Benjamin Rojtman-Guiraud, Université de Lorraine
Lundi 20 novembre 2017, il est un peu plus d’une heure du matin quand la chancelière Angela Merkel et Horst Seehofer, le président de la CSU, viennent s’exprimer devant les journalistes. Ils rendent compte de l’état des négociations en vue de la constitution d’une coalition entre CDU/CSU/FDP/Die Grüne également appelée « Jamaika-Koalition », Schwarz-Gelb-Grün (Noir-Jaune-Vert), en référence au drapeau de la Jamaïque.
Peu avant cette prise de parole, Christian Lindner le chef de file des libéraux du FDP, avait déjà mis fin au suspens. « Es ist besser, nicht zu regieren, als falsch zu regieren » : « Il est préférable de ne pas gouverner plutôt que de mal gouverner ». Ces quelques mots plongent l’Allemagne dans une crise politique sans précédent. En cause, selon le même Christian Lindner, le manque de « confiance réciproque » entre les quatre partis et le manque de convergence idéologique.
Au sein du FDP, on évoque l’incapacité entre les libéraux et Die Grüne (les Verts) à se mettre d’accord sur les sujets migratoires, économiques et environnementaux. Selon certains cadres libéraux, cela aurait été une humiliation que de « s’abaisser » à accepter les revendications des Verts. Dans son intervention, Lindner réfute, pourtant, toute responsabilité dans l’échec des négociations, insistant même sur le fait que son parti avait tout mis en œuvre pour faire des propositions raisonnables.
Si les élections législatives, qui se sont déroulées le dimanche 24 septembre 2017, ont vu rentrer pour la première fois au Bundestag l’extrême droite avec l’AfD, elles ont également marqué le retour des libéraux du FDP – ceux-ci ayant obtenu aux alentours de 10 % de suffrages exprimés. Au soir des élections, tout laissait croire que les libéraux joueraient un rôle essentiel dans la nouvelle coalition allemande. Mais nul ne pouvait imaginer le scénario de ces dernières heures. En quittant la table des négociations, comme il vient de le faire, le FDP de Christian Lindner ne sera probablement pas représenté dans la prochaine coalition gouvernementale.
« Merci Angela… »
Dans son allocution, Angela Merkel, le visage grave, le débit très lent, regrette qu’un compromis n’ait pu être trouvé entre les différentes formations politiques. Elle réaffirme aussi avec force sa volonté de rassembler et indique qu’elle continuera d’assurer ses fonctions de chancelière dans l’intérêt général du pays. De plus, elle annonce vouloir s’entretenir avec le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier pour évoquer avec lui l’avenir politique du pays.
Puis, c’est au tour de Horst Seehofer de prendre la parole. Regrettant lui aussi qu’une solution n’ait pu être trouvée, il remercie Angela Merkel qui a mené les négociations durant quatre longues semaines pour tenter de constituer un gouvernement. Enfin, il réaffirme son soutien total à la chancelière et termine par cette phrase quelque peu « mystérieuse » : « Danke, Angela Merkel, für diese vier Wochen » (« Merci Angela Merkel, pour ces quatre semaines »). Cette petite phrase énoncée à la fin de la prise de parole de Seehofer sonnerait-elle le glas de la carrière politique d’Angela Merkel en Allemagne ? Rien n’est moins sûr. On ne dirige pas l’Allemagne depuis 2005 par hasard sans avoir un grand sens de la tactique politicienne.
Dans l’après-midi du 20 novembre, c’est au tour de Frank-Walter Steinmeier de s’exprimer. En tant que Président allemand, il assure qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu’une solution rapide soit trouvée. Il s’entretiendra notamment avec les chefs des différents partis politiques pour redonner à l’Allemagne un gouvernement durable.
L’Afd, le grand gagnant ?
La question désormais posée est la suivante : que peut-il donc bien se passer dorénavant ? Trois solutions peuvent être brièvement évoquées : la formation d’une nouvelle coalition CDU-CSU/SPD (en vigueur en Allemagne depuis 2013), un gouvernement minoritaire conduit par Angela Merkel ou bien des élections anticipées courant 2018.
Si, au cours de la journée, certains journalistes allemands et européens ont pu évoquer une nouvelle grande coalition entre sociaux démocrates et chrétiens démocrates, celle perspective a rapidement été balayée d’un revers de main par le SPD. Déjà opposé au retour au gouvernement au soir des élections de septembre, le parti social-démocrate a réitéré son refus d’entrer en coalition, et se dit prêt à présenter un candidat en cas de nouvelles élections.
S’agissant de l’option du gouvernement minoritaire, celle-ci contraindrait la chancelière Merkel à ne pas avoir de gouvernement stable et s’exposerait au bon vouloir des députés au Bundestag lors de chaque vote des textes de loi. Cette solution n’aurait pas la faveur de la chancelière qui lui préférerait de nouvelles élections anticipées. De plus, une question pourrait se poser dans une telle hypothèse : avec qui gouverner ? Les libéraux du FDP ou les écologistes ?
Enfin, la solution la plus probable semble bien être la convocation anticipée de nouvelles élections en 2018. Mais cela pourrait être lourd de conséquences pour la vie partisane allemande. En effet, la crise que subit de plein fouet l’Allemagne décrédibilise un peu plus les partis politiques traditionnels (CDU/CSU, SPD, FDP, Die Grüne) et pourrait faire le jeu de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, pourtant en proie à de nombreuses querelles internes depuis le scrutin du 24 septembre 2017. Le SPD et l’AfD se sont dit tous deux prêts à avoir recours à de nouvelles élections. De son côté, Angela Merkel a fait savoir que dans ce cas, elle dirigerait cette nouvelle campagne pour la CDU/CSU… L’AfD ne serait-il pas le grand gagnant de cette crise politique allemande ?
Dommages collatéraux
D’après plusieurs enquêtes, 45 % des sondés seraient favorables à une seconde élection, 27 % pour une nouvelle coalition CDU-CSU/SPD et 25 % en faveur de la solution d’un gouvernement minoritaire. Mais les responsables politiques allemands prendront-ils le risque de renforcer le poids politique de l’extrême droite au Parlement après son entrée historique du 24 septembre ?
Cette crise politique à laquelle fait face l’Allemagne est peut-être le premier obstacle à la « refondation de l’Europe » tant souhaitée par le président de la République française, Emmanuel Macron. Et elle pourrait bien entraîner quelques dommages collatéraux sur les relations franco-allemandes.
Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.