Par Leslie Varenne (Iveris)
Ils étaient 11, il n’en reste plus que 2. Dans cette campagne présidentielle qui ressemble à un jeu de téléréalité, la politique internationale a été, une fois encore, le parent pauvre du débat.
Pourtant, le monde est en proie à de grands tremblements ; le risque d’attaque nucléaire est sérieusement envisagé ; la catastrophe afghane est réactivée [1], chaque jour des milliers de civils meurent dans les guerres d’Irak, de Syrie, du Yémen ou lors de conflits larvés comme en République Démocratique du Congo, au Congo Brazzaville, dans le Sahel. Ce début de 21ème siècle signe également la recrudescence de pratiques barbares lors de ces conflits [2]. Face à cet état des lieux, que fera Emmanuel Macron, s’il est élu le 7 mai 2017 ? Remettra-t-il en cause les grandes lignes suivies par le Quai d’Orsay depuis dix ans, qui ont conduit la France à être au mieux inefficace et inaudible, au pire, de se faire l’apôtre des va-t’en guerre ? Sa dernière déclaration concernant la Syrie ne prédispose pas à penser qu’il opérera de changement. Le 28 avril à Amiens, il a, en effet, déclaré « Je condamne avec la plus grande fermeté l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. Cela contrevient d’une part au Droit International et d’autre part aux accords de 2013. Et donc si je suis élu président de la République, je prendrais les dispositions en lien avec la coalition et, si possible sous mandat de l’ONU, mais même sans mandat de l’ONU pour neutraliser ses capacités chimiques du régime de Bachar el-Assad ». Avec cette annonce, non seulement Emmanuel Macron inscrit ses pas dans les traces des deux derniers Présidents de la République qui ont toujours privilégié les valeurs, « l’ingérence humanitaire », aux principes, le droit international, mais à l’instar de Donald Trump, il s’octroie la possibilité d’une intervention unilatérale. Cela étant, il faut rester prudent et ne pas prendre au pied de la lettre les déclarations d’un candidat en campagne, le pire n’est jamais certain, il y a souvent des gaps abyssaux, heureux ou malheureux entre les paroles et les actes. En revanche, le choix des hommes pressentis pour le conseiller dans ce domaine donne des indications plus crédibles que des bribes de discours déclamés sous les feux de l’actualité. Deux noms ont particulièrement attiré l’attention de l’IVERIS, ceux de Gérard Araud et de Justin Vaïsse.
« Gérard Araud, l’homme de la guerre en Libye »
Gérard Araud, actuel ambassadeur de France à Washington, est donné par plusieurs journaux comme le futur conseiller diplomatique à l’Elysée dans le cas où Emmanuel Macron succéderait à François Hollande. Ce diplomate a accédé récemment à la notoriété par un tweet commentant l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige ». Cette réaction, vécue par de nombreux observateurs comme un manquement à son devoir de réserve, a provoqué un tollé de chaque côté de l’Atlantique. Néanmoins, le 9 mars dernier, il réitérait en donnant son avis, par le même canal, sur l’élection présidentielle française. S’il était inconnu de la grande majorité des Français jusqu’à ces tweets, les Libyens et les Ivoiriens, eux, ont gardé son nom en mémoire. Nommé par Nicolas Sarkozy comme ambassadeur de France aux Nations Unies en 2009, il s’est trouvé à l’avant-poste des guerres de 2011. Le 5 juin 2011, le JDD titrait « Gérard Araud, l’homme de la guerre en Libye ». Il faut rappeler qu’à cette date, cet intitulé n’a rien de péjoratif puisque ce conflit contre la Jamahiriya de Muammar Kadhafi est encore salué comme un succès par presque toute la classe politique et médiatique. Et le JDD de poursuivre « Le représentant de la France à l’ONU, fin tacticien et négociateur hors pair, a imposé de haute lutte deux textes majeurs sur la Libye et la Côte d’Ivoire. Ce diplomate sans langue de bois symbolise la renaissance du Quai d’Orsay.» Dans ce même article, Gérard Araud témoigne ouvertement de son implication : « le mardi 15 mars au soir, nous nous sommes engueulés au téléphone, ma collègue américaine Susan Rice et moi, Je lui ai dit : « Susan, je te préviens, on va mettre ce projet de résolution au vote ! » Elle m’a répondu : « Bullshit ! », « Foutaises ! ». Deux jours, plus tard, le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU votait la résolution 1973 instaurant une zone de non vol au-dessus de la Libye et autorisait une action militaire afin de « protéger les civils » contre l’armée de Muammar Kadhafi. Le 19 mars, avait lieu la première frappe française dans le cadre de l’opération Harmattan suivie par celle de l’opération britannique Ellamy.
