours pas en place

En 2019, La Ministre des Solidarité et de la Santé était d’accord avec ce constat et les recommandations de la Cour des comptes et rappelait qu’au titre de la stratégie « Ma santé 2022 » présentée par le Président de la République en septembre 2019 :

  • Pour améliorer l’accès à des prises en charge de proximité, notamment en soins non programmés, il était prévu en amont des Urgences un déploiement massif des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui sont des espaces d’organisation des professionnels de santé visant à apporter une réponse collective aux besoins de la population sur un territoire. Le projet prévoyait également de s’appuyer sur le réseau des hôpitaux de proximité.
  • Concernant la situation en aval des Urgences, la Ministre avait de nouveau sollicité le CNUH (« Conseil National de l’Urgence Hospitalière ») qui avait déjà émis un rapport en 2013 (voir ci-dessus).
  • Enfin, la Ministre prévoyait déjà de redéfinir les activités de soins de la médecine d’urgence afin de pouvoir éventuellement proposer une gradation de l’offre de soins urgents ou une offre de soins différenciée et complémentaire. Dans ce cadre, il était aussi prévu de faire évoluer le rôle des infirmiers en élargissant ou modifiant les actes infirmiers.

A la lecture de ces différents rapports, commandés en moyenne tous les 2 ans depuis bientôt une décennie et pointant tous les mêmes dysfonctionnements et proposant les mêmes solutions, on peut se demander pourquoi ces solutions ne sont toujours pas mises en place ?

Deux millions de touristes

Il est tout à fait entendable que l’application de ces mesures nécessite encore des ajustements spécifiques au niveau des territoires pour leur organisation, mais aussi des modifications au niveau des textes de lois et du code de la santé publique.
Il n’est pas question ici non plus de minorer l’impact de la pandémie dans le déploiement du chantier de « Ma santé 2022 ». Certes beaucoup de choses ont été entreprises mais nous sommes au pied du mur : des urgences ferment, des soignants quittent l’hôpital public ; et à cela s’ajoute une crise des vocations. Le ras-le-bol des soignants et la sensation d’inaction de l’exécutif voire de défiance vis-à-vis de ces derniers rendent la situation extrêmement préoccupante.
Il nous semble incompréhensible que la seule réponse de l’exécutif soit une énième concertation alors qu’il suffit de missionner les Agences Régionales de Santé. N’est-ce pas leur rôle de mettre en œuvre ces mesures déjà identifiées tout en les adaptant aux conditions actuelles et aux spécificités territoriales ?
En tant que citoyens, on ne peut qu’être solidaire de la souffrance de nos soignants et inquiets de cette situation. Nous nous proposons de relayer l’appel de la Fédération hospitalière de France (FHF) Paca qui s’inquiète déjà de l’arrivée de 2 millions de touristes à partir de juillet alors même que les services d’urgence sont déjà sous tension. Ils décrivent des soignants en souffrance qui ont de plus en plus de mal à accepter leurs conditions de travail et se sentent même maltraitants. Et cela « malgré la mobilisation des libéraux au sein des maisons médicales de garde, des cabinets à horaires élargis qui travaillent majoritairement en lien très étroit avec les services d’accueil des urgences« .

« Eviter la rupture »

La FHF Paca ne se contente pas de tirer la sonnette d’alarme mais formule des propositions pour « éviter la rupture » des urgences dès cet été . Leurs propositions sont pragmatiques et tendent à palier rapidement à la situation actuelle. Pour cela, elle propose d’établir une communication à destination des usagers pour limiter leur flux aux « véritables » urgences, de valoriser et réorganiser le travail des soignants en réactivant par exemple les dispositifs de majoration des éléments de rémunération utilisés lors des phases aigues de la crise sanitaire (revalorisations des gardes et astreintes), mais aussi une meilleure régulation de l’accès aux soins non programmés. Remarquons qu’il n’ y a encore ici rien d’extravagant ni d’inédit dans ces propositions !
Aujourd’hui, 80% des hôpitaux « rencontrent des difficultés, qu’elles soient d’ordre général ou spécifiques à un service, qui affectent selon les situations le nombre de lits ouverts, la continuité ou la permanence des soins« .
Si des mesures ne sont pas prises dès aujourd’hui, il est facile d’anticiper la fuite des soignants vers le privé et la détérioration de la qualité des soins à l’hôpital public. Une première conséquence serait un renoncement des soins encore plus grand pour bon nombre de nos concitoyens. Plus grave, des situations d’urgences vitales pourront ne plus être traitées à temps.

Si des mesures ne sont pas prises dès aujourd’hui, la fermeture des services d’urgences créera un effet domino provoquant l’effondrement de l’hôpital public.

Toutefois, tous les Français ne seront pas touchés : les plus aisés pourront toujours se soigner grâce au secteur privé.
Et, si finalement le projet du Président Macron était de renforcer le privé ?

La France démocrate

France