Le 9 décembre 2016 la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II » a été promulguée. Fruit d’un long processus, elle a pour ambition, outre de favoriser la transparence de la prise de décision publique, de définir un cadre pour le lobbying en France.
La transparence se définit comme « la mesure dans laquelle les informations sont disponibles pour les personnes extérieures qui leur permettent d’avoir une voix informée dans les décisions et/ou d’évaluer les décisions prises par les initiés ». (Ann Florini, professeur invitée à l’école de politique publique de l’Université du Maryland).
Une démarche récente
Depuis 30 ans, la transparence a fait l’objet de nombreuses lois en France. 1988 marque le début de cette politique avec la loi sur la transparence de la vie politique et le financement des partis. Un registre des représentants d’intérêts au Parlement est créé en 2009, puis la Haute autorité pour la transparence de la vie publique est introduite.
Mais ce n’est qu’en 2016, 70 ans après le « Lobbying Act » américain, que la France se dote d’un cadre pour définir la pratique des représentants d’intérêts. L’ambition est affichée par le président François Hollande lors de ses vœux aux corps constitués et aux bureaux des Assemblées du 20 janvier 2015 : « Pour rendre encore plus claire la confection des lois et des règlements, il faudra un meilleur encadrement des groupes de pression. C’est un chantier qui sera ouvert cette année. Les citoyens sauront qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics, pour améliorer, corriger, modifier une reforme, et quels ont été les arguments utilisés ».
Ce texte permet une définition des représentants d’intérêts. Ces derniers peuvent être indépendants ou exercer au sein d’une organisation. Leur activité principale ou régulière consiste à entrer en communication avec des responsables publics en vue d’influer sur les décisions publiques. Tout individu dont l’activité est consacrée à plus de 50 % à des actions de représentation d’intérêt ou ayant réalisé plus de 10 actions de représentation d’intérêt au cours des 12 derniers mois doit s’inscrire sur un répertoire des représentants d’intérêts créé par la loi Sapin II. Ce dernier est sous l’autorité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et accessible sur son site Internet.
Les représentants y déclarent :
- leur identité ;
- l’organisme pour lequel ils travaillent ;
- les intérêts ou entités qu’ils représentent ;
- les actions relevant de leur champ de compétence en précisant le montant des dépenses qui y sont liées ;
- les organisations professionnelles ou syndicales ou les associations en lien avec les intérêts représentés auxquelles ils appartiennent.
Tout manquement à la bonne tenue de ce répertoire entraîne des sanctions pouvant aller jusqu’à d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Au 11 février 2019, le répertoire recense notamment 1 764 représentants d’intérêts et 6 669 activités.
Toutefois certains observateurs considèrent que le répertoire de la HATVP n’est pas suffisant pour comprendre les décisions publiques. En effet, ni les ressources allouées, ni la décision publique visée pour chaque action de représentation d’intérêt ne sont précisées. Enfin, le périmètre du registre est limité. Certains décideurs publics et représentants d’intérêts ne sont pas concernés par le répertoire. La loi Sapin II impose également un code de déontologie pour les représentants d’intérêt.
À Bruxelles, une politique incitative
Un registre similaire existe au niveau européen. Il a été créé en 2011 par une collaboration entre le Parlement européen et la Commission européenne. S’inscrivant dans la même logique que le répertoire français, il s’agit de recenser les représentants d’intérêts et leurs tentatives d’influence de la décision publique.
En 2014, un accord institutionnel valide ce registre et propose des mécanismes incitatifs aux représentants d’intérêts pour leur inscription. Facilitant l’accès aux bâtiments du Parlement, l’autorisation d’organiser des événements dans les locaux, ou encore une meilleure transmission de l’information à ceux qui s’enregistrent pour le Parlement et la Commission.
Ce registre est facultatif, et compile de nombreuses informations. Nom de l’entité, la catégorie de celle-ci (ONG, cabinet, etc.), les coordonnées, le responsable, la personne en charge des relations avec l’UE, les objectifs et missions de l’organisation, les activités spécifiques couvertes par le registre, le nombre de personnes participant aux activités, les personnes accréditées pour accéder aux bâtiments du Parlement européen, les domaines d’intérêts, les compositions et affiliation de l’organisation, et des données financières dont une estimation des coûts annuels liés aux activités couvertes par le registre.
