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Le christianisme a-t-il un problème avec l’homosexualité ?

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Châtiment de deux homosexuels lors du Jugement dernier. Un diable, à droite, empale un homme qui porte sur la tête un bonnet sur lequel est écrit « Sottomito » (Sodomite). A gauche, son partenaire est transpercé par la bouche. Fresque de Taddeo di Bartolo, San Giminiano, 1393.
Wikipédia, CC BY-SA

Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

Alors que le pape François vient de tenir des propos controversés sur les homosexuels, quelles sont les origines de l’homophobie chrétienne ?

L’homosexualité vue comme une maladie

Le pape François sous-entend, dans sa conférence de presse, que l’homosexualité est une sorte de maladie. C’est pourquoi il emploie le mot remède.

François reprend ici des idées déjà exprimées par son prédécesseur, le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, alors à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans les années 1980 : l’homosexualité n’est pas un péché, mais tout de même une mauvaise tendance d’un point de vue moral. Cette position officielle de l’Église catholique, tout en prenant la défense des homosexuels en tant que personnes, demeure néanmoins sujette à controverse, dans la mesure où elle présuppose que l’homosexualité est un problème « moral », voire médical.

Apollon et son amant Hyacinthe, par Jean Broc, 1801. Musée Sainte-Croix, Poitiers.
Wikipédia, CC BY

Au cours de l’histoire de l’humanité, les relations sexuelles entre personnes du même sexe n’ont pas toujours été condamnées. Dans la mythologie grecque, les principaux dieux et héros (Zeus, Apollon, Héraclès…) ont des aventures homosexuelles, sans faire l’objet de critiques. En fait, comme l’ont montré Michel Foucault ou encore Paul Veyne, le concept même d’homosexualité, tel que nous l’entendons aujourd’hui, n’existait pas dans l’Antiquité gréco-romaine.

Beaucoup d’hommes, au cours de leur existence, alternaient des relations avec des partenaires des deux sexes. Les individus n’étaient pas catégorisés en « hétérosexuels » ou « homosexuels », comme aujourd’hui. Une forme de « bisexualité » prédominait dans les faits. Rois grecs et empereurs romains s’affichaient tantôt avec des femmes, tantôt avec des hommes, comme Alexandre le Grand qui aima Roxane, son épouse iranienne, mais aussi son ami d’enfance Héphestion : une sorte de ménage à trois.

Les homosexuels « dignes de mort » selon Saint Paul

Ce problème entre homosexualité et christianisme ne date pas des déclarations de François, le 26 août 2018. Il remonte aux origines mêmes de la nouvelle religion qui triompha dans l’Empire romain, à la fin de l’Antiquité.

Jésus ne parle pas de relations homosexuelles dans les Évangiles. C’est l’apôtre Paul qui aborde cette question pour la première fois dans l’histoire du christianisme. Bon connaisseur de la tradition juive, il s’inspire d’un passage de la Bible :

« Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ce qu’ils ont fait tous les deux est une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombe sur eux » (Lévitique 20, 13).

Dans son Épître aux Romains (1, 18-31), Paul associe la sodomie au paganisme. Il condamne les femmes qui « ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature », c’est-à-dire celles qui acceptent des relations anales avec leurs partenaires masculins, ou encore les femmes qui aiment d’autres femmes.

Mais surtout, l’apôtre stigmatise avec vigueur les hommes qui « abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme ». Suit une cascade de termes négatifs, constituant une diatribe exceptionnellement longue. Paul entend marteler sa désapprobation absolue à l’égard des homosexuels :

« Ils sont remplis de toute sorte d’injustice, de perversité, de cupidité, de méchanceté, pleins d’envie, de meurtres, de querelles, de ruse, de dépravation, diffamateurs, médisants, ennemis de Dieu, provocateurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, sans intelligence, sans loyauté, sans cœur, sans pitié. »

Parmi toutes ces accusations, la plus terrible est sans conteste celle d’« ennemis de Dieu », puisqu’elle conduit les homosexuels à être finalement déclarés « dignes de morts » par Dieu lui-même.

