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Député de sa circonscription ou député de la Nation ?

Sept ans député avant d’être trois ans membre du gouvernement incite à avoir une réflexion sur la fonction de député.

Par Christian Eckert

Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, ancien député de Longwy
Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au budget, ancien député de Longwy

Les 577 députés élus le 18 juin 2017 sortent de leur campagne électorale et vont être rapidement confrontés à une question majeure qui les hantera pendant toute la durée de leur mandat : Suis-je député de ma circonscription ou suis-je député de la Nation ?
Dans cette question se révèle toute la schizophrénie de la fonction et, à vrai dire, au sortir de mon expérience personnelle, je n’ai pas trouvé de réponse formelle à cette question.
« L’intérêt général »
La constitution donne aux députés (plus largement aux parlementaires) la compétence de voter la loi et de contrôler l’action du gouvernement. Cette dernière fonction n’est en fait pas la plus connue et pas la plus pratiquée. C’est donc en votant la loi que le député devient pleinement « député de la Nation » : la loi doit être universelle sur l’ensemble du territoire national, s’assurer de servir l’intérêt général du Pays, respecter l’égalité devant les charges publiques, n’autoriser d’exception qu’à des seuls motifs d’intérêt général, respecter les traités internationaux et la jurisprudence constitutionnelle…
Quelle que soit son intention, sa valeur ou sa personnalité, le député peut donc difficilement « servir » l’intérêt particulier de sa circonscription en votant la loi. Au contraire, en cherchant à le faire, il sera souvent conduit à desservir l’intérêt général : je veux ici en donner une illustration régulièrement vécue au Parlement.

« La solidarité »

Lorsque les députés étudient les dotations aux collectivités locales, ils s’accordent généralement sur des principes généreux de répartition fondés sur la solidarité : faire de la péréquation, servir plus les collectivités pauvres que les riches, réduire les fractures territoriales, tenir compte des handicaps naturels, aider les territoires ultra-marins… Les discours à la tribune rivalisent de phrases prônant avec emphase plus de justice, de partage, de mutualisation…
Fusent alors les propositions d’amendements, utilisant divers critères de répartition comme les revenus des habitants, le nombre d’allocataires du RSA, le nombre de personnes âgées dépendantes, la superficie des zones de montagne….
Avant de voter, malgré leur accord sur les principes, les députés demandent systématiquement des simulations. La séance est alors suspendue, la buvette se remplit, le temps que les ordinateurs crachent les tableaux Excel…
A peine les chiffres en main, les parlementaires se précipitent sur la ligne de leur collectivité ou de celles des collectivités de leur circonscription d’élection… Bien entendu, leur vote sur l’amendement oubliera les grandes déclarations de solidarité et se fera le plus souvent en fonction du gain ou de la perte prévue « chez eux ». C’est toujours ainsi, et toutes les tentatives de réformes des dotations ont avorté à cause de la résistance des « nantis » (ceux de droite comme ceux de gauche) profitant de règles surannées dénoncées par tous mais conservées par ceux qui en profitent ! L’aménagement inégalitaire du territoire en est une des conséquences ! On continue à soutenir les collectivités les moins fragiles.

« Le Père Noël »

Si le député dans sa fonction principale de législateur ne peut logiquement qu’à la marge « servir » les intérêts de sa circonscription, les électeurs ne le perçoivent absolument pas comme ça ! Il suffit de faire un marché durant la campagne pour entendre les électeurs attendre de leur député qu’il soit le père Noël pour leur circonscription : nouvelle route, nouvelle école, nouvel hôpital, nouveau terrain de football (de préférence synthétique…), nouvelles entreprises, nouveaux logements (sociaux de préférence), nouvelles subventions (ce mot ayant acquis au fil du temps une importance démesurée) … La plupart du temps les candidats multiplient les engagements, promettant d’autant plus qu’ils sont proches de la majorité et du Gouvernement, faisant même de cette proximité un argument majeur de leur campagne ! Moi-même, pourtant beaucoup investi dans les fonctions législatives à caractère national, ai souvent rappelé mon rôle sur les dossiers locaux.