En 2016, le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l’Europe ont proposé un accord interinstitutionnel visant à renforcer ce registre de la transparence. Pour l’heure, le Conseil de l’Europe n’est pourvu d’aucun dispositif de ce type.
2019, une grande avancée pour la transparence
Le 31 janvier, le Parlement européen a adopté pour une réforme de son règlement intérieur. L’un des sujets centraux de ce vote est une série d’amendements favorisant la transparence du lobbying. Une partie des députés ont demandé un vote à bulletin secret, ce qui semble paradoxal pour une thématique de la transparence.
Parmi les amendements favorisant la transparence de ce texte, deux semblent majeurs :
- une incitation à l’inscription sur le registre des représentants d’intérêts. Les députés ne peuvent rencontrer que les représentants d’intérêts inscrits sur le registre. Seuls les représentants d’intérêts inscrits peuvent participer aux activités d’un intergroupe ou activités d’un groupement informel dans les locaux du Parlement.
- la publication par les députés de leur agenda. Ils doivent indiquer toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts qui relèvent du champ d’application du registre. De plus, pour chaque rapport, toutes ces rencontres avec des représentants d’intérêts sont publiées.
Or ce dernier type d’action d’influence est l’un des plus, sinon le plus utilisé par les lobbyistes. Par exemple, en France, sur le cas de la loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures (charbon, pétrole, gaz) conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, elles représentent 33,51 % des actions de représentation d’intérêts employées (étude de l’auteur à paraître).
La publication des rencontres entre pouvoir public et représentants d’intérêts est donc une grande opportunité pour la transparence.
Une garantie de contrôle citoyen
Depuis plusieurs années, la confiance envers les politiques est morose, elle est de moins de 30 % envers le gouvernement, l’Assemblée nationale ou l’Union européenne. Cette défiance s’explique notamment par l’aléa moral : les représentants publics peuvent appliquer une politique contraire à celle pour laquelle ils ont été élus. De nombreuses incompréhensions sur des décisions publiques érodent également cette confiance envers ses représentants. Récemment la démission de Nicolas Hulot, ou le renouvellement de l’autorisation d’utilisation du glyphosate ont mis en lumière le rôle du lobbyiste, et le besoin de transparence dans la prise de décision publique.
Pour favoriser cette transparence, et jouer un rôle de facilitateur de contrôle citoyen, des associations et des entreprises surfent sur le développement de la technologie numérique. Il s’agit de la « civic tech ». La France est un terreau fertile pour ces projets. Citons Make.org, RegardsCitoyens, ou encore Projet Arcadie. Les initiatives internationales sont aussi actives dans l’hexagone avec, par exemple, Transparency.org ou Change.org.
Regards Citoyens propose plusieurs initiatives comme NosDéputés.fr sur lequel nous pouvons voir la présence à l’assemblée du député de notre circonscription, ses amendements proposés et votés, ses responsabilités, son contact, ses questions au gouvernement ou encore ses productions parlementaires (rapports, propositions de lois). Une étude sur le lobbying est également proposée par cette association, permettant de voir les personnes auditionnées dans chaque secteur d’activité, afin mieux comprendre les influences exercées sur une décision publique.
Ouvrir les données du lobbying permet donc à différents acteurs d’analyser et diffuser ce savoir. Par exemple, la communauté de chercheurs profite du répertoire des représentants d’intérêts pour comprendre les rapports de force exercés sur les décisions publiques. Des données accessibles sont une source d’information primordiale pour de nombreuses parties prenantes dont le rôle est d’informer au mieux le citoyen sur le processus de prise de décision publique.
La nouvelle politique européenne marque donc un virage vers une transparence accrue. Désormais, la question que nous pouvons nous poser est de savoir si, à quelques mois des élections européennes, cette mesure sera suffisante pour rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions bruxelloises.
François Nicolle, Assistant enseignant-chercheur ICD Paris, Propedia
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.