Mais Gérard Araud a été également à très actif en Côte d’Ivoire. En décembre 2010, avec Suzan Rice, ils sont soupçonnés d’avoir intimé l’ordre à Joung-Jin Choï, alors représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire, de proclamer Alassane Ouattara vainqueur avant la décision du Conseil constitutionnel. Ce qui fut fait le 3 décembre 2011. Cette proclamation signe le début de ce qui est appelée la « crise ivoirienne » [3]. Puis, tout comme pour la Libye, Gérard Araud a milité en faveur de la résolution 1975, adoptée le 30 mars 2011. Cette résolution signe le début de la guerre en Côte d’Ivoire. En effet, sous prétexte d’autoriser la destruction des armes lourdes pour « protéger les civils », elle a permis à la France et à l’ONU de larguer des bombes sur Abidjan dès le 4 avril 2011…
Ces deux conflits ont été à l’origine des tensions exacerbées entre le bloc occidental et les pays des BRICS.
Julien Vaïsse, ou l’alliance avec les djihadistes en Syrie…
Julien Vaïsse fait partie de ceux qui sont appelés à donner leur avis au sein de l’équipe diplomatique du candidat dirigée par Eric Lechevalier, ancien conseiller d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris. Cet historien a été propulsé par Laurent Fabius, en 2013, à la direction du Centre d’Analyse de Prospective et de Stratégie CAPS, un centre de réflexion rattaché au Quai d’Orsay. A l’époque, cette nomination a surpris les diplomates qui imaginaient que le poste serait attribué en interne. Il n’en fut rien, le ministre des affaires Etrangères de l’époque a débauché Julien Vaïsse qui travaillait alors à Washington comme chercheur à la Brooking institution. Sous sa direction, le CAPS est resté fidèle à la lettre et à l’esprit de la ligne politique de Laurent Fabius, notamment sur la Syrie. Ainsi dans un rapport daté du 3 janvier 2017, et intitulé « Quelle place pour la France dans le conflit syrien au lendemain de la chute d’Alep ? », le CAPS préconise de s’opposer à Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les Affaires Etrangères, sur la reconstruction de la Syrie au prétexte que cela conforterait Bachar al-Assad. Les penseurs du Quai ont alors une idée de génie et propose une autre solution à la France : aider et soutenir « les zones libérées » c’est-à-dire les zones sous contrôles des groupes armés tel que Fatah el Sham, ex Front al-Nosra affilié à al-Quaeda ! Dans une analyse de ce rapport, Fabrice Balanche, chercheur invité au Washington Institute, écrit « Le simple fait qu’il définisse les zones tenues par les djihdadistes et les islamistes comme des « zones libérées » fait froid dans le dos. Les fiefs d’al-Qaïda en Afghanistan et le territoire d’AQMI au Sahel seraient ainsi également des « zones libérées ». Et Fabrice Balanche de s’interroger « Pourquoi la politique française à l’égard de la Syrie est-elle aussi désastreuse ? Sans doute parce que le Ministre des Affaires Etrangères applique les recommandations du CAPS. » !
Compte tenu des grands tremblements qui secouent le monde actuellement, compte tenu des tensions entre le bloc occidental et le reste du monde, cette élection présidentielle revêt une importance majeure. Or, à ce jour, le débat du deuxième tour reste essentiellement centré sur les enjeux européens, avec une vision binaire « pour ou contre l’Europe » et n’aborde que par bribes les grands enjeux stratégiques mondiaux. Selon le JDD, Emmanuel Macron « n’est pas encore très arrêté sur ces choix internationaux », il « prête une oreille très attentive au conseil d’Hubert Védrine » ancien ministre des affaires Etrangères de François Mitterrand. Il ne reste que peu de jours pour que celui qui fait figure de favori à cette élection précise sa vision du monde, tendance Védrine ou tendance Fabius ? Il en va du sort des citoyens français mais également des Syriens, des Africains et plus généralement de tous les peuples qui aspirent à la paix.
Leslie Varenne
[1] Le titre est emprunté à l’article de Philippe Grasset consacré à l’Afghanistan : http://www.dedefensa.org/article/la-catastrophe-afghane-reactivee
[2] La guerre n’est jamais jolie, mais outre les derniers événements en Syrie, ce qui se déroule actuellement dans la région du Kasaï en République Démocratique du Congo est particulièrement insoutenable, plus de 17 charniers viennent d’être découverts. L’IVERIS reviendra prochainement sur ce sujet.
[3] Dans le livre de l’auteur de ces lignes, Abobo-la-guerre.