Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Cancer du poumon : arrêter de fumer régénère les cellules pulmonaires protectrices

file kwzup.

Sam Janes, UCL et Peter Campbell, Wellcome Trust Sanger Institute

Arrêter de fumer est un excellent moyen de réduire le risque de développer un cancer du poumon. Cependant jusqu’à présent, les experts en ignoraient la raison précise. Nos dernières recherches révèlent que les voies respiratoires des personnes qui arrêtent de fumer se repeuplent de cellules normales, non cancéreuses, qui participent à la protection des poumons. De ce fait, le risque de cancer diminue.

Le cancer débute par une accumulation de modifications génétiques au sein d’une unique cellule. Ces mutations font sauter les verrous qui imposent, en temps normal, des contraintes à sa croissance ; cette cellule devenue « rénégate » commence à se reproduire rapidement, de manière incontrôlée.

Tout au long de notre vie, nos cellules acquièrent des mutations au rythme régulier d’environ 20 à 50 mutations par cellule et par an. Heureusement, la grande majorité de ces mutations sont tout à fait inoffensives. Elles n’affectent pas nos cellules de manière mesurable, et passent inaperçues.

Mais il arrive parfois qu’une mutation touche le mauvais gène, dans la mauvaise cellule, et pousse celle-ci sur le chemin du cancer. Nous appelons ces modifications génétiques des « mutations pilotes » (de l’anglais « driver mutations ». Pour que la cellule concernée devienne une cellule cancéreuse à part entière, il faut probablement que surviennent cinq à dix mutations supplémentaires de ce type.

Grâce aux progrès du séquençage, nous sommes désormais en mesure d’étudier les 3 milliards de bases de l’ADN qui constituent l’empreinte génétique d’une cellule (ou génome). C’est le séquençage de l’ADN de cellules cancéreuses provenant de poumons de fumeurs, et sa comparaison avec celui de cellules provenant de non-fumeurs, qui nous a appris que le tabagisme augmente le nombre de mutations dans les cellules pulmonaires.

La liaison à l’ADN des agents cancérigènes contenus dans le tabac est influencée par leurs propriétés chimiques. Cela signifie que certains types de mutations sont plus susceptibles de se produire que d’autres. On peut donc reconnaître la « signature » de mutations qu’inscrit l’usage du tabac dans le génome. Ce n’est pas le cas des autres causes de dommages à l’ADN.

Notre équipe s’intéresse aux premiers stades du développement du cancer du poumon. Nous tentons plus particulièrement de comprendre ce qui arrive aux cellules normales qui se retrouvent exposées à la fumée de tabac.

Nous avons pour cela mis au point diverses méthodes permettant d’isoler, à partir de petites biopsies des voies respiratoires d’un patient, des cellules normales uniques. Chacune d’entre elle est ensuite cultivée dans incubateur afin d’obtenir suffisamment d’ADN pour le séquençage. Nous avons de cette façon analysé les génomes de 632 cellules provenant de 16 participants à l’étude, parmi lesquels 13 adultes (d’âge moyen ou plus âgés) répartis comme suit : quatre n’avaient jamais fumé, six étaient d’ex-fumeurs, et trois continuaient à fumer fumeurs actuels. Les cellules de trois enfants ont aussi été analysées.

Les résultats ont révélé que, chez les non-fumeurs, le nombre de mutations augmente régulièrement avec l’âge. Ainsi, à l’âge de 60 ans, chaque cellule pulmonaire normale contient environ 1 000 à 1 500 mutations. Ces mutations résultent de « l’usure normale » de l’organisme. Il s’agit du même type de mutations que celui qui survient dans d’autres organes du corps. En outre, seuls 5 % environ des cellules étudiées de non-fumeurs contenaient des mutations pilotes.