Qu’en est-il exactement ?

Juridiquement, le député n’a absolument aucune autorité sur un maire, un président de Conseil départemental ou régional, un préfet, un directeur d’administration décentralisée.
Dans la pratique, il faut reconnaître que le député est leur interlocuteur régulier. Même s’il n’y a pas de lien hiérarchique entre le député et les administrations locales qui sont sous l’autorité du gouvernement, celles-ci ont souvent une oreille attentive aux parlementaires qui peuvent toujours se plaindre ou se féliciter auprès d’un ministre de leur administration locale.
Dans les faits, le dialogue étant régulier, les décisions concernant la circonscription sont prises le plus souvent en concertation. Contrairement aux idées reçues, les injonctions aux administrations, même venues d’un parlementaire, ne trouvent écho que si elles sont étayées, raisonnables et surtout conformes aux lois et aux règlements. La répartition des subventions d’Etat obéit aux mêmes principes et doivent répondre à des critères peu contournables.
La fameuse réserve parlementaire, si souvent dénoncée comme pouvant « acheter » des voix, ne représente que 130. 000 Euros par an pour les parlementaires lambda. C’est sans commune mesure avec ce qu’un conseiller départemental ou régional peut débloquer sur un seul dossier… Sa disparition passera inaperçue…
La fin du cumul des mandats (même si sa version actuelle est encore inaboutie) diminuera ce risque de voir un député délaisser son travail de législateur pour vouloir gagner en influence locale.
Il est intéressant de regarder si les « députés de la nation » sont plus souvent réélus que les « députés de leur circonscription » ou si c’est le contraire. L’observation des derniers résultats n’apporte pas de réponse tranchée. J’y ai trouvé tout et son contraire…

Conflit d’intérêts

Pour ce qui me concerne, j’ai tenté de concilier les deux. Le bilan local est conséquent : Hôtel de Police, Hôpital du Bassin de Longwy, Internat pour handicapés à Chenières, Ecole du web à Piennes, 500.000 Euros pour chaque territoire à Energie Positive de la circonscription, quelques dossiers d’entreprises bien aboutis, les quartiers politique de la ville, les subventions pour redresser les finances de Longwy … Les échecs de type Kaiser (où la responsabilité est aussi ailleurs) ont masqué les réussites. Sur le plan législatif et gouvernemental, le bilan a fait l’objet de toutes les contestations, tant sur le fond que sur la forme, de droite comme de gauche. Le temps changera sans doute les regards. J’ai passé des centaines d’heures au parlement, comme rapporteur général du budget ou comme secrétaire d’Etat, cherchant le dialogue, la pédagogie et le compromis. J’y aurais en outre traité le cas des comptes bancaires inactifs et des contrats d’assurance-vie en déshérence, ce qui m’a valu beaucoup de lettres de remerciements.
Pour autant, le mouvement général balaie tout lors d’une élection (moi compris !). Et je n’ai toujours pas tranché complètement : le député doit-il tenir son rôle national ou rester « sur ses terres » ?
Mon penchant naturel suggère plutôt de laisser le député remplir son rôle de législateur, et de prévenir les conflits d’intérêts en évitant les interventions locales. Mais ceci nécessitera beaucoup de pédagogie vis-à-vis des électeurs qui l’entendent autrement, et ne doit pas empêcher le Parlementaire de chercher sur le territoire à mieux percevoir l’effet des choix nationaux et d’y trouver les bonnes idées à généraliser au Pays.
Comme souvent, la réussite dépend de la capacité à trouver le bon équilibre entre les deux facettes d’une belle et noble fonction trop souvent décriée.

Christian ECKERT

voir le blog de Christian Eckert

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