« Le Christ à la Colonne » par Giovanni Antonio Bazzi dit Le Sodoma (1477-1549). Pinacothèque de Sienne.
Wikipédia, CC BY

La sodomie « contre-nature »

On peut se demander pourquoi Paul s’intéresse tant aux « sodomites ». Dans quelle mesure ceux ou celles qui pratiquent la sodomie par consentement mutuel et pour leur seul plaisir personnel indisposent-ils Paul ? Pourquoi s’occupe-t-il de ce qui se passe dans les chambres à coucher des autres ? Paul dit qu’il a choisi le célibat pour lui-même. Soit. Mais pourquoi vouloir ainsi réglementer voire réprimer les désirs sexuels des autres ?

C’est que Paul, de même d’ailleurs que l’auteur du Lévitique avant lui, considère la sodomie comme une pratique contre-nature et « contre-Dieu », pourrait-on dire, puisque Dieu est confondu avec la « nature ». Les relations sexuelles ne devraient avoir qu’un seul but selon lui : la procréation. On comprend dès lors pourquoi des pans entiers de la sexualité humaine ont été prohibés par le christianisme : homosexualité masculine et féminine, sodomie, fellation, masturbation…

L’idéologie chrétienne qu’entreprend de définir Paul est parfaitement logique. Le christianisme dénigre le plaisir sexuel ; l’homophobie n’est qu’une manifestation de ce refus plus général de l’érotisme et du sexe pour le plaisir.

Mais en cela, le christianisme s’éloigne aussi de la tradition juive. En effet, si le Lévitique condamne sans appel la sodomie, les plaisirs érotiques entre un homme et sa femme sont vantés dans la Bible. L’époux peut profiter des charmes de sa belle épouse : « Jouis de la femme […] Que ses seins te comblent en tout temps », peut-on lire dans le livre des Proverbes (5, 18-19).

Dans le christianisme, par contre, le plaisir sexuel paraît toujours plus ou moins suspect. Il est facilement associé au péché, à la culpabilité et à la honte. Et ce, à plus forte raison, s’il n’est pas directement lié à une nécessité reproductive dans le cadre d’un mariage légal entre deux individus de sexe opposé.

La condamnation des « sodomites » par les empereurs chrétiens

Lorsque le christianisme triomphe dans l’Empire romain, au IVe siècle, les empereurs mettent en place une législation réprimant durement les « sodomites ».

En 342, Constance II et Constant Ier décrètent :

« Lorsqu’un homme s’accouple comme s’il était une femme […] alors nous ordonnons que les lois s’insurgent, que le droit soit armé de l’épée vengeresse, de manière à ce que les peines prévues soient infligées aux infâmes d’aujourd’hui et de demain ». (Code théodosien IX, 7, 3)

Le texte ne donne pas de précisions sur ce supplice de l’épée. On peut supposer qu’il s’agissait d’une décapitation ou d’une émasculation.

En 438, Théodose II les condamne au bûcher, sur la place publique : ainsi, ils « expireront dans les flammes vengeresses, devant le peuple » (Code théodosien IX, 7, 6).

L’empereur byzantin Justinien. Mosaïque de la basilique Saint-Vital, Ravenne, vers 540.
Wikipédia, CC BY

Au VIe siècle, l’empereur byzantin Justinien confirme cette répression des homosexuels. En 542, deux évêques, Isaïe de Rhodes et Alexandre de Diospolis, surpris en flagrant délit, sont amputés de leurs pénis et traînés dans les rues de Constantinople, pour servir d’exemple à tous les prélats et à la population.

Au Moyen Âge, pour effrayer les fidèles, des peintures de supplices affreux ornent les édifices religieux. A San Gimignano, en 1393, Taddeo di Bartolo imagine le châtiment de deux homosexuels lors du Jugement dernier : un diable empale un homme qui porte sur la tête un bonnet sur lequel est écrit Sottomitto (sodomite). À gauche, son partenaire est transpercé par le même pieu, mais à travers la bouche : une manière de rappeler que la sodomie et la fellation sont deux pratiques également condamnées par Dieu.

Au regard de cette sanglante répression des homosexuels, les propos tenus par le pape François paraissent plutôt modérés. Ils s’inscrivent néanmoins dans une vieille tradition chrétienne homophobe et sur des préjugés tenaces remontant à Saint Paul.


_Christian-Georges Schwentzel a publié Les Quatre Saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine, éditions Vendémiaire.The Conversation

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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