Les mutations pilotes sont à l’origine du développement de cancers.
Raj Creationzs/Shutterstock

Le tableau est très différent chez les fumeurs. Nous avons ainsi découvert que chaque cellule pulmonaire contenait en moyenne 5 000 mutations de plus que le nombre attendu dans des cellules provenant d’un non-fumeur du même âge. Ce qui est encore plus frappant, c’est que la variation du nombre de mutations d’une cellule à l’autre était également bien plus importante chez les fumeurs.

Certaines cellules présentaient 10 000 à 15 000 mutations, soit dix fois plus de mutations que ce à quoi on s’attendrait si la personne n’avait pas fumé. Ces mutations supplémentaires portaient bien la signature des substances chimiques contenues dans la fumée de tabac, confirmant donc qu’elles étaient bien directement attribuables à la consommation de cigarettes.

Parallèlement à l’augmentation du nombre total de mutations, nous avons également constaté une augmentation substantielle du nombre de mutations pilotes. Plus d’un quart des cellules pulmonaires de tous les fumeurs que nous avons étudiées en contenaient au moins une. Certaines en avaient même deux ou trois. Étant donné que cinq à dix de ces mutations peuvent provoquer un cancer, il est clair que de nombreuses cellules pulmonaires normales chez ces fumeurs d’âge moyen ou plus âgés deviendront probablement cancéreuses.

Il n’est jamais trop tard pour arrêter

Mais le résultat le plus excitant a concerné les personnes qui avaient arrêté de fumer. Nous avons découvert que les anciens fumeurs possédaient deux groupes de cellules différents. Les cellules de l’un de ces deux groupes présentaient effectivement les milliers de mutations supplémentaires observées chez les fumeurs. Cependant, celles de l’autre groupe étaient, pour l’essentiel, normales. Autrement dit, ce groupe de cellules presque normales présentait le même nombre de mutations que celui que l’on s’attendrait à trouver dans les cellules d’une personne n’ayant jamais fumé.

Les cellules de ce second groupe étaient quatre fois plus nombreuses chez les anciens fumeurs que chez les fumeurs. Ce résultat suggère que, une fois qu’une personne a cessé de fumer, le nombre de ces cellules quasi normales augmente pour reconstituer la paroi des voies respiratoires. Nous avons pu constater que la multiplication de ces cellules se produisait même chez d’anciens fumeurs qui avaient consommé un paquet de cigarettes par jour pendant plus de 40 ans.

La raison pour laquelle cette découverte est si intéressante est que ce groupe de cellules quasi normales protège contre le cancer. En effet, lorsqu’un ancien fumeur développe un cancer du poumon, la cellule en cause provient toujours du groupe de cellules fortement endommagées – et non du groupe de cellules quasi normales.

Nous comprenons maintenant pourquoi notre risque de cancer diminue de façon si importante lorsque nous arrêtons de fumer. C’est parce que le corps réapprovisionne les voies respiratoires avec des cellules qui sont, pour l’essentiel, normales. La prochaine étape de nos recherches consistera à déterminer comment les cellules de ce groupe parviennent à éviter les dommages causés par l’exposition à la fumée de cigarette, et comment nous pourrions les stimuler pour qu’elles se rétablissent encore davantage.

Des travaux antérieurs menés sur des souris fournissent peut-être un début d’explication : il existerait un groupe de cellules souches enfouies profondément dans les glandes qui produisent le mucus sécrété par les voies respiratoires. À cet endroit, elles seraient naturellement mieux protégées de la fumée de tabac que les cellules situées à la surface des voies respiratoires.

Nos résultats démontrent à nouveau que, quel que soit l’âge, l’arrêt du tabac freine non seulement l’accumulation de dommages cellulaires supplémentaires, mais que cesser de fumer peut aussi réveiller des cellules qui n’ont pas été endommagées par le tabagisme.The Conversation

Sam Janes, Professor of Respiratory Medicine, UCL et Peter Campbell, Head of Cancer, Ageing and Somatic Mutation, Wellcome Trust Sanger Institute

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